
Métamorphoses et reconfigurations de Blanche-Neige
1Dans un ouvrage paru en 2006, Jack Zipes se demandait pourquoi certains contes merveilleux réussissaient à s’ancrer dans l’imaginaire collectif et à perdurer en se transformant pour s’adapter à leur nouveau contexte d’énonciation, tandis que d’autres sombraient dans l’oubli1. Selon lui, le succès non démenti de Blanche-Neige tient ainsi de ce que le conte met en scène un conflit entre femmes — Blanche-Neige et sa [belle-]mère —, issu d’une rivalité instaurée par la société patriarcale : dans le contexte actuel d’exacerbation de cette mise en compétition des femmes, le conte gagnerait en actualité. Dans la lignée des travaux du chercheur américain, Pascale Auraix-Jonchière propose dans Le Cas Blanche-Neige une étude approfondie des métamorphoses et reconfigurations de ce conte qui « cristallise de manière exemplaire les préoccupations sociales concernant le statut des femmes » (p. 12) :
Victime d’un infanticide symbolique, qui est en réalité une forme de féminicide [« il s’agit d’empêcher la part féminine du personnage de se développer » précise l’autrice en note], [Blanche-Neige] cristallise une réflexion sur les représentations sociales du vieillir et sur les relations intergénérationnelles, qui se traduit par un ensemble de reconfigurations du conte qui en bouleversent le schéma initial et redéfinissent les contours des différents acteurs de la cellule familiale. (p. 11)
2C’est en ce sens que Blanche-Neige constitue un « cas », non au seul sens clinique et psychologique — quoique cette dimension soit présente dans bon nombre de réécritures, à commencer par la pièce de théâtre d’Howard Barker dont Pascale Auraix-Jonchière reprend le titre, Le Cas Blanche-Neige (2002) — mais également « au sens narratif du terme, parce que le canevas de cette histoire se noue autour de points sensibles, qui suspendent l’action et l’ouvrent sur des questionnements sociaux et éthiques » (p. 292), comme l’ont montré les récents débats autour du remake live action de Disney.
3L’autrice propose ainsi une lecture sociopoétique d’un certain nombre de (re)configurations — textuelles, scéniques, icono- et cinématographiques — du conte, issues principalement des aires germano- , franco- , anglo- et hispanophones, mais aussi plus occasionnellement italo-, luso- et japanophones, du xixe siècle à nos jours, auxquelles elle avait déjà consacré un nombre important d’articles depuis 2012. Il s’agit, dans cette optique « sociopoétique », d’« analyser l’émergence, dans les réécritures, de lectures nouvelles suivant des constellations socioculturelles, politiques et historiques variées », d’« étudier comment dans une idéologie donnée, dans une époque donnée, dans un milieu sociopolitique particulier, dans un ensemble de représentations sociales et d’autres, plus générales, un mythe vient à reparaître, continuer à vivre, se réécrire et s’activer », selon les mots d’Alain Montandon2. « La sociopoétique », précise-t-il, « se donne donc pour objet d’études la manière dont les représentations sociales (prises au sens large) à une époque articulent, génèrent et structurent le mythe3. » Ce type d’approche du conte merveilleux, initié par Jack Zipes aux États-Unis, prétend ainsi dépasser l’opposition entre les travaux des folkloristes et structuralistes d’une part, qui postulent « une appréhension essentialiste des contes » (p. 7) pour les étudier, et l’optique sociodiscursive et intertextuelle portée par Jean-Michel Adam et Ute Heidmann d’autre part, qui réintègre les contes dans leur co(n)texte spécifique, mais tend à passer outre leur potentiel substrat oral et plus universel (difficilement traçable pour des textes antérieurs aux collectes folkloristes initiées au xixe siècle). Sans oublier ce fondement oral admis, c’est néanmoins « sur les réappropriations diverses (textuelles, iconiques, médiatiques) dont [les contes] sont l’objet à travers le temps en fonction de leur environnement social » (p. 8) que se concentre l’analyse sociopoétique — aussi ne sera-t-il pas question de folklore ici.
Blanche-Neige transhistorique et intermédiale
4Les métamorphoses et reconfigurations de Blanche-Neige sont traitées dans l’ouvrage suivant une progression chronologique et une classification en fonction du medium employé, en prenant comme point de départ le conte des frères Grimm.
5La première partie, « Blanche-Neige et son histoire : prolégomènes », revient d’abord sur l’histoire des éditions allemandes et des premières traductions françaises des Blanche-Neiges de Jacob et Wilhelm Grimm, avant d’évoquer leurs antécédents dans le deuxième chapitre : la fabella d’Amour et Psyché d’Apulée, le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, la Richilde de Musäus et Das Märchen vom Schneewittchen d’Albert Ludwig Grimm, homonyme moins connu des deux frères.
6Le premier chapitre est ainsi l’occasion d’une mise au point détaillée sur les changements apportés par Jacob et Wilhelm Grimm entre les différentes versions figurant sur le manuscrit de 1810, la première édition de 1812, la deuxième de 1819 et la dernière version de la « grande édition » (« große Ausgabe ») de 1857. Quoique cette dernière se soit imposée comme édition de référence, certains éléments des versions précédentes apparaissent comme une « matrice spectrale », « susceptible de ressurgir dans certaines réécritures averties » (p. 16). Ces premières versions accordaient notamment au père un rôle beaucoup plus important que les versions imprimées : dans l’une d’elles, c’est le père qui souhaite avoir une petite fille blanche comme neige, aux joues rouge sang et aux cheveux noir corbeau, si bien que l’enfant apparaît comme le fruit de son désir à lui, non de celui de la mère qui la rejette aussitôt ; dans l’autre, c’est lui qui trouve le cercueil de verre et parvient à la ramener à la vie avec l’aide des médecins. Si cette présence structurante du père et la menace d’inceste qui la sous-tend sont éliminées dès la première édition de 1812, elles ressurgiront dans certaines reconfigurations du conte, par exemple dans le cycle de peintures de Paula Rego (1995) évoqué au chapitre 6 — qui s’ouvre sur l’image d’une Blanche-Neige en costume d’enfant, mais au visage d’adulte portant un trophée de chasse de son père et le cherchant peut-être du regard, tandis que la belle-mère est effacée, agenouillée à l’arrière-plan — ou plus clairement encore dans « L’enfant de la neige » d’Angela Carter (1975), qui suit de près l’une des versions de 1810 et montre finalement le père insérant son membre viril dans « l’enfant de son désir » décédée (chapitre 4). L’hésitation dans la désignation de la reine entre « mère » (1810 et 1812) et « belle-mère » (1819 et éditions suivantes) chez les Grimm explique également selon Jack Zipes qu’à la différence de Cendrillon, Blanche-Neige n’ait pas été actualisée dans ses réécritures comme victime d’un drame familial visant à avertir des dangers de la recomposition familiale, mais comme une victime de la compétition féminine provoquée par le régime patriarcal4. Pour Pascale Auraix-Jonchière, cette hésitation dans la constellation familiale a essentiellement eu comme conséquence une plus grande diversité interprétative dans les différentes reconfigurations du conte de Blanche-Neige, en comparaison de celui de Cendrillon.
7L’autrice poursuit son analyse de détail du premier chapitre en passant au crible les premières traductions françaises du conte. L’étude se concentre ici sur un certain nombre de « nœuds traductologiques » autour de la désignation de Blanche-Neige et de sa (belle-)mère. Traduire « ein Kind », neutre en allemand, par « un » ou « une enfant » par exemple n’est pas anodin, pas plus que le choix entre « petite » et « jeune fille » pour « Mädchen », mais sexualise plus ou moins l’héroïne ; le remplacement du laçage, qui faisait référence à la cotte villageoise lors de la première rencontre avec la reine déguisée, par un « corset » dans les traductions de 1890 et 1913 va dans le même sens, en révélant le désir caché de Blanche-Neige d’« accéder au monde de la séduction » (p. 25).
8La deuxième partie du livre se concentre ensuite sur les réécritures textuelles du conte, et poursuit le parcours chronologique, des « perspectives dix-neuviémistes » (chapitre 3) aux « réécritures contemporaines » (chapitre 4) réparties par genre (théâtre, narration, mise en poème) — le premier texte évoqué, la « Blanche de Neige » de Dumas (1858), faisant ici transition puisqu’il s’agit en réalité d’une traduction du conte des frères Grimm, vraisemblablement réalisée par Octavie Durand avant d’être retravaillée par Dumas.
9L’autrice aborde enfin les reconfigurations intermédiales dans la troisième partie, qui se détache quelque peu de la chronologie pour étudier différents iconotextes (chapitre 5), tableaux (chapitre 6) et films (chapitre 7 et conclusion) des xxe et xxie siècles. L’évocation rapide de la polémique autour du remake live action de Blanche-Neige et les sept nains (2025) en fin de conclusion apparaît comme l’un des rares, voire le seul détour par la culture populaire, les exemples analysés dans l’ouvrage, choisis pour leur « significativité », relevant plutôt de l’art et de la littérature « highbrow ». Si l’autrice montre bien l’influence qu’a pu avoir la Blanche-Neige et les sept nains de Disney (1937) sur un certain nombre de reconfigurations du conte, comme le deuxième poème des Transformations d’Anne Sexton qui en reprend le titre, « Snow White and the Seven Dwarfs » (1971, chapitre 4), les tableaux de Paula Rego (chapitre 6) ou la « Snowy » de Dina Goldstein (2009, conclusion), on pourrait moduler quelque peu l’interprétation de cette dernière œuvre : si l’on ne peut que tomber d’accord avec la chercheuse lorsqu’elle écrit que celle-ci « donne à voir une fabrique des représentations, dans la mesure où la démarche ici adoptée s’applique à démonter les mécanismes des stéréotypes, eux-mêmes issus d’une certaine réception et donc interprétation » de Blanche-Neige, il n’y a pas forcément lieu de voir ici un croisement entre ce conte et le mythe de Superman, le costume de l’époux de Blanche-Neige correspondant davantage à celui du prince dans le dessin animé de 1937 qu’à la combinaison du superhéros.
Quelques perspectives d’ensemble
10L’ouvrage montre que la constellation des personnages et la répartition actancielle du conte évoluent : dans la pièce Le Cas Blanche-Neige d’Howard Barker (2005, chapitre 4) comme dans le téléfilm Miroir mon amour de Siegrid Alnoy (2012, conclusion), c’est Blanche-Neige, non la reine, qui initie le conflit et veut éliminer sa rivale, sur laquelle elle projette un certain nombre de fantasmes — phénomène que Jack Zipes mettait en rapport avec l’exacerbation de la compétition féminine au xxie siècle5. Comme le faisait la Richilde de Musäus (1782, chapitre 2), dont l’héroïne éponyme n’était pas l’enfant, mais celle qui deviendra sa marâtre, un certain nombre de réécritures tendent par ailleurs à faire de la (belle-)mère le personnage principal du conte : c’est le cas, par exemple, de « La Princesse Neigefleur » de Jean Lorrain (1894-1902), dont l’héroïne est la reine Imogine, figure d’un féminin dominateur caractéristique de la fin du xixe siècle (chapitre 3), et de l’album Adieu Blanche-Neige de Beatrice Alemagna (2021), raconté du point de vue de la reine (chapitre 5). Mais si cette dernière prend parfois la place de l’héroïne, ce n’est jamais elle qui triomphe, souligne la chercheuse. Le personnage du chasseur gagne aussi en importance, en particulier dans les réécritures théâtrales de Robert Walser (1900-1902, chapitre 3) et Elfriede Jelinek (2003, chapitre 4). Blanche-Neige, pour sa part, s’affirme et prend la parole : alors qu’elle parlait peu, et essentiellement dans un but pragmatique dans le conte des frères Grimm, nombre de réécritures contemporaines la laissent s’exprimer. C’est elle, ainsi, qui ouvre le dialogue avec le chasseur dans la Schneewittchen de Jelinek ; et Les Carnets secrets de Blanche-Neige de Jésús Del Campo (2001) apparaissent comme une longue monodie du personnage qui se rêve en conteuse. Si le mariage avec le prince l’empêche de lire et si la lecture des contes se voit interdite dans son nouveau pays, l’excipit la montre in fine en train d’écrire sa propre histoire (chapitre 4). Les nains quant à eux, d’auxiliaires, deviennent parfois agresseurs — ils font de Blanche-Neige leur esclave sexuelle dans Le Cas Blanche-Neige d’Howard Barker (chapitre 4) et font commerce de son corps dans la Snowhite d’Ana Juan (2010, chapitre 5) — ou au contraire justiciers — ce sont eux qui dénoncent la reine et la capturent, transformée en corbeau, pour la mettre en cage dans l’album illustré par Manuela Adreani (2014, chapitre 5) ; l’un d’eux remplace même le prince dans le film de Pablo Berger (2012, chapitre 7).
11Par-delà cette diversité rappelée en conclusion, deux tendances globales semblent cependant se dessiner dans les reconfigurations évoquées : l’une à la psychologisation du conflit, l’autre à sa politisation (comprise ici comme dénonciation du piège tendu aux femmes par la société). Quoique ces deux pôles (qui ne s’opposent pas nécessairement) ne soient pas explicitement posés comme tels par la chercheuse, ils correspondent de façon assez parlante à deux concepts exposés par l’autrice dans le troisième chapitre : le « merveilleux psychique » (p. 92) et le « conte de faits » (p. 59). Le premier, formulé à propos de « La Princesse Neigefleur » de Jean Lorrain, renvoie à un phénomène d’« hybridation », où le « merveilleux » de la forêt peut s’interpréter comme « une métaphore de l’intensité de [l]a psychose [de la reine] » (p. 92) : tout ne serait-il finalement qu’une projection mentale ? Ce concept pourrait s’appliquer également à l’Adieu Blanche-Neige de Beatrice Alemagna, dont les tableaux sont comme envahis par la psyché de la reine. Plus généralement, nombre de reconfigurations déplacent le conflit dans les fantasmes de l’un ou l’autre personnage, et Howard Barker fait même de Blanche-Neige le cas clinique d’un syndrome psychologique « miroir du syndrome de Peter Pan pour les personnes adultes » selon les mots de son metteur en scène, un nouveau syndrome se manifestant non par « un état d’enfance permanent chez le jeune adulte », mais au contraire par la volonté exacerbée d’abandonner son innocence pour devenir adulte au plus vite (p. 119).
12Le concept de « conte de faits », ici appliqué à la « Blanche de Neige » de Dumas, est repris d’un article antérieur de Pascale Auraix-Jonchière, dans lequel elle comparait deux fictions brèves de Maupassant, « Le Bonheur » et « La Parure », et montrait notamment comment cette dernière reconfigurait le conte de Cendrillon, le réécrivant à rebours tout en illustrant a contrario sa moralité finale6. L’« anti-conte » naturaliste de Zola (Le Rêve, 1888, chapitre 3) dont Pascale Auraix-Jonchière démontre qu’il reconfigure le conte de Blanche-Neige pour mettre en évidence le triomphe du milieu sur la féerie rêvée, pourrait constituer un autre cas d’application, de même que les réécritures féministes des xxe et xxie siècles, comme le poème d’Anne Sexton, qui « développ[ait] une analyse sociale sur le risque de définitive pétrification et domestication que cour[aient] les jeunes filles dans la société de consommation américaine des années soixante » (p. 179), ou l’album d’Ana Juan et l’exposition à laquelle il a donné lieu, « La Caja secreta de Snowhite », qui dénoncent l’impossibilité, pour les petites filles comme pour les femmes, de « sortir du labyrinthe » des pièges tendus par la société : point de fées, ici, pour remédier à la dure réalité des faits.
Deux leitmotivs : les couleurs, la forêt
13On peut enfin signaler la présence répétée de deux intéressantes focales d’analyse, le traitement des couleurs (rêverie en blanc, rouge et noir de l’ouverture du conte, jaune et vert symbolisant l’envie de la reine devant la beauté de Blanche-Neige) et celui de la forêt. Ce second centre d’intérêt, qui fait écho à d’autres publications récentes de l’autrice7, ouvre la stimulante perspective d’une lecture écopoétique du conte. La forêt romantique que se sont réappropriés les frères Grimm, « potentiellement effrayante, chargée des terreurs propres au nocturne qu’elle véhicule fréquemment », mais surtout « espace de progrès pour ceux qui la traversent ou qui s’y réfugient » (p. 135), fait ainsi l’objet d’un certain nombre de transformations : elle « se drape des ténèbres de l’inconscient » dans « La Princesse Neigefleur » de Jean Lorrain (p. 135), où elle devient « un espace psychique, à l’image de l’esprit torturé » de la reine (p. 91), et se fait « espace de projection » chez Howard Barker, une terre partiellement inexplorée, où les dangers viennent des hommes et de leurs pulsions, et dont la morbidité (eaux stagnantes, insectes, crapauds) dit l’association de la sexualité à la saleté (p. 135-137). Dans Les Carnets secrets de Blanche-Neige de Jésús Del Campo, la forêt devient « métaphore métapoétique », une « forêt des contes » (Pascale Auraix-Jonchière reprend l’expression à Pierre Péju8), puisque c’est dans celle-ci que Blanche-Neige prend l’habitude d’en lire. À l’opposé, elle se mue en jungle urbaine aux dangers bien réels dans l’iconotexte d’Ana Juan — remplacement qui en dit long tant sur la source réelle du danger encouru par les jeunes filles que, pourrait-on ajouter, sur la disparition progressive des territoires forestiers à l’époque contemporaine.
14L’importance accordée aux couleurs est peut-être inspirée des Chants populaires de Philippe Beck (2007) qui, en stylisant le conte à l’extrême, donnent à celles-ci une importance particulière : « Femme à la fenêtre noire / donne trois gouttes de sang / à Neige. / […] Une couleur lui donne son nom » (p. 185) puis « L’interrogatoire du miroir / crée de nouvelles couleurs dans le cœur/de la mère suivante : / jaune et vert » (p. 188-189). Le noir de la fenêtre place la mère de Blanche-Neige sous le signe d’une « féminité funèbre » et remplace la mention explicite de sa disparition, tandis que le jaune et le vert qui symbolisaient la jalousie envieuse de la belle-mère en viennent à représenter le sentiment au point de prendre sa place. Quant à Blanche-Neige, le poème montre son évolution, de « Neige », silencieuse et immatérielle, à « Blanche », porteuse d’un éclat lumineux (chapitre 4). L’analyse des différentes reconfigurations au prisme de ces couleurs (blanc, rouge, noir, jaune, vert) s’avère particulièrement enrichissante. Elle éclaire ainsi la trame intertextuelle sous-jacente du conte des frères Grimm, et permet à l’autrice de montrer que « tout se passe comme si le travail du texte de 1810 à 1812 puis à 1819 visait à se rapprocher de la configuration esthétique, émotionnelle et intrapsychique qui caractérise la séquence établie par Chrétien de Troyes » (p. 38) dans le Conte du Graal (chapitre 2). Elle éclaire également les choix interprétatifs qui guident les différentes reconfigurations ultérieures du conte : ainsi, la représentation des deux reines (la mère biologique et la belle-mère de Blanche-Neige) en rouge, couleur associée au sang, dans l’album illustré par Pep Montserrat (2003) les présente comme deux personnages finalement semblables, et dénonce ainsi « une forme de fatalité sociale qui voudrait que les femmes obéissent aux injonctions androcentriques afin de procréer […] alors que la procréation les met précisément en position de faiblesse, les confrontant à l’image de leur propre déclin » (chapitre 5, p. 213-214).
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15Le parcours ainsi proposé parmi certaines métamorphoses de Blanche-Neige du xixe à nos jours s’avère donc stimulant à plus d’un titre, et complète l’analyse plus succincte proposée par Jack Zipes en 2006. Outre que l’autrice y analyse un nombre important de reconfigurations textuelles et intermédiales du conte (sans néanmoins prétendre à une impossible exhaustivité), la méthodologie adoptée ouvre également de nouvelles perspectives, en accordant une place plus importante à la psychologie et au symbolisme (des éléments, des couleurs), ainsi qu’à l’analyse de détails textuels signifiants. Le cas Blanche-Neige ouvre enfin plus discrètement la voie à une approche écopoétique des contes, réfléchissant non seulement au statut des femmes, mais aussi à celui de la forêt, autre question brûlante d’actualité s’il en est.

