Questions de société

éditos

Des œuvres-outils pour la justice

Des œuvres-outils pour la justice

Au sein de la Cour pénale internationale (CPI), où tente de s’inventer la justice internationale pénale du XXIe siècle, que peuvent faire l’art ou la poésie ? Ressaisir des matériaux et des situations, et les traiter à partir de leurs propres outils et dispositifs, pour tenter d’en faire émerger d’autres types de savoirs, latents, et non exploités. Dans Muzungu à la CPI. Des œuvres-outils, Franck Leibovici et Julien Seroussi rendent compte d’une expérience déployée à la CPI entre 2016 et 2022 au moyen d’œuvres-outils — à la fois œuvres d’art et outils pour professionnels. En plongeant dans le procès de deux chefs de milice accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans l’Est de la République Démocratique du Congo, les auteurs montrent comment, à chaque étape du procès ou dans chaque département de la CPI, l’art et la poésie peuvent s’immiscer – non pour alléger ou égayer par un "supplément d’âme" des crimes trop lourds à porter, mais pour ouvrir des espaces de représentation, susciter de nouvelles questions, permettre aux juges mêmes de nouvelles actions.

La psychanalyse commencerait-elle à nous manquer ?

La psychanalyse commencerait-elle à nous manquer ?

"On fait – mais on ne sait pas ce qu'on fait. On parle – on ne sait pas ce qu'on dit. Pas davantage à qui. On défère, on ignore à quoi. On accumule des biens, mais sans idée de ce qu'on cherche. Double-fond des actions individuelles. Et double-fond des rapports sociaux. Qui, à leur logique propre, ajoutent celle, le plus souvent inaperçue, de l'investissement pulsionnel." Dans Pulsion (La Découverte), Frédéric Lordon et Sandra Lucbert reprennent à quatre bras la question de la pulsion, que la psychanalyse est venue formuler (inconscient, jouissance, fantasme, refoulement) mais aussi bien refermer (LePhallus, LaCastration, LaLoi). Dans un étonnant dispositif d'écriture, les deux théoriciens se propose de "reprendre tout l'appareil conceptuel de la pulsion – pour le brancher sur la variabilité des mondes collectifs", en rappelant que la pulsion n'a jamais cessé d'irriguer les formations sociales et leurs rapports. "Entre capitalisme devenu forcené et fascisme de retour, la voilà même qui sature à nouveau le paysage politique – pas pour le meilleur. Déterminante d'autant plus qu'invisible. Il était temps de s'en occuper à nouveau." Fabula vous offre de parcourir la Table des matières, et de lire les premières pages…

(Illustr. : Nancy Allen dans Pulsion/Dressed to kill de Brian De Palma, 1980)

Une famille ordinaire

Une famille ordinaire

Par une sombre après-midi d’hiver, en 1764, dans la ville paisible d’Angoulême, 83 personnes se réunissent pour signer un contrat prénuptial pour la fille d’une certaine Marie Aymard, une veuve illettrée. Ce même nom apparaît sur une procuration concernant les biens de son défunt mari, un menuisier parti travailler sur l’île de Grenade. Voici tout ce qu’il reste de son existence, deux documents conservés dans les archives. C’est peu au regard de l’épaisseur d’une vie, mais c’est suffisant pour en retracer son histoire, comme celle de ses descendants, pour qui sait les lire. Qu’est-ce que le destin d’une famille ordinaire peut nous dire sur les mobilités sociales et les mutations économiques d’un long XIXe siècle ? Beaucoup, c’est le pari des romanciers. C’est aussi celui que relève Emma Rothschild, en historienne, dans Une famille ordinaire dans l’histoire de France (Seuil), qui plonge le lecteur dans une enquête historique de grande ampleur, sur cinq générations. Fabula vous propose de feuilleter le livre sur le site de l'éditeur…

Pour une médecine narrative

Pour une médecine narrative

Dans Faire du soin toute une histoire. La médecine narrative racontée aux soignants (Le Bord de l'eau), Pierre Boyer invite à découvrir la médecine narrative à travers un récit de fiction théâtrale qui met en scène un médecin hospitalier réchappé d’un syndrome de burnout : le Dr Félix Ménard a découvert les bénéfices de la médecine narrative et tâche de les appliquer à sa pratique quotidienne, à son retour d’un congé de plusieurs mois ; il est convoqué devant un conseil de respect des bonnes pratiques médicales qui n’est pas sans rappeler un tribunal ; il défend les concepts d’écoute attentive, de symétrie dans la relation de soin, d’attention et d’empathie, de phénoménologie et d’herméneutique, de transmission du savoir… À l’extérieur, sous les fenêtres du conseil, des manifestants pour la défense du service public occupent le décor sonore et finissent par faire irruption dans la salle pour prendre sa défense. 

Paraît dans le même temps aux mêmes éditions sous la signature d'Isabelle Galichon un Manifeste pour la médecine narrative, sous-titré Pour une politique de la littérature dans le soin. Que peut apporter la médecine narrative à un hôpital en crise, aux soignants confrontés à des professions en perte de sens, mais aussi à des étudiants en sciences de la santé, soignants en devenir, bien souvent en état de souffrance psychique ? Ce manifeste donne à entendre, à partir de la médecine narrative, l’importance de la littérature et des études littéraires dans le champ de la santé : la fréquentation de la littérature mais aussi de l’art, les pratiques artistiques permettent de penser le soin comme une expérience sensible dans nos institutions hospitalière et universitaire.

Rappelons l'essai d'Isabelle Galichon au sommaire de Pour une littérature du care accueilli dans les Colloques en ligne de Fabula : "La littérature en médecine narrative, une expérience (du) sensible".

"On ne peut plus rien dire" ?

Une affaire de discipline

Une affaire de discipline

La question de la discipline est des plus paradoxales : il est exigé aujourd’hui des sciences humaines et sociales qu’elles prennent leur part dans la crise écologique, la course aux sciences cognitives et à l’intelligence artificielle notamment ; elles devraient se rassembler en un conglomérat qui puisse peser face aux sciences du vivant dont l’articulation de leurs divers domaines de recherche s’impose comme le grand modèle à suivre. Or cette pluridisciplinarité, clef des financements internationaux, entre en totale contradiction avec, à l’échelon national, les critères d’évaluation des carrières qui demeurent résolument disciplinaires. On attend de chacun qu’il creuse son sillon toujours plus spécialisé. La collection NRF Essais a demandé à quelques-uns de ses auteurs et autrices de prendre le temps de penser la notion de discipline, telle qu’ils la conçoivent, la pratiquent et l’enrichissent. Autant d'essais réunis sous le titre Servitudes et grandeurs des disciplines. Fabula vous invite à lire un extrait de l'ouvrage…

Coulisses et marges de la protestation

Coulisses et marges de la protestation

Si la dimension langagière des mouvements sociaux a fait l’objet de recherches dès les années 1960, les travaux existants privilégient dans leur majorité des corpus de paroles ou de textes publics. Les productions langagières protestataires qui se situent en amont et en périphérie de leurs processus de publicisation ont été bien moins étudiées. Les investiguer implique un travail d’enquête archivistique ou ethnographique, accompagné d’une réflexivité éthique et méthodologique, afin de pouvoir transformer en corpus ce qui se dit et s’écrit dans les coulisses et les marges des mobilisations. Une livraison de la revue Langage & Société, désormais accessible en ligne via Cairn nous fait entrer dans les "Coulisses et marges de la protestation" : partant d’un dialogue entre analyse de discours, sociolinguistique, sociologie des mobilisations et théories des (contre-)publics, ce dossier explore les propositions de James Scott pour analyser le "texte caché" des groupes dominés, l’usage d’archives écrites pour saisir le travail de protestation au XIXe siècle depuis ses marges ; il s’intéresse à l’ethnographie des échanges langagiers en terrain militant pour investiguer la constitution ou le délitement des stratégies d’alliance entre des groupes et l’élaboration collective d’un discours pour défendre une cause émergente. Il se clôt par un entretien collectif sur les enjeux méthodologiques, épistémologiques et éthiques des enquêtes sur les coulisses militantes.