éditoriaux

Le sacré Graal de Jacques Roubaud

Le sacré Graal de Jacques Roubaud

Dans sa réécriture du Graal, Jacques Roubaud a bâti comme on sait un dialogue audacieux entre le Moyen Âge et la modernité. Graal Théâtre, co-signé avec Florence Delay, recrée ainsi le cycle arthurien en respectant la structure médiévale tout en l’actualisant. Cette réécriture, nourrie d’anachronismes, illustre la poétique médiévale et les procédés de création modernes. La dramaturgie du texte restitue l’oralité des récits médiévaux, en écho aux travaux de Paul Zumthor sur la vocalité. Cette quête de la voix se prolonge dans ses adaptations pour la jeunesse, où le conteur occupe une place centrale. Dans La légende du Graal chez Jacques Roubaud. Une réécriture diverse et unifiante (Droz), Leticia Ding montre que l’écriture de Roubaud dépasse la simple reprise des hypotextes médiévaux : par un processus d’auto-réécriture, il tisse un réseau intratextuel qui fait écho au travail des écrivains médiévaux. Son œuvre, à la fois autonome et autoréflexive, interroge les pratiques de création littéraire contemporaines en les rapprochant de celles du Moyen Âge, fondées sur la renaissance plutôt que sur l’invention ex nihilo. Leticia Ding avait auparavant donné à Acta fabula un compte rendu du volume publié par Nathalie Koble et Mireille Séguy Jacques Roubaud médiéviste (Champion), sous le titre : "Jacques Roubaud & la littérature médiévale : de la fiction à la critique".

(Illustr. : Lancelot du Lac de Florence Delay et Jacques Roubaud, d'après Graal Théâtre, m. e. s. de Julie Brochen & Christian Schiaretti, 2014, ©Franck Beloncle)

Bouvier dans le monde

Bouvier dans le monde

S'écrire homosexuel

S'écrire homosexuel

Lorsque Marcel Rottembourg (1889-1944), sous le pseudonyme d'Alain Rox, écrit ses mémoires dans les années trente, publiés en 1936 sous le titre un peu amer de Tu seras seul, il nous livre un témoignage riche et passionnant sur vingt-cinq ans de la vie d'un homosexuel de la Belle Epoque aux Années folles. C'est une archive sans équivalent sur la découverte de l'homosexualité, le difficile dévoilement à soi-même et aux autres, l'acceptation de sa différence par lui-même, ses parents et ses amis. Sous le titre Tu seras seulMémoires d'un homosexuel de la Belle Époque aux Années Folles, les éditions montpelliéraine GayKitschCamp donnent à lire ce tableau vivant de la vie gay à Paris, dans les années vingt, entre bars, rencontres et amours, dans une traduction de Jean-Marc Barféty accompagnée de nombreuses notes sur la vie de Marcel Rottembourg et un dictionnaire des lieux qu'il a fréquentés. Au sommaire du numéro de mars d'Acta fabula, on pourra lire un entretien de Jean-Christophe Corrado avec Jean-Marc Barféty : Alain Rox : s’écrire homosexuel dans le premier XXe siècle

Une histoire de la lecture au XIXe siècle

Une histoire de la lecture au XIXe siècle

Dans les années 1800-1840 domine l’idée que les lectrices ne s’approprieraient pas correctement les livres. Leur accès au savoir est limité, sous peine de mettre en péril l’équilibre entre les sexes. Contre ces préjugés, Isabelle Matamoros nous plonge avec Le pouvoir des lectrices. Une histoire de la lecture au XIXe s. (CNRS éd.) au plus près du quotidien des lectrices et de leurs pratiques. Elle propose non une histoire des représentations et des discours sur la lecture des femmes, mais une histoire genrée de la lecture avec les femmes. Que lisaient-elles ? Quel sens donnaient-elles à leurs lectures ? Si les récits des femmes ici convoqués témoignent du poids des normes, ils laissent surtout transparaître de nombreux usages du livre : se distraire, s’échapper du quotidien, débattre, apprendre, enseigner, ou agir en politique. Et surtout, dans une France corsetée par le Code civil, le désir de s’émanciper. Fabula vous invite à lire l'introduction de l'ouvrage et découvrir la table des matières…

Louis Marin entre texte et image

Louis Marin entre texte et image

En même temps qu'un prodigieux herméneute des textes classiques, le philosophe Louis Marin (1931-1992) fut aussi un profond théoricien de l’image. Autour de 1990, Norman Bryson le rapprochait de la "New Art History" anglophone et Thomas Mitchell le citait parmi ceux qui auraient secoué l’histoire de l’art de son "sommeil dogmatique". En France, Marin a été la source importante d’un renouvellement de l’histoire de l’art, surtout parmi ceux qui ont voulu se démarquer de l’autorité par exemple d’André Chastel. Son influence s'étend aux études littéraire, à travers ses travaux sur Pascal et Port-Royal, Montaigne, Stendhal, Perrault ou La Fontaine, notamment. On constate toutefois que dans ce domaine aussi, c’est en quelque sorte l’image qui est au cœur de ses préoccupations, jetant les bases d’une reconsidération radicale de ce qu’on appelle de manière souvent figée "les relations texte-image". Une livraison de la revue bruxelloise La Part de l'Œil offre une synthèse sur la postérité du philosophe : "Lire, décrire, interpréter. Louis Marin entre texte et image", à l'initiative d'Agnès Guiderdoni & Giacomo Fuk. Fabula vous offre de découvrir quelques pages illustrées…

Rappelons le récent essai de Giuseppe Vizzini, Louis Marin. Littérature, politique et souveraineté, 1963-1993 (Classiques Garnier), mais aussi, déjà salués par Fabula, le dernier volume posthume de Louis Marin, Événements de contemporanéité et autres écrits sur l'art au XXe siècle (Les Presses du Réel), ainsi que la réédition d'une de ses notes de travail La célébration des œuvres d'art dans la collection "Tiré-à-part" des éditions Klincksieck.

Quitter Berlin

Quitter Berlin

Portraits de maudits

Portraits de maudits

Les études rassemblées par Adrien Cavallaro, Andrea Schellino dans Portraits de maudits. La malédiction poétique en représentations, XIXe-XXIe s. (Librairie d'Otrante) reviennent à une source négligée de toute approche de la malédiction artistique : son rapport à l’image, sous toutes ses formes. Au moment de cristalliser dans un titre frappant – Les Poètes maudits – une longue tradition, Verlaine s’y était pourtant montré particulièrement sensible : Tristan Corbière, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé n’étaient pas seulement pour lui des poètes à "tirer des bibliothèques", c’est-à-dire à sauver de l’oubli ; ils étaient aussi des visages photographiés ou peints, à promouvoir avec les techniques modernes de l’illustration. On y croisera de nombreux poètes et artistes qui incarnent aujourd’hui visuellement la notion de malédiction, de Rimbaud à Van Gogh, et jusqu’à une maudite comme Béatrice Douvre, mais aussi des réflexions sur la construction du stéréotype de la malédiction par l’image, notamment dans les anthologies poétiques. Ces Portraits de maudits explorent ainsi une condition d’artiste qu’un imaginaire étendu à deux siècles de mises en scène du malheur artiste. Fabula donne à lire l'Avant-Propos, ainsi qu'un aperçu du cahier iconographique… Saluons au passage dans la même Librairie d'Otrante le volume d'Isabelle Diu et Serge Linarès (dir.), Éditer en poète (XIXe - XXIe siècle), dont on peut découvrir l'introduction : Approches d’une figure socio-littéraire : le poète éditeur.

(Verlaine au café Procope, ca. 1896, photo de Dornac (1858-1941)

Lire aussi les éditos de la rubrique Questions de société…

Et les éditos de la rubrique Web littéraire…

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