Questions de société

éditos

Qui doit juger des mots ?

Qui doit juger des mots ?

Dans la collection "La compagnie des langues" inaugurée en 2020 aux éditions Actes Sud par le volume supervisé par Gilles Siouffi, Une Histoire de la phrase française. Des Serments de Strasbourg aux écritures numériques, et qui aurait bien mérité d'accueillir Paris-Babel. Histoire linguistique d'une ville-monde récemment publié par le même Gilles Siouffi, paraît le nouvel essai d'Anna Arzoumanov, Juger les mots. Liberté d'expression, justice et langue. La liberté d'expression, principe fondamental des systèmes juridiques français et européen, suscite aujourd’hui de nombreux débats et de vives inquiétudes. La rengaine "on ne peut plus rien dire" est à entendre comme un symptôme. Comment répondre au sentiment ainsi exprimé d’une certaine insécurité juridique, voire d'une application à deux vitesses de la liberté d’expression selon les situations ? Pour nourrir la réflexion, ce livre vise à préciser les contours de cette liberté en France, à clarifier et à discuter les principes selon lesquels il revient aux magistrats de juger les mots. Sur quelles bases légales et quels critères repose la définition de ce qui peut ou ne peut être dit ? Quelles difficultés pratiques les juges rencontrent-ils dans l’évaluation de cette frontière, et comment peuvent-elles être résolues de manière cohérente et juste ? L'ouvrage invite à une réflexion sur le rôle du droit dans la régulation des discours, tout en invitant à un dialogue approfondi avec d’autres domaines du savoir issus des sciences humaines et sociales. Dans un contexte où la liberté d’expression est devenue un enjeu politique majeur, cette démarche est essentielle pour appréhender les défis contemporains auxquels l’institution judiciaire doit faire face. Fabula vous propose d'en lire les premières pages… Rappelons qu'on peut lire dans dans la 25e livraison de la revue Fabula-LhT, "Débattre d'une fiction", une réflexion d'Anna Arzoumanov intitulée "Débattre d’une fiction au tribunal. Pour une étude de la jurisprudence en droit de la presse depuis les années 2000".

Risquer la prudence

Risquer la prudence

L'appartenance au monde

L'appartenance au monde

"La cause est entendue : l’homme n’est pas son corps, il est un esprit ou un moi qui n’est lié que subsidiairement à celui-ci ; il appartient à un ordre de réalités plus élevé. Il est un étranger dans le monde et n’y traîne qu’une existence diminuée. La révolution scientifique du xviie siècle nous a enseigné une fois pour toutes que seules existent les particules de la physique et que le monde des sens se réduit à une apparence. Désormais, les promoteurs de l’IA et du transhumanisme nous promettent un avenir radieux où nous serions délivrés d’une partie de cette enveloppe de notre système nerveux central, dépourvue de valeur, car ne véhiculant aucune information exploitable sous forme d’algorithmes qui pourrait augmenter nos capacités par l’interface avec la machine". Dans L'Appartenance au monde (Seuil), Claude Romano nous invite à rompre avec ces évidences. Il cherche à lever les obstacles théoriques qui semblent nous interdire de considérer notre corps comme étant nous-mêmes et la perception comme une saisie directe des choses dans leur réalité, indépendante de notre esprit. Déployant une réflexion sur les principes, il voudrait nous faire prendre conscience de ce que nous sommes à la fois dans le monde et du monde, en sorte que notre destin est inexorablement lié avec le sien. "Aujourd’hui plus que jamais, la tâche de la philosophie n’est pas de nous permettre de transcender notre environnement sensible mais de nous ramener à lui et de nous aider à y reprendre place en méditant notre condition merveilleusement corporelle, comme dit Montaigne".

Des savoirs situés

Des savoirs situés

Aron contre Sartre

Aron contre Sartre

Il fut un temps où mieux valait avoir tort avec Sartre que raison avec Raymond Aron. L'alternative est aujourd'hui ailleurs, et l'époque ne nous demande plus même de choisir, mais l'œuvre du penseur libéral fait l'objet d'une attention nouvelle : Calman-Lévy, qui a entrepris la réédition de ses œuvres, fait paraître les textes d'Aron relatifs à Sartre, réunis par Perrine Simon-Nahum sous le titre : Aron critique de Sartre. Les deux condisciples de l'École normale supérieure s’opposent dans les années 1950 sur l’interprétation du marxisme et la question du sens de l’histoire. Si Aron reconnaît le génie de l’écrivain Sartre, il ne ménage pas ses critiques à l’égard de sa philosophie. Histoire et Dialectique de la violence, résultat du grand cours qu’il consacre treize ans après sa parution en 1960 à la Critique de la raison dialectique, le dernier grand ouvrage philosophique de Sartre, marque le point d’orgue de ce "dialogue" philosophique. Fabula vous propose de feuilleter l'ouvrage… Raymon Aron est également au sommaire du 101e numéro de la revue Cités, sous le titre "Raymond Aron ou la liberté de la pensée".

Suivre les transclasses

Suivre les transclasses

Les Presses Universitairs de France rééditent l'ouvrage fondateur où Chantal Jaquet a forgé en 2014 la notion de transclasse pour désigner les personnes qui passent d’un milieu social à un autre. L’ambition de l'essai intitulé Les transclasses ou la non-reproduction a été de comprendre philosophiquement le passage peu fréquent d’une classe sociale à l’autre et de construire pour cela une méthode d’approche des cas particuliers. Dans une première partie, l’autrice met en évidence les causes politiques, économiques, sociales, familiales, singulières, qui président à la non-reproduction sociale, et analyse dans une seconde partie leurs effets sur la constitution des individus qui transitent d’une classe à l’autre. Rappelons le récent essai signé par Laélia Véron et Karine Abiven, Trahir et venger. Paradoxes des récits de transfuges de classe (La Découverte), dont on peut lire un compte rendu publié dans Acta fabula : "Une synthèse documentée sur les récits de transfuges de classe" par Jérôme Meizoz.

Mémoires de l'esclavage

Mémoires de l'esclavage

Partant de sources longtemps peu mobilisées (les images, les objets, les vestiges), le volume Esclavages. Représentations visuelles et cultures matérielles (CNRS éd.) rend compte des recherches les plus récentes menées sur l’esclavage. À partir de représentations visuelles (tableaux, tapisseries, sculptures, etc.) qui ont durablement façonné les esprits, et qui sont ici regardées autrement, il montre les discours de domination et les relations de pouvoir qui s’y nichent. Fabula vous invite à découvrir son sommaire. Paraît dans le même temps Deux récits d'esclaves fugitifs, ceux de Moses Roper et Josiah Henson (P.U. de Rouen & du Havre), publiés respectivement en 1837 et 1849. Les témoignages de ces deux hommes, l’un presque blanc, l’autre non métissé, l’un vivant dans le Sud profond et l’autre dans le Sud septentrional, l’un rebelle né, le second l’image même de la respectabilité, apportent un éclairage contrasté sur des expériences de vie puis d’évasion très différentes. Saluons aussi la réédition de la pièce d'Auguste Anicet-Bourgeois et Michel Masson, Atar-Gull. Mélodrame (L'Harmattan) par les soins de Barbara T. Cooper, adapté du roman éponyme d’Eugene Sue, qui explore les conséquences de la transformation des corps noirs en marchandise et moyen de production. La revue L'Âge d'or consacre l'une de ses livraisons aux Les récits d’esclaves dans les mondes ibéro-américains. Rappelons le compte rendu dans Acta fabula le compte rendu par Christophe Cosker sur Les Marrons (1844) de Louis Timagène Houat, le tout premier roman réunionnais, et la recension par François Rosset de l'essai de David Diop, Rhétorique nègre au XVIIIe siècle. Des récits de voyage à la littérature abolitionniste, sous l'intitulé : "La parole colonisée : rhétorique & relations de voyages en Afrique au XVIIIe siècle".