Questions de société

éditos

Else von Freytag-Loringhoven à la table des grands

Else von Freytag-Loringhoven à la table des grands

Longtemps oubliée, l’artiste et écrivaine Else von Freytag-Loringhoven (1874-1927) a été redécouverte à partir des années 1980. Celle que l’avant-garde new-yorkaise surnommait "la Baronne" s’est alors vu attribuer Fontaine, le célèbre urinoir de 1917 signé R. Mutt, même s’il est désormais établi qu’elle n’en est pas l’auteure. À New York dans les années 1910, on admire cette baronne allemande sans le sou pour sa manière d’incarner Dada, dans son travail de modèle comme dans les performances qu’elle improvise hors de l’atelier. Elle écrit aussi : des poèmes, publiés par la revue d’avant-garde The Little Review avant d’être censurés pour obscénité (à côté de l’Ulysse de Joyce dont elle prit la défense), ou un récit autobiographique, qu’elle centre sur sa quête de l’orgasme en réclamant ses sex rights… Ce qui caractérise EvFL (sa signature), c’est que L’art, c’est la vie. Tel est aussi le titre de l'essai qu'Éric Fassin et Joana Masó consacre à Else von Freytag-Loringhoven critique de Marcel Duchamp (Macula). Ils font la démonstration qu'il ne suffit pas d’ajouter des artistes femmes à un panthéon de grands hommes : "L’enjeu de cette première monographie française consacrée à Else von Freytag-Loringhoven n’est pas de faire admettre une artiste méconnue à la table des grands hommes, mais de redessiner cette table". Fabula vous invite à feuilleter le livre sur le site de l'éditeur…

(Illustr. : George Grantham Bain, Baroness von Freytag-Loringhoven, circa 1922)

­

Mythologies du web

Mythologies du web

Au gré de ses trois principales évolutions (des sites et moteurs de recherche aux chatbots de l’Intelligence artificielle, en passant par les réseaux sociaux), le web a eu de plus en plus tendance à devenir le propre de la communication individuelle et collective. Instance de validation des informations et de formation des croyances, agent supplétif de connaissance et de création, il infléchit la dynamique même de l’expression et de la cristallisation des identités humaines. Dans Mythologies web, Jean-Marie Schaeffer montre comment le web nous impose ses "mythologies", comme s’il s’agissait de nous immuniser contre l’épreuve du réel. "Nous commençons à en payer le prix. Il est sans doute temps de nous réveiller... en commençant par dire ce que nous sommes et ce que le Web – et l’IA en particulier–n’est pas ni ne sera probablement jamais".

Chemins de la ruralité

Chemins de la ruralité

Des sciences et des fictions

Des sciences et des fictions

Face à des sciences qui ont le privilège de découvrir de nouveauxfaits, la philosophie est-elle condamnée à interpréter interminablementle réel, ou bien à s’adonner sans frein à une métaphysique déconnectée des percées de la connaissance positive ? Certains considèrent que le temps est venu pour elle de dire adieu aux faits, qui ne lui appartiennent pas ; et qu'elle doit désormais embrasser résolument les puissances de la fiction. Sous le titre "Des sciences et des fictions", la nouvelle livraison de la revue Critique vient plaider pour une philosophie qui sache maintenir une réflexivité critique. "Aucun instrument théorique ne saurait constituer une panacée universelle. Même la prétendue méthode philosophique n’est peut-être, après tout, qu’une autre fiction utile".

Vincent Bontems s'interroge également sur les Fictions scientifiques, dans un essai sous-titré Et si Borges avait connu l'IA ?, qui constitue le premier volume d'une collection "Multiversalisme" inaugurée aux éditions des Belles Lettres : si l'écrivain argentin avait connu l’intelligence artificielle, aurait-il eu besoin d’hypothèses fantastiques pour instiller le vertige métaphysique de ses Fictions (1944). Philosophe des techniques, Vincent Bontems revisite les fictions borgésiennes à la lumière des évolutions technologiques en cours. Fabula vous invite à découvrir les premières pages de l'ouvrage…

(Dessin de Georges Méliès pour une scène de Voyage dans la lune, 1902)

Le romantisme français et la renaissance arabe

Le romantisme français et la renaissance arabe

Notre vie à l'écran

Notre vie à l'écran

La collection Traits et portraits (Mercure de France) accueille cet automne un nouveau titre, récompensé il y a quelques jours par le Prix Médicis essai 2025 : Au cinéma Central. Une éducation sentimentale de Fabrice Gabriel. Le Central fut bien pour l'auteur le centre du monde : "c’est à cette place que je m’installe, une place en corbeille, au deuxième rang derrière la petite rambarde de fer forgé marquant la frontière avec le parquet, dans cette salle aujourd’hui disparue. J’y ai vécu, et continue peut-être d’y vivre, l’imagination n’en étant pas morte, les moments les plus heureux de mon enfance, de mon adolescence aussi."

On se souviendra que Jean-Luc Godard avait choisi un cinéaste pour figurer l'écrivain dans À bout de souffle : Jean-Pierre Melville, affublé de lunettes noires devenues elles-mêmes mythiques (et qui ne vont pas mal à Tom Novembre dans le récent Nouvelle vague de Richard Linklater). Ce qui suffit à faire de ce film une date décisive de l'histoire de la littérature. Et comme il n'y a jamais de vraie raison de quitter une salle de cinéma, et de sortir d'un film de Melville, on se plongera dans le récent essai de Bernard Stora, Dans Le Cercle Rouge. Le tournage du film de Jean-Pierre Melville au jour le jour (Denoël). En attendant la toute prochaine rediffusion, le vendredi 28 novembre (black friday) de L'armée des ombres adapté du roman de Joseph Kessel, à l'occasion de la soirée exceptionnelle que France 5 consacre à l'écrivain.

Rappelons aussi, parmi les Colloques en ligne de Fabula, l'article de Marie Blaise, "Melville, l’homme-confiance et le faiseur de nœuds", au sein d'un sommaire intitulé "Le coup de la panne. Ratés et dysfonctionnements textuels" (2018), ainsi que l'essai de Pierre-Olivier Toulza, "Un millefeuille sonore : la bande-son des films policiers de Jean-Pierre Melville, entre stylisation et nostalgie générique", dans le sommaire "Styles du roman policier" (2024)

(Illustr. Jean-Pierre Melville, archives de Rémy Grumbach)

Derrida rappelé à la barre

Derrida rappelé à la barre

Les éditions bruxelloises Les Impressions Nouvelles rééditent Droit de regards, un roman-photo expérimental de Marie-Françoise Plissart, initialement paru aux éditions de Minuit en 1985, avec une préface de Jacques Derrida où le philosophe livre une analyse de près de cinquante pages sur l'essence du récit et, en l'espèce, de la narration photographique. Avec cet album, Marie-Françoise Plissart donnait un roman-photo hardi et audacieux, aussi beau qu’un livre d’artiste, complexe comme un roman, fluide et captivant comme un bon film, d’un érotisme brûlant et savamment construit. Fabula vous invite à lire un extrait de l'ouvrage…

La "Bibliothèque Derrida" (Seuil) s'enrichit d'un nouveau titre : Témoigner, qui offre une transcription du fameux séminaire donné par Jacques Derrida durant l'année 1992-1993 sur la place du témoignage dans le langage, soit un nouveau volet de sa réflexion sur les "questions de responsabilité" après la question du secret traitée dans le séminaire précédent, désormais publié sous le titre Répondre - du secret. Que veut dire "être témoin" ? Que signifie "déposer un témoignage" ? Quelle différence y a-t-il entre le témoignage et la preuve ? En dialoguant avec Aristote, Descartes, Kant et Husserl, les onze séances de ce séminaire dessinent l’immense terrain que recouvrent l’acte de témoigner et l’expérience du témoin. Jacques Derrida prend au sérieux la question de la technique et de l’intervention d’un dispositif machinique dans la structure testimoniale (l’archive cinématographique que constitue par exemple le film Shoah de Claude Lanzmann ou encore le recours légal à un enregistrement). Il ne s’agit pas seulement du témoignage à la barre d’un tribunal : Jacques Derrida montre que le témoignage caractérise aussi le plus quotidien de ce que peuvent se dire les êtres humains. Sous son regard, toute expérience qui passe par une parole adressée à l’autre est marquée comme et par le témoignage.

Signalons aux plus curieux de l'écriture philosophique que le tapuscrit de ce séminaire sur le témoignage reste accessible sur le site de la Bibliothèque de Princeton, et qu'Emmanuel Alloa en avait proposé une subtile lecture dès 2017 dans un discret sommaire de la Revue Philosophique de Louvain.