Questions de société

éditos

Un grand corps malade (malgré nous)

Un grand corps malade (malgré nous)

Les offres de postes toujours plus précaires affichées par Fabula semaine après semaine en témoignent bien malgré nous : l'enseignement supérieur français est un grand corps malade. S’appuyant sur une enquête menée auprès des enseignants-chercheurs entre 2020 et 2022, Dominique Glaymann expose dans Enseignants-chercheurs : un grand corps malade (Le Bord de l'eau) la réalité peu connue du travail de ces acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche avant de présenter les atteintes multiples qu’ils ont subies et de mettre en lumière la dégradation et le malaise largement ressenti parmi eux. L’auteur montre précisément comment cette profession a été affectée en termes de contenu, de conditions et de sens du travail, mais aussi de reconnaissance de leur contribution au service public par les différentes "réformes" depuis la loi LRU de 2007 et la LPR de 2020. Paraît dans le même temps le témoignage de Thomas Porcher : Le vacataire. Expérience vécue de la précarité à l'université (Stock), qui retrace le quotidien d'un de ces enseignants sans statut, sans congés, sans droits aux allocations chômage, et dont le maigre salaire n'est pas même mensualisé…, en s'interrogeant sur les choix politiques qui amènent à précariser, dans l’indifférence quasi-générale, les services publics et leurs personnels depuis plus de trente ans. Fabula vous invite à feuilleter cet édifiant ouvrage…

À l'ouest de l'Ukraine

À l'ouest de l'Ukraine

En revenant sur la vie de Suzanne, sa mère, née à Paris en 1907 de parents originaires de Brody en Galicie (aujourd’hui en Ukraine), Jean-Claude Grumberg retrace dans Quand la terre était plate (Seuil, "La Librairie du XXIe s.") deux guerres mondiales et un siècle de soupçons, d’expulsions, d’exils et pogroms, en tentant de produire le récit dont les protagonistes ont disparu : comment raconter une histoire vraie quand on ne la connaît pas ? Fabula vous invite à lire les premières pages de l'ouvrage…

Flammarion réédite dans la collection "Champs Essais" le livre d'Omer Bartov paru en français en 2021 aux éditions Plein Jour : Anatomie d'un génocide. Vie et mort dans une ville nommée Buczacz, petite ville de Galicie : pendant plus de quatre cents ans, des communautés diverses y ont vécu plus ou moins ensemble – jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, qui a vu la disparition de toute sa population juive. En se concentrant sur ce seul lieu, qu’il étudie depuis l’avant-Première Guerre mondiale, Omer Bartov reconstitue une évolution polarisée par l’avènement des nationalismes polonais et ukrainien, et la lutte entre les deux communautés, tandis que l’antisémitisme s’accroît. Fabula vous propose de feuilleter également cet ouvrage… Les éditions Plein Jour font paraître ces jours-ci un autre essai d'Omer Bartov, Contes des frontières. Faire et défaire le passé en Ukraine, où revient vers Buczacz pour étudier cette fois les perceptions et l’imaginaire que chacune des communautés juive, polonaise et ukrainienne nourrissait sur elle-même, ce a depuis les origines de sa présence dans ce territoire des confins de l’Europe. Comment des voisins partageant un sol commun ont-ils élaboré des récits fondateurs de leurs identités jusqu’à opposer leurs mémoires ? Le livre, qui traite de ces récits "nationaux", de la construction de l’identité et de l’opposition qu’elle peut induire entre les différents groupes, apparaît comme une clé de compréhension du passé autant que du présent.

Flammarion publie également l'essai de Steven J. Zipperstein, Pogrom. Kichinev ou comment l'Histoire a basculé, qui retrace le progrom déclenché en avril 1903, dans la Russie tsariste,par une accusation archaïque de crime rituel dévaste le quartier juif de Kichinev, aujourd’hui Chiinu, capitale de la Moldavie. En l’espace de trois jours, quarante-neuf Juifs sont tués, six cents violés ou blessés, et mille maisons pillées et détruites. Comme jamais auparavant dans l’Histoire, ce crime antisémite déclenche une émotion mondiale, et joue un rôle important dans l’histoire des Juifs au XXᵉ siècle, entre socialisme et sionisme, mais aussi, a contrario, dans la propagande antisémite, en préciptant la première publication des Protocoles des Sages de Sion. Fabula vous invite ici encore à feuilleter l'ouvrage…

Paraît encore aux éditions Non Lieu la première traduction française du recueil des reportages de Filip Brunea-Fox, Un pogrom à Bucarest, récédé de Cinq jours chez les lépreux et autres reportagesqui s'intéresse aux marges et aux exclus de la Grande Roumanie entre les deux guerres mondiales. Les textes choisis, parmi les plus célèbres de l'auteur, évoquent des mondes disparus : les lépreux de Bessarabie, l'île turque d'Ada Kale, les juifs du Maramures... et donnent à lire aussi son témoignage sur le pogrom de 1941 à Bucarest, qui constitue un document historique de premier ordre. Et rappelons l'enquête de Marta Caraion, déjà saluée par Fabula et dont paraît ces jours-ci la traduction en roumain : Géographie des ténèbres. Bucarest-Transnistrie-Odessa 1941-1981 (Fayard), qui retrace une histoire familiale, d'Est en Ouest de l'Europe, au xxe siècle : Odessa, Bucarest, Paris, Chisinau, Lausanne longtemps après, avec au centre du drame, le récit occulté de la déportation des Juifs d'Odessa en Transnistrie, ce territoire qui, le temps de la guerre, entre le Dniestr et le Bug, a servi de laboratoire d'extermination ethnique à la Roumanie de Ion Antonescu. Une rencontre aura lieu le 4 mai prochain au Mémorial de la Shoah : "Vie et mort des juifs d'Odessa".

(Illustr. Inauguration d’un monument dédié aux Juifs assassinés à Buczacz, juillet 1944. Source : Yad Vashem)

Risquer la prudence

Risquer la prudence

L'appartenance au monde

L'appartenance au monde

"La cause est entendue : l’homme n’est pas son corps, il est un esprit ou un moi qui n’est lié que subsidiairement à celui-ci ; il appartient à un ordre de réalités plus élevé. Il est un étranger dans le monde et n’y traîne qu’une existence diminuée. La révolution scientifique du xviie siècle nous a enseigné une fois pour toutes que seules existent les particules de la physique et que le monde des sens se réduit à une apparence. Désormais, les promoteurs de l’IA et du transhumanisme nous promettent un avenir radieux où nous serions délivrés d’une partie de cette enveloppe de notre système nerveux central, dépourvue de valeur, car ne véhiculant aucune information exploitable sous forme d’algorithmes qui pourrait augmenter nos capacités par l’interface avec la machine". Dans L'Appartenance au monde (Seuil), Claude Romano nous invite à rompre avec ces évidences. Il cherche à lever les obstacles théoriques qui semblent nous interdire de considérer notre corps comme étant nous-mêmes et la perception comme une saisie directe des choses dans leur réalité, indépendante de notre esprit. Déployant une réflexion sur les principes, il voudrait nous faire prendre conscience de ce que nous sommes à la fois dans le monde et du monde, en sorte que notre destin est inexorablement lié avec le sien. "Aujourd’hui plus que jamais, la tâche de la philosophie n’est pas de nous permettre de transcender notre environnement sensible mais de nous ramener à lui et de nous aider à y reprendre place en méditant notre condition merveilleusement corporelle, comme dit Montaigne".

Qui doit juger des mots ?

Qui doit juger des mots ?

Dans la collection "La compagnie des langues" inaugurée en 2020 aux éditions Actes Sud par le volume supervisé par Gilles Siouffi, Une Histoire de la phrase française. Des Serments de Strasbourg aux écritures numériques, et qui aurait bien mérité d'accueillir Paris-Babel. Histoire linguistique d'une ville-monde récemment publié par le même Gilles Siouffi, paraît le nouvel essai d'Anna Arzoumanov, Juger les mots. Liberté d'expression, justice et langue. La liberté d'expression, principe fondamental des systèmes juridiques français et européen, suscite aujourd’hui de nombreux débats et de vives inquiétudes. La rengaine "on ne peut plus rien dire" est à entendre comme un symptôme. Comment répondre au sentiment ainsi exprimé d’une certaine insécurité juridique, voire d'une application à deux vitesses de la liberté d’expression selon les situations ? Pour nourrir la réflexion, ce livre vise à préciser les contours de cette liberté en France, à clarifier et à discuter les principes selon lesquels il revient aux magistrats de juger les mots. Sur quelles bases légales et quels critères repose la définition de ce qui peut ou ne peut être dit ? Quelles difficultés pratiques les juges rencontrent-ils dans l’évaluation de cette frontière, et comment peuvent-elles être résolues de manière cohérente et juste ? L'ouvrage invite à une réflexion sur le rôle du droit dans la régulation des discours, tout en invitant à un dialogue approfondi avec d’autres domaines du savoir issus des sciences humaines et sociales. Dans un contexte où la liberté d’expression est devenue un enjeu politique majeur, cette démarche est essentielle pour appréhender les défis contemporains auxquels l’institution judiciaire doit faire face. Fabula vous propose d'en lire les premières pages… Rappelons qu'on peut lire dans dans la 25e livraison de la revue Fabula-LhT, "Débattre d'une fiction", une réflexion d'Anna Arzoumanov intitulée "Débattre d’une fiction au tribunal. Pour une étude de la jurisprudence en droit de la presse depuis les années 2000".

Aron contre Sartre

Aron contre Sartre

Il fut un temps où mieux valait avoir tort avec Sartre que raison avec Raymond Aron. L'alternative est aujourd'hui ailleurs, et l'époque ne nous demande plus même de choisir, mais l'œuvre du penseur libéral fait l'objet d'une attention nouvelle : Calman-Lévy, qui a entrepris la réédition de ses œuvres, fait paraître les textes d'Aron relatifs à Sartre, réunis par Perrine Simon-Nahum sous le titre : Aron critique de Sartre. Les deux condisciples de l'École normale supérieure s’opposent dans les années 1950 sur l’interprétation du marxisme et la question du sens de l’histoire. Si Aron reconnaît le génie de l’écrivain Sartre, il ne ménage pas ses critiques à l’égard de sa philosophie. Histoire et Dialectique de la violence, résultat du grand cours qu’il consacre treize ans après sa parution en 1960 à la Critique de la raison dialectique, le dernier grand ouvrage philosophique de Sartre, marque le point d’orgue de ce "dialogue" philosophique. Fabula vous propose de feuilleter l'ouvrage… Raymon Aron est également au sommaire du 101e numéro de la revue Cités, sous le titre "Raymond Aron ou la liberté de la pensée".

Suivre les transclasses

Suivre les transclasses

Les Presses Universitairs de France rééditent l'ouvrage fondateur où Chantal Jaquet a forgé en 2014 la notion de transclasse pour désigner les personnes qui passent d’un milieu social à un autre. L’ambition de l'essai intitulé Les transclasses ou la non-reproduction a été de comprendre philosophiquement le passage peu fréquent d’une classe sociale à l’autre et de construire pour cela une méthode d’approche des cas particuliers. Dans une première partie, l’autrice met en évidence les causes politiques, économiques, sociales, familiales, singulières, qui président à la non-reproduction sociale, et analyse dans une seconde partie leurs effets sur la constitution des individus qui transitent d’une classe à l’autre. Rappelons le récent essai signé par Laélia Véron et Karine Abiven, Trahir et venger. Paradoxes des récits de transfuges de classe (La Découverte), dont on peut lire un compte rendu publié dans Acta fabula : "Une synthèse documentée sur les récits de transfuges de classe" par Jérôme Meizoz.