Questions de société
Tribune :

Tribune : "Nous sommes fiers de travailler avec John Tolan au sein du projet Le Coran européen"

Publié le par Marc Escola (Source : Tristan Vigliano)

Nous sommes fiers de travailler avec John Tolan et “Le Coran européen”

"Sentez la brise légère qui nous vient d’Amérique.

Depuis le 13 avril dernier, une campagne de presse virulente vise notre collègue John Tolan et trois autres historiens renommés, Jan Loop, Mercedes García-Arenal et Roberto Tottoli, sous prétexte qu’ils auraient obtenu de la Commission européenne 9 842 534 euros. Dire le montant à haute voix, détacher chaque syllabe.

Le scandale ? Cette somme est allouée à un projet intitulé « Le Coran européen », dont le but est de « découvrir comment le Coran a influencé la culture et la religion en Europe, entre 1150 et 1850 ». Pire, sur leur site internet, nos quatre collègues islamisés écrivent ces lignes : « notre projet repose sur la conviction que le Coran a joué un rôle important dans la formation de la diversité et de l’identité religieuses de l’Europe au Moyen Âge et au début des Temps modernes, et qu’il continue de le faire ». Pour comble, la volonté de « remettre en question les perceptions traditionnelles du texte coranique et les idées bien établies sur les identités religieuses et culturelles européennes » n’est pas cachée. Ainsi se dévoilerait un pernicieux dessein, dont témoignerait encore une conférence de John Tolan, donnée dans un Institut affilié aux Frères musulmans.

D’abord orchestrée par les médias du groupe Bolloré, puis relayée par des députés RN et LR au Parlement européen, cette campagne rance est désormais feuilletonnée par le Figaro, qui interviewe à cet effet de médiatiques arbitres des élégances en matière d’islamisme : Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherches au CNRS, anthropologue ; Razika Adnani, philosophe-conférencière.

Aux zélateurs intéressés du bon usage de la dépense publique, qui sont aussi des contempteurs de l’entrisme frériste à Bruxelles, on concédera que les fonds de l’ERC, c’est-à-dire de l’organisme qui a subventionné « Le Coran européen », lui viennent de la Commission européenne. Mais la Commission européenne s’en remet aux expertises entièrement indépendantes de chercheurs venus du monde entier, à qui personne ne dicte ce qu’ils doivent penser. Dix à quinze avis anonymes et circonstanciés sont demandés par dossier examiné. Seules les propositions les plus abouties, les plus incontestables scientifiquement, ont une chance d’être retenues. Si « le Coran européen » a passé cette épreuve, c’est que « le Coran européen » est à la pointe de la recherche. Le contester, c’est mettre le doigt dans un engrenage que les démocraties illibérales, si l’on peut dire, connaissent bien : c’est contester le principe de l’évaluation par les pairs.

Nous, signataires de cette tribune, tenons pour un honneur d’avoir été associés aux travaux de nos quatre collègues, d’avoir participé aux colloques qu’ils ont organisés, aux ouvrages qu’ils ont publiés, aux expositions qu’ils ont montées, dans toute l’Europe et à Tunis. Nous les en remercions.

Historiens des religions, des représentations, des idées, ou simplement de la littérature, nous reprenons à notre compte ce qu’ils écrivent. Oui, nous croyons que le Coran a influencé la culture et la religion en Europe, depuis le début du xiie siècle au moins. Nous croyons même qu’il faudrait être inculte pour prétendre le contraire. Il faudrait ignorer le geste fondateur de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, qui commanda la première traduction latine du texte coranique, en 1142. Il y a neuf siècles. Depuis le cœur de la Bourgogne.

Oui, nous sommes convaincus que le Coran et sa réception ont joué un rôle important dans la formation de la diversité et de l’identité religieuses de l’Europe au Moyen Âge et au début des Temps modernes, et qu’ils continuent de le faire. Nous sommes même convaincus que nous sacrifierions à un révisionnisme historique déplorable en laissant dire le contraire, pour ne pas faire de vagues. Nous avons eu tort de rester un mois sans réagir.

Oui, quand nous lisons les articles consacrés à nos collègues, nous partageons leur espoir de remettre en question les perceptions traditionnelles du texte coranique, de même que certains stéréotypes trop largement établis sur les identités religieuses et culturelles européennes. Oui, nous pensons que les écrits sur l’islam de Riccoldo da Monte Croce, Nicolas de Cues, Jean de Ségovie, Juan Andrés, Guillaume Postel et bien d’autres méritent d’être étudiés. Et c’est à dessein que nous citons ces auteurs peu connus. Car ils furent en leur temps des controversistes, qui cherchèrent à outiller intellectuellement les chrétiens contre l’islam. On ne sache pas qu’ils s’y fussent convertis. Nos censeurs du (Journal du) dimanche n’ont pas seulement idée des saints auxquels ils pourraient se vouer.

Nous sommes fiers de travailler avec John Tolan, Jan Loop, Mercedes García-Arenal et Roberto Tottoli, et nous voulons défendre à leurs côtés notre liberté de chercheurs, contre les campagnes médiatiques d’ignorants dangereux."

Signataires

 Tristan Vigliano, professeur en littérature française de la Renaissance à Aix-Marseille Université et fondateur du site Coran 12-21 ; Martial Staub, professeur d’histoire médiévale à l’Université de Sheffield, Royaume-Uni ; Pierre-Olivier Léchot, professeur d’histoire du christianisme à l’époque moderne, Institut protestant de théologie, Paris ; Christopher Ocker, professeur d'histoire du christianisme et doyen, Graduate Theological Union, Berkeley, États-Unis ; Justin Stearns, professor of arab crossroads studies at New York University Abu Dhabi, United Arab Emirates ; Olivier Hanne, professeur d’histoire médiévale, Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan ; Mohammad Ali Amir-Moezzi, Professeur, Directeur d’études émérite à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes/PSL, Paris ; Jocelyne Dakhlia, Directrice d’Études émérite, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris ; Alain Messaoudi, maître de conférences en histoire contemporaine, Nantes Université ; Cándida Ferrero Hernández, professeur de philologie latine et responsable du projet Islamolatina, Universitat Autònoma de Barcelona ; Juan Pablo Arias Torres, Escuela de Estudios Árabes de Granada, CSIC ; Gerard Wiegers, Professor of History and Comparative Study of Religions, University of Amsterdam ; Teresa Madrid, ILC-CCHS, CSIC Madrid ; Octavian-Adrian Negoiță, Romanian Academy ; Taneli Kukkonen, Professor of Philosophy, New York University Abu Dhabi ;  Jakob Skovgaard-Petersen, Professor of Islamic Studies, University of Copenhagen ; Martin Mulsow, professeur d’histoire, Université d’Erfurt, Allemagne ; Brett Wilson, Associate Professor, Central European University, Vienne, Autriche ; Stefania Pastore, Associate Professor of Early Modern and Global History, Scuola Normale Superiore, Pisa, Italia ; Houssem E. Chachia, Associate Professor of Early Modern History,  University of Tunis,  Tunisia ; Charles Burnett, Professor Emeritus of Arabic/Islamic Influences in Europe, Warburg Institute, University of London ; Luisa Simonutti, Senior researcher, Institute for the History of Philosophy and Science in the Modern Age -  National Research Council, Italy ; Dominique Avon, Directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, EPHE, PSL ; Kentaro Inagaki, Lecturer, Université de Yamaguchi, Japon ; Pablo Roza Candás, Chercheur, ILC-CCHS-CSIC, Madrid ; Alastair Hamilton, Honorary Fellow at the Warburg Institute, London ; Annick Peters-Custot, Professeure d’histoire du Moyen Âge à Nantes Université, France ; Yann Lignereux, Professeur d'histoire moderne, Nantes Université-CRHIA ; Adrián Rodríguez Iglesias, ILC-CCHS-CSIC, Madrid ; Irene Vicente López de Arenosa, Universitat Autònoma de Barcelona, ILC-CCHS, CSIC Madrid ; Alejandro García-Sanjuán, Professor, Universidad de Huelva ; Theodor Dunkelgrün, Université d’Anvers ; Tijana Krstic, Professor, Central European University, Vienna ; Florence Ninitte, Chercheuse, Università degli studi di Verona ; José Martínez Gázquez, Professor Emeritus of Latin Philology, UAB (Dr. HC Erlangen-Nuremberg) ; Jacob Langeloh, University of Copenhagen ; Virginie Adane, Maîtresse de conférences, Nantes Université - CRHIA ; Isabel Boyano Guerra, ILLA-CCHS, CSIC Madrid ; Irene Reginato, Università degli studi di Udine ; Philippe Buc, Professeur en Histoire Médiévale, Leiden et Vienne ; Maurizio Busca, chercheur à l’Università del Piemonte Orientale, Italie ; Ferenc Tóth, conseiller scientifique au HUN-REN Centre de recherches en sciences humaines, Budapest ; Katarzyna K. Starczewska, Chercheuse, ILC-CCHS-CSIC, Madrid ; Laura Hinrichsen, Curator, Lusail Museum, Doha ; Virginie Chaillou-Atrous, Nantes Université-CRHIA ; Luis F. Bernabé Pons, Professor, Universidad de Alicante ; Ryan Szpiech, professor, University of Michigan; Sylvie Anne Goldberg, DE, EHESS, Paris ; Emmanuelle Stefanidis, chercheuse indépendante ; Eduardo Manzano Moreno, Professeur de Recherche, IH-CCHS-CSIC ; Jean-Michel Vienne, professeur honoraire de philosophie, Nantes Université ; Houari Touati, Directeur d’études, EHESS, Paris ; Nora Berend, Professor of European History, University of Cambridge ; Giuseppe Cappello, Postdoc, Università degli Studi di Napoli L’Orientale ; José María Perceval, Prof. Universidad Barcelona ; Nicolas Drocourt, Nantes université - CRHIA ; Katia Boissevain, Directrice de l’Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain, Tunis ; Loriana Salierno, Università degli Studi di Napoli ; Fernando Rodríguez Mediano, ILC-CCHS-CSIC ; Ziad Elmarsafy, Professor of Arabic and Comparative Literature, University of St Andrews ; Frédéric Le Blay, Professeur en langues, littératures et civilisations anciennes / Philosophie des Sciences, Nantes Université, Centre François Viète ; Alexander Fidora, ICREA Research Professor at the Autonomous University of Barcelona ; Ulisse Cecini, Postdoc, Autonomous University of Barcelona ; Federico Stella, Postdoc, Università di Napoli L’Orientale ; Johannes Heil, Ignatz Bubis Professor für Geschichte, Religion und Kultur, Hochschule für Jüdische Studien, Heidelberg ; Benoît Grévin, Directeur de recherche CNRS, CRH, Paris ; Valentine Zuber, Directrice d’études, EPHE-PSL, Paris ; Henry Laurens, professeur au Collège de France, Chaire d’histoire contemporaine du monde arabe ; Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme, Université de Genève ; Asaph Ben-Tov, chercheur, Université de Hambourg ; Hamadi Redissi, professeur émérite, Université de Tunis ; Tobias Mörike, commissaire d’exposition, Weltmuseum Wien ; Oliver Salem, PhD, University of Naples "L'Orientale" ; Alessandro Ferrari, professeur de Droits et Religions, Università degli Studi dell’Insubria ; Arturo Guerrero, ILC-CCHS, CSIC ; Aurélien Girard, maître de conférences en histoire moderne à l’Université de Reims Champagne-Ardenne ; Suleiman A. Mourad, The Myra M. Sampson Professor of Religion & Middle East Studies, Smith College, USA ; Sabrije Hoxhaj, PhD Università degli Studi di Napoli L’Orientale ; Philippe Portier, Ecole Pratique des Hautes Etudes, Paris ; Laura Rodríguez del Pozo, ILC-CCHS-CSIC ; Anna Van den Kerchove, Institut protestant de théologie, Paris ; Alfonsina Bellio, EPHE-PSL Paris ; Simon Mills, Senior Lecturer in Early Modern History, Newcastle University, UK; Dženita Karić, Assistant Professor, University of Amsterdam ; Michele Petrone, post-doc, University of Naples "L'Orientale" ; Patrick J. Geary, Emeritus Professor of History, Institute for Advanced Study ; Michel Catala, Professeur d’histoire contemporaine, Nantes Université - CRHIA ; Hela Ouardi, Professeur des Universités, Université de la Manouba - Tunisie ; Prof. Dr. Bernd Roling, Institut für griechische und lateinische Philologie, Freie Universität Berlin ; Katharina Heyden, Professorin für Ältere Geschichte des Christentums und der interreligiösen Begegnungen, Universität Bern ; António De Almeida Mendes, enseignant-chercheur, Nantes Université, CRHIA ; Joanna Weinberg, Professor emerita in early modern Jewish History and Rabbinics, University of Oxford ; Naima Afif, chercheuse, Université de Copenhague ; Bernard Heyberger, directeur d’études émérite à l’EHESS et à l’EPHE ; Miri Rubin, Professor, School of History, Queen Mary University of London ; Paul Babinski, chercheur, Université de Copenhague ; Johanna Pink, professeure d’islamologie à l’Université de Fribourg ; Elisheva Baumgarten, Yitzchak Becker Professor for Jewish Studies, Hebrew University of Jerusalem.

Avec le soutien de Carine Bernault, Professeure des universités, Présidente de Nantes Université.