Questions de société

éditos

Le style des philosophes

Le style des philosophes

Tiphaine Samoyault en faisait un jour l'observation, avec un grand sourire : chaque génération doit redécouvrir à sa façon que la littérature pense et que la philosophie s'écrit. Il ne manque pas de publications cet automne pour relancer l'invitation. À commencer par le commencement (de l'histoire de la philosophie) avec le sommaire des Cahiers philosophiques qui se penche sur "Le style de Platon", à l'initiative Stéphane Marchand. Alain Lhomme milite efficacement Pour une approche stylistique des textes philosophiques dans Le style des philosophes (Vrin). Rappelons le récent essai de Mathilde Vallespir, déjà salué par Fabula, La pensée a-t-elle un style ? Deleuze, Derrida, Lyotard (Presses Universitaires de Vincennes), dont on peut lire un extrait sur le site de l'éditeur… Et plus haut dans le temps le volume supervisé par Bruno Curatolo et Jacques Poirier, Le Style des Philosophes (Presses universitaires de Dijon, 2007), dont on peut lire le compte rendu dans Acta fabula : « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement » : la philosophie peut-elle avoir du style ?, Maud Gouttefangeas. On peut aussi se repolonger sans nostalgie dans la toute première livraison Fabula-LhT, voici presque vingt ans : "Les Philosophes lecteurs".

(Illustr. : Niccolò Machiavelli, 1894, Stefano Ussi (1832–1901)

Le Mahomet des historiens

Le Mahomet des historiens

Figure incontournable de l’islam, Mahomet est l’un des personnages les plus marquants de l’histoire de l’humanité, façonnant l’Orient comme l’Occident. Vénéré par des myriades de fidèles, mais aussi cible de controverses, il demeure, malgré les milliers d’ouvrages à son sujet, méconnu. Si son existence historique est largement admise, le récit traditionnel de sa vie a toujours alimenté les débats. Mais une véritable révolution scientifique est désormais en marche, dont les découvertes sont restées confinées aux cercles académiques. Jusqu’à ce monument que constitue Le Mahomet des historiens (Cerf), qui a réuni autour de John Tolan et Mohammad Ali Amir-Moezzi cinquante spécialistes internationaux, offre, en deux mille pages, une synthèse complète et critique des travaux passés et des recherches présentes sur le Prophète de l’islam. Ce pont jeté entre la science et le grand public constitue une avancée décisive pour une connaissance mutuelle authentique et une paix véritable.

Paraît dans le même temps l'essai de Jacqueline Chabbi, Le Coran des Lumières. L'histoire, les concepts, le divin et le Prophète, dont Fabula vous invite à feuilleter quelques pages…

(Illustr. : Le prophète Mahomet, illustration d'un manuscrit ottoman du XVIIe siècle. ©BnF)

La mécanisation du pouvoir

La mécanisation du pouvoir

Les Presses du Réel rééditent La mécanisation au pouvoir. Une contribution à l'histoire anonyme de Sigfried Giedion (1888-1968), avec une préface d'Emmanuel Alloa et une postface d'Emanuele Quinz : un classique inclassable, précurseur du "tournant matériel" et de la théorie des médias, qui proposait en 1948 d'ausculter la vie moderne à partir de ses objets les plus insignifiants. Les protagonistes de cette "histoire anonyme" sont des machines à pain, des moissonneuses-batteuses, des tapis roulants et des fauteuils de barbier. En s'intéressant ainsi moins à ses créateurs illustres qu'aux processus de standardisation et de mécanisation, Giedion prouve que la modernité est autant une affaire de singularité que de numéro de série. Référence incontournable pour l'histoire des techniques, la sociologie du quotidien, la théorie du design et l'étude des médias, La mécanisation au pouvoir est de ces livres dont on n'a toujours pas assimilé toutes les fulgurances. Cette réédition restitue aussi toute l'importance du montage visuel qui fascina tant de lecteurs de Giedion, de Walter Benjamin à Marshall McLuhan. Fabula vous invite à en lire quelques pages et le sommaire sur le site de l'éditeur…

La désoccidentalisation des savoirs

La désoccidentalisation des savoirs

Peut-on rendre compte du capitalisme indien au XXIe siècle à la lumière des travaux de Max Weber ? L'analyse du suicide au Japon peut-elle être menée dans les termes utilisés par Émile Durkheim à propos de la société française de la fin du XIXe siècle ? Quels problèmes pose l'historiographie occidentale moderne au sein du monde arabe, dont la propre tradition d'écriture de l'histoire remonte au IXe siècle, ou en Chine, où les annales dynastiques couvrent plusieurs millénaires ? Qu'impliquent, en regard, les tentatives de refonder une sociologie arabe autour d'Ibn Khaldoun, de construire une psychologie asiatique à partir des textes classiques du bouddhisme ou d'inventer des modernités alternatives à celles de l'Occident ? Ces questions dénotent l'ambivalence de la désoccidentalisation des sciences humaines et sociales, dont le processus renvoie simultanément à leur globalisation et à la contestation de leur hégémonie. Dans La désoccidentalisation des savoirs (La Découverte), Thomas Brisson montre que l'homogénéisation et la fragmentation sont indissociables pour appréhender le destin mondial de ces disciplines. Il nous amène à rompre à la fois avec l'universalisme naïf d'une vision des savoirs occidentaux qui se diffuseraient à l'ensemble de la planète par la seule force de leur vérité intrinsèque et avec la radicalité d'une certaine critique postcoloniale ou décoloniale qui peine à rendre compte des pensées qui s'élaborent en commun par-delà l'asymétrie des échanges. Fabula vous invite à lire un extrait de l'ouvrage.

L'affaire Oden

L'affaire Oden

Sensibilités africaines

Sensibilités africaines

Comment l’Afrique pense-t-elle sa place dans la mondialité ? Le livre supervisé pour les éditions Hermann par Buata B. Malela, Christophe Premat sous le titre Sensibilités intellectuelles africaines. Du discours occidental aux voix africaines (1988-2022) invite à découvrir la multiplicité et la richesse des sensibilités intellectuelles africaines. Il dresse la carte des grandes idées et des nouvelles voix qui, depuis la fin des années 1980, renouvellent l’engagement des penseurs et penseuses africain·es, et analyse la façon dont ces intellectuel·les déconstruisent les héritages et les stéréotypes venus d’ailleurs, pour mieux revendiquer une pensée critique, libre et autonome. Il vient aussi mettre en lumière la créativité, la pluralité des expériences et la capacité de l’Afrique à inventer ses propres voies, en valorisant la diversité des regards, des trajectoires et des cultures. On peut lire sur Fabula l'introduction de l'ouvrage…

Jean-Loup Amselle se penche de son côté sur L’Afrique des fantasmes (Mimèsis), en montrant que l’Occidental contemporain vit tout autant dans un rêve africain que l’inverse. Il invite à penser "un dispositif imaginaire qui enjambe les continents et qui est l’espace de circulation de fantasmes et d’investissements libidinaux de toutes sortes. Un espace d’interlocution dans lequel des énoncés, identifiables ou anonymes, errent sans avoir de point de destination déterminé. Ces énoncés mythiques accompagnent encore aujourd’hui les relations économiques et politiques entre l’Occident et l’Afrique, car ce sont des représentations et de projections réciproques qui se nourrissent de relations et de contacts très anciens".

Rappelons que la revue Présence africaine est accessible en ligne via Cairn (et depuis Fabula). Les deux derniers sommaire mettent à l'honneur deux hautes figures de la vie intellectuelle africaine : "Frantz Fanon. Une vie de signes", et "Léopold Sédar Senghor. Du royaume d’enfance à la civilisation de l’universel"

Les anges de l'histoire

Les anges de l'histoire

Georges Didi-Huberman donne une suite au questionnement ouvert dans Survivance des lucioles sous le titre : Les Anges de l'Histoire. Images des temps inquiets (Minuit). La tradition religieuse en Occident a produit une philosophie de l’histoire "théologico-politique", un dogme de la fin des temps (eschatologie) associé à une notion «glorieuse» du pouvoir (politique), et mis en scène dans des visions effrayantes où les anges de l’apocalypse exécutaient militairement les ordres divins concernant le devenir de nos sociétés humaines. Aux temps modernes, les anges de l’apocalypse sont devenus les êtres-anges de l’histoire : étranges, en effet, car ils manifestent, par crises immanentes, la façon dont les temps historiques nous atteignent, nous étreignent directement. En 1939 et 1940, Walter Benjamin écrivit, quelques mois avant son suicide, un texte capital pour notre pensée contemporaine : ses "thèses" "Sur le concept d’histoire". Au centre de ce texte se trouve mise en scène la confrontation avec une simple image : la petite aquarelle de Paul Klee intitulée Angelus Novus. C’est l’allégorie d’un nouvel "ange de l’histoire". Ce nouvel essai "tente d’interroger cet ange au prisme de son caractère enfantin mais aussi dialectique, de son rapport à la tradition – juive, en ce cas – autant qu’à l’imagination d’une philosophie de l’histoire capable de forger les motifs d’une possible espérance politique". Signalons par anticipation la parution le 13 novembre prochain chez Gallimard d'un autre titre de G. Didi-Huberman, Celui par qui s'ouvre la terre. Saint Georges, versions d'une légende.