Questions de société

éditos

Vives archives

Vives archives

Au sein des archives de l'Histoire, une source reste finalement peu exploitée : les écrits personnels — journaux du quotidien, livres de comptes, correspondances, bulletins, mais également photographies, dessins, ou encore cabane, muret, jardin... toutes ces choses où une mémoire personnelle a déposé sa voix et à partir de laquelle on peut tendre l'oreille. La collection archVives initiée par Karelle Menine au sein des éditions genevoises MétisPresses vise à faire se rencontrer une archive jusque-là inconnue et une écriture : "C’est de porter sur ces pièces singulières le regard attentif non pas des spécialistes mais des poètes. C’est inviter une ou un auteur•e à écrire un récit à partir de ces documents — son récit — afin de révéler simplement ce qu’ils sont : de fabuleux fragments d’Histoire". Parmi les premiers titres : Bleuir l'immensité, qui prend pour objet les carnets de rapport tenus entre 1952 et 1955 par la Sœur principale de l’Hôpital de Loëx, dans le canton de Genève, un lieu alors controversé, qui reçoit des malades chroniques et des incurables ; Je n'étais plus aussi bête qu'au commencement signé par Mayte Garcia, qui se penche sur un cahier manuscrit soustrait à l’obscurité d’un carton d’archives, pour prêter attention à une voix anonyme, celle d’une prostituée de la fin du XIXe s., qui fait le récit sidérant d’une vie en maisons closes. Paraît ces jours-ci un essai d'Arlette Farge, Ils ont écrit leurs visages. Signalements de galériens et de délinquants.e.s du XVIIIe s., à laquelle la collection archVives invite à faire un pas de côté par rapport à son travail d'historienne, car elle aborde les portraits livrés par un simple registre sous l'angle particulier de l'empathie, une approche qui contraste, à des siècles de distance, avec les identifications anonymes du pouvoir qui classait et stigmatisait aveuglément le menu peuple. 

La bibliothèque hors les murs

La bibliothèque hors les murs

Réduire au silence

Réduire au silence

En France et dans le monde, des méthodes d’intimidation inquiétantes ciblent journalistes et défenseurs des droits humains. Outre les violences physiques ou verbales, ils doivent faire face au lawfare ou guerre par le droit, un phénomène qui consiste à multiplier les procédures judiciaires envers celles et ceux qui nous informent sur des sujets d’intérêt général. Les poursuites-bâillons (SLAPP) sont privilégiées par les entreprises et les personnalités influentes pour entraver la publication d’informations gênantes. Par ailleurs, des lois, comme celles contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, sont détournées pour criminaliser certaines actions de la société civile… Ces attaques ont de graves conséquences : autocensure, précarité financière, pression psychologique, entrave à l’accès à l’information. Peu visibles du grand public, elles menacent la démocratie en limitant le débat public, le droit d’informer et celui d’être informé. Si elles se poursuivent, notre société risque un contrôle accru et un affaiblissement des libertés fondamentales. Dans Réduire au silence. Comment le droit est perverti pour bâillonner médias et ONG, la juriste Sophie Lemaître s’emploie à démontrer, grâce à de nombreux exemples édifiants, comment ces méthodes constituent une menace existentielle pour la démocratie telle que nous la connaissons.

(Illustr. : ©AdobeStock/Adzicnatasa)

L'école comme appareil

L'école comme appareil

Entre 1968 et 1969, un groupe de chercheurs composé d’Étienne Balibar, Christian Baudelot, Roger Establet, Pierre Macherey et Michel Tort, prépare, sans leur maître Louis Althusser, un livre collectif sur la critique de l’école. Ce livre ne paraîtra jamais. Pourtant, les constats qu’il établissait étaient d’une actualité brûlante. L’école, véhicule de la reproduction sociale et porte-voix de l’idéologie dominante, y faisait l’objet d’une critique virulente – surtout dirigée contre son instrumentalisation par l’État et les forces capitalistes. Aujourd’hui, à l’heure où l’école fait l’objet d’attaques toujours plus impitoyables de la part même de ceux qui s’en sont servi pour maintenir leur mainmise sur les esprits, le dossier devait être rouvert. Cinquante-six ans plus tard, il n'a pas pris une ride. On le vérifiera en se plongeant dans le volume qui paraît aux Presses Universitaires de France, sous le titre Écoles : Critique matérialiste des appareils scolaires. Qui souhaite renouer avec le combat pour une école véritablement émancipatrice est invité à s’y plonger. Il fera l'objet d'une présentation à l'Université Paris 8 le jeudi 25 septembre, avec Étienne Balibar, Christian Baudelot, Yoshiyuki Sato, Xavier Riondet et Bertrand Ogilvie.

Marx vert

Marx vert

Tout au long du XXe siècle, l’expérience soviétique – avec son culte stakhanoviste du travail et sa très haute intensité carbone – a paru constituer la preuve irréfutable du caractère foncièrement anti-écologiste du matérialisme historique – un courant politique souvent critiqué pour son productivisme, voire son prométhéisme. Pourtant, on assiste désormais à une floraison d’ouvrages qui sondent la pensée marxienne et marxiste au prisme des enjeux écologiques. Une double livraison de la revue Critique, désormais passée sous pavillon Madrigall, vient rendre compte des enjeux attachés à ce nouveau "Marx vert".

Ce que la violence dit du monde

Ce que la violence dit du monde

La violence hante le monde. Présente dans le discours politique et la production artistique, dans l'espace public et les réseaux sociaux, elle ne cesse d'être questionnée, contestée, redéfinie, par la loi et le droit comme par les mobilisations sociales et le discours savant, dévoilant ses multiples dimensions, symbolique et structurelle, morale et psychique, de genre et d'État. Paradoxalement, les sciences sociales n'ont commencé à l'analyser que tardivement. Inversement, les mythes et récits de ses origines ont sans cesse été réactualisés à des fins idéologiques, tandis que la psychanalyse, l'éthologie et la philosophie politique l'exploraient dans diverses perspectives généalogiques. Mais la violence n'est pas seulement un objet d'étude, elle est aussi une matière vivante dont s'emparent écrivains et cinéastes, juristes et témoins, militaires et militants. Son écriture et ses représentations interrogent les manières de la qualifier et de l'attester, la possibilité de la refuser ou au contraire de la défendre. Dans de nouvelles Leçons de ténèbres (La Découverte), Didier Fassin en étudie les formes pour appréhender ce que le monde dit de la violence et ce que la violence fait au monde.

(Illustr. : Francisco de Goya y Lucientes, Los fusilamientos del tres de mayo, 1814, Musée du Prado)