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Rééditer la Troisième République des Lettres au féminin* (dossier critique Acta Fabula)

Rééditer la Troisième République des Lettres au féminin* (dossier critique Acta Fabula)

Publié le par Valentine Bovey

Appel à contribution pour un dossier critique d'Acta fabula

Rééditer la Troisième République des Lettres au féminin*

L’Imaginaire chez Gallimard : collection célèbre pour ses rééditions de chefs-d’œuvre « oubliés, méconnus, que le temps a éclipsé[1] », qui sont passés sous le radar des institutions de classicisation (Viala, 1992). Depuis 2021, la collection a pris un tour « plus moderne et plus féministe » : il semble en effet important de souligner que bien souvent, si des chefs-d’œuvre sont oubliés, le genre de l’auteur – de l’autrice ! –  y joue un rôle. Que Gallimard décide de s’engager dans la réédition d’autrices parfois méconnues témoigne d’un intérêt accru, dans l’édition contemporaine, pour la revalorisation du matrimoine, à l’image également de la série éponyme dans la collection Librio chez Flammarion, qui propose des rééditions d’œuvres d’autrices de l’Ancien Régime jusqu’au XIXe siècle. 

Les obstacles à la transmission des œuvres de femmes ont été largement étudiés : d’abord la difficulté de se constituer matériellement et discursivement en autrice (pôle de la production), puis la tendance d’une critique sexiste qui tend à lire leurs œuvres comme des témoignages plutôt que comme des créations, tant chez leurs pairs que dans l’histoire littéraire (pôle de la réception), expliquent en partie la disparition structurelle des autrices du champ et de l’histoire littéraire (Planté, 2015 ; Reid, 2010). La Troisième République, période privilégiée de ce dossier, voit cependant s’accroître le nombres de parutions écrites par des femmes, sur fond des premières luttes féministes (Reid, 2020). D’un point de vue littéraire, cette période correspond également à l’émergence d’un nouveau discours sur les sexualités (Angenot, 1984), en particulier sur l’homosexualité qui, si elle est toujours très stigmatisée, devient un sujet littéraire à part entière (Barbedette & Carassou, 2008 ; Tamagne, 2006). Ce renouvellement du discours sur les sexualités permet notamment l’apparition d’œuvres qui mettent en leur centre l’amour et les relations de pouvoir, que ce soit dans des relations hétérosexuelles ou lesbiennes, bien que ce ne soit évidemment pas l’unique sujet abordé.

Ce dossier s'intéresse à la réception de certaines de ces œuvres dans notre contexte actuel, qui s’effectue par une mise en valeur, dans le péritexte des rééditions contemporaines, des clés d’analyse liées aux études genre et même au queer (Dorlin, 2008), comme s’ils en exprimaient les balbutiements. Cependant, la position de ces autrices n’était parfois pas favorable, voire était franchement hostile, au féminisme de la première heure, peut-être afin d’autonomiser leur projet artistique au sein des évolutions sociales (Bard, 1995). Il semble dès lors que ce qui fascine dans ces récits, et motive leur réédition, est leur feminist gaze, c’est-à-dire un regard « posé sur le monde prenant en compte les oppressions subies par les femmes » (Fayolle, 2023, 35), indépendamment de l’inscription de l’autrice dans une posture (anti-)militante. En réfléchissant à la manière dont ces récits ouvrent un répertoire d’images et de conduites émancipatrices pour les lecteur·rice·s de l’époque et de maintenant, nous aimerions proposer un florilège de leur fécondité sur le plan des luttes.

Il s’agit toutefois de ne pas se départir d’un point de vue critique : quelle image d’autrice est construite dans le péritexte de ces rééditions ? Comment s’articule cette réédition de romans avec celles d’écrits de textes féministes et antiféministes contemporains ? Plus généralement, la focalisation du travail de réédition de ces autrices dans des collections particulières, qui se présentent comme engagées et militantes, opère en construisant un « mini-canon », qui permet de déstabiliser le canon-du-maître (master canon) (Sedgwick, 1990) en proposant à la lecture d’autres voix. La valeur de ce mini-canon est ambigüe : d’une part, elle pose la question d’un éventuel danger à confiner ces œuvres à du contre-canon, dans la mesure où elles apparaissent dans des collections dont l’orientation en termes de marché vise un public militant, jeune, potentiellement déjà intéressé par ce genre d’œuvres et qui risquerait de ne pas permettre ce fameux passage du particulier à l’universel que souhaitait Monique Wittig (2018) pour la littérature minoritaire. D’autre part, l’existence de ces collections semble proposer cette littérature du passé comme une manière d’arme pour affûter le présent des luttes émancipatrices et féministes : elle propose une boîte à outils sous la forme d’un réservoir de modèles et de contre-modèles.

*L'utilisation du terme féminin ne vise ici pas à rendre un point de vue essentialisant sur le genre ; l'usage ironique du terme veut montrer, espérons-le, l'échec d'un recoupement entre féminin et femmes. 

Œuvres proposées à compte-rendu :

Modèles, contre-modèles : montrer une production romanesque de femmes 

Judith Gautier, Isoline [titre déjà attribué]

Rachilde, La Tour d’Amour

Rachilde, Monsieur Vénus suivi de Madame Adonis [titre déjà attribué]

Colette Andris, La femme qui boit [titre déjà attribué]

Andrée Violis, Criquet [titre déjà attribué] 

Jeanne Galzy, Les allongés [titre déjà attribué]

Josette Clotis, Une mesure pour rien [titre déjà attribué]

Féministes et femmes-auteur 

Mémoires d’une féministe intégrale, Madeleine Pelletier 

L'émancipation sexuelle de la femme, Madeleine Pelletier

Qu’est-ce que le féminisme, Nelly Roussel [titre déjà attribué] 

Pourquoi je ne suis pas féministe Rachilde [titre déjà attribué]

Les propositions de contribution sur les présents titres, tout comme les propositions d'autres rééditions récentes qui ne figureraient pas sur cette liste, doivent être adressées à : valentine.bovey@unibas.ch avant le 31 janvier 2025.

Publication prévisionnelle en juin 2025. 

Œuvres citées dans l'appel

Angenot Marc, Le cru et le faisandé: sexe, discours social et littérature à la Belle Epoque, Bruxelles : Editions Labor, 1986.

Barbedette Gilles et Carassou Michel, Paris gay 1925, Paris : Non lieu, 2008.

Bard Christine, Les filles de Marianne: histoire des féminismes 1914-1940, Paris : Fayard, 1995.

Dorlin Elsa, Sexe, genre et sexualités: introduction à la théorie féministe, Paris : Presses universitaires de France, 2008.

Fayolle Azélie, Des femmes et du style: pour un feminist gaze, Paris : Éditions Divergences, 2023. 

Planté Christine, La petite soeur de Balzac: essai sur la femme auteur, Lyon : Presses univ. de Lyon, 2015.

Reid Martine, Des femmes en littérature, Paris : Belin, 2010.

Reid Martine (dir.), Femmes et littérature, Paris : Gallimard, 2020.

Sedgwick Eve Kosofsky, Epistemology of the Closet, Berkeley : University of California press, 1990.

Tamagne Florence, « L’âge de l’homosexualité, 1870-1940 », in Aldrich Robert (dir.), Une histoire de l’homosexualité, Paris : Seuil, 2006.

Viala Alain, « Qu’est-ce qu’un classique ? », Bulletin bibliographique de France, vol. 37, no 1, 1992.

Wittig Monique, La pensée straight, Bourcier Sam (trad.), Paris : Ed. Amsterdam, 2018.

Source de la vignette : Caroline Dufau, vignette du journal féministe La Fronde (1897-1905). Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

[1] Toutes les informations et citations de ce paragraphe proviennent des sites des maisons des d’édition, soit https://www.gallimard.fr/Divers/Plus-sur-la-collection/Collection-L-Imaginaire/(source)/116163, novembre 2021, consulté le 6 mars 2024 et https://editions.flammarion.com/Catalogue/librio/oeuvre-du-matrimoine, consulté le 4 mars 2024.