Questions de société
Thomas Brisson, La désoccidentalisation des savoirs

Thomas Brisson, La désoccidentalisation des savoirs

Publié le par Marc Escola

Peut-on rendre compte du capitalisme indien au XXIe siècle à la lumière des travaux de Max Weber ? L'analyse du suicide au Japon peut-elle être menée dans les termes utilisés par Émile Durkheim à propos de la société française de la fin du XIXe siècle ? Quels problèmes pose l'historiographie occidentale moderne au sein du monde arabe, dont la propre tradition d'écriture de l'histoire remonte au IXe siècle, ou en Chine, où les annales dynastiques couvrent plusieurs millénaires ? Qu'impliquent, en regard, les tentatives de refonder une sociologie arabe autour d'Ibn Khaldoun, de construire une psychologie asiatique à partir des textes classiques du bouddhisme ou d'inventer des modernités alternatives à celles de l'Occident ?

Ces questions dénotent l'ambivalence de la désoccidentalisation des sciences humaines et sociales, dont le processus renvoie simultanément à leur globalisation et à la contestation de leur hégémonie. Comment comprendre ce mouvement apparemment contradictoire ?

En retraçant leur greffe dans de multiples contextes, de l'Égypte au Japon et de l'Inde à la Chine, Thomas Brisson montre que l'homogénéisation et la fragmentation sont indissociables pour appréhender le destin mondial de ces disciplines. Il nous amène à rompre à la fois avec l'universalisme naïf d'une vision des savoirs occidentaux qui se diffuseraient à l'ensemble de la planète par la seule force de leur vérité intrinsèque et avec la radicalité d'une certaine critique postcoloniale ou décoloniale qui peine à rendre compte des pensées qui s'élaborent en commun par-delà l'asymétrie des échanges.

Lire un extrait…

Thomas Brisson est professeur au département de science politique de l'université Paris 8, chercheur au Cresppa (CNRS-Paris) et chercheur associé à la Maison franco-japonaise (CNRS-Tokyo). Il est notamment l'auteur des Intellectuels arabes en France (La Dispute, 2008) et de Décentrer l'Occident (La Découverte, 2018).

On peut lire sur en-attendant-nadeau.fr un article sur cet ouvrage :

"Des modernités diverses", par Marc Lebiez (en ligne le 11 novembre 2025)

Désoccidentaliser les savoirs, ce n’est pas rejeter ceux dont l’origine est occidentale ; c’est faire en sorte qu’ils deviennent le bien commun, non par négation ou écrasement des autres, mais en tant qu’outils qui peuvent être utiles à tous, comme n’importe quel outil. Tandis que le discours « décolonial » bénéficiait d’une ample propagation, on a oublié de s’intéresser aux travaux que mènent depuis longtemps des intellectuels du Sud dans le champ des sciences humaines et sociales.

Table des matières

Introduction
1. Missions et voyages : s'approprier les sciences de l'Occident

En mission : États et lettrés à la découverte des savoirs occidentaux
Missions égyptienne et japonaise en comparaison
Voyageurs et étudiantes en Europe : les modalités individuelles de l'appropriation des savoirs de l'Occident
2. Le lointain fait proche : transformer les institutions de savoir dans les pays non occidentaux
Les logiques plurielles de la diffusion mondiale de l'université européenne
Le destin global des disciplines scientifiques occidentales
3. Changer les cadres du pensable : reconfigurer le langage et la temporalité
Shakai, Shehui, Mojtam'a : traduire/dire la société en japonais, en chinois et en arabe
Sciences sociales et temporalité historique
4. Nations, cultures, socialisme : des usages politiques des savoirs de l'Occident en contextes non occidentaux
Classer-compter les peuples
Forger les langues nationales
Définir des cultures
Bâtir le socialisme
5. Précurseurs alternatifs – en amont de l'Occident
Bouddhisme et psychologie : une analyse alternative de la vie psychique
Ibn Khaldoun aux origines des sciences sociales
6. Modernités et épistémès alternatives – en aval de l'Occident
Dépasser la modernité ?
Des modernités globales ?
Des modernités alternatives ?
Des modernités coexistantes ?
Conclusion
Notes
Bibliographie.