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Cinégénies de Maylis de Kerangal (Bayonne)

Cinégénies de Maylis de Kerangal (Bayonne)

Publié le par Marc Escola (Source : Guillaume Rousseau)

Cinégénies de Maylis de Kerangal

Journée d’études du vendredi 5 juin 2026 en présence de l’autrice

Université de Pau et des Pays de l’Adour, Bayonne 

UR ALTER 

L'œuvre de Maylis de Kerangal, initiée en 2000 avec Je marche sous un ciel de traîne, connaît depuis Réparer les vivants (2014) et ses nombreux prix un succès à la fois populaire et critique. Ses romans et récits font désormais l’objet d’études universitaires prenant des formes variées : actes de colloque (Bonazzi, Narjoux & Serça 2017), numéros de revue (Capone & Ternisien 2019, Huglo 2021), monographie (Delga 2024). Ces études ont permis de mettre en valeur la singularité stylistique des textes mais aussi leurs enjeux littéraires : approche ethnographique, goût du romanesque, renouveau de l’épique, création d’une « pensée-paysage »… À la suite de ces travaux, cette journée d’études se centrera sur un sujet encore peu étudié par la critique (à l’exception de Coyault in Huglo 2021) : les relations de l'œuvre de Maylis de Kerangal avec le cinéma.  

L’empreinte du cinéma dans les romans et récits de Maylis de Kerangal 

Depuis Corniche Kennedy (2008), son « régime visuel » (Kerangal, France culture 2020) et sa photographie solaire, le septième art a pris une place de choix dans l'œuvre de Kerangal. Les textes sont marqués par une mémoire cinématographique : nombreuses sont les « références intermédiales » (Rajewsky 2015) à des films aimés, à des scènes cultes, à des acteurs et actrices célèbres – À ce stade de la nuit gravite ainsi autour de la figure de Burt Lancaster, surgissant dans l’imaginaire de la narratrice qui vient d’avoir connaissance du naufrage d’un bateau de migrants au large de Lampedusa. Le cinéma est également intégré à la diégèse : le métier de plusieurs personnages est en lien avec le septième art, qu’il s’agisse de la conception des décors (Un monde à portée de main) ou du doublage (Jour de ressac). 
Pour restituer l’expérience émotive et sensorielle du monde, Maylis de Kerangal se saisit de l’esthétique filmique. Les communications pourront envisager les « indices de filmicité » (Gris 2012) disséminés dans les textes, qui permettent de percevoir le monde comme au cinéma, insistant sur son caractère visuel, donnant à voir la lumière, ou transposant des techniques filmiques, lorsque la narratrice se met dans la peau d’une scénariste – dans Naissance d’un pont, quand Summer parcourt le chantier du regard, la description se fait ainsi « travelling panoramique » (NP 79). La bande-son des romans est également soignée, agrégeant discours en style direct libre (Germoni in Bonazzi et al. 2017), bruitages variés et chansons. Il s’agira d’explorer les effets des « transpositions intermédiales » (Rajewsky 2015) sur la narration et sur la description. Maylis de Kerangal affirme en effet construire ses romans selon des paradigmes cinématographiques, endossant la posture (Meizoz 2011) d’une réalisatrice : « Quand je parle à mon éditeur, je le fais en termes de séquences ou de scènes. Il y a des principes de montage qui pour moi sont très clairs, il faut monter le texte, jouer sur les durées » (Kerangal, Bande à part 2018). Sur le plan stylistique, la phrase kerangalienne représente le monde de manière particulièrement vive et frappante, à la manière d’une scène de cinéma, par le recours à l’hypotypose (Stolz in Bonazzi et al. 2017) ou « narration descriptive » (Louvel 2014), renouvelant cette figure traditionnelle de la monstration en lui conférant un caractère filmique (Gris 2012). 
Sous la plume de Maylis de Kerangal, une conscience cinématographique du monde se déploie, notamment grâce à la notion de paysage, essentielle pour l’autrice (« Chasseur-cueilleur… » 2014). La définition qu’elle en donne à la suite de Gilles Clément — « ce que nous gardons en mémoire après avoir cessé de regarder » (ASN 52) — s’applique également aux images des lieux véhiculés et sublimés par les films. En arrivant pour la première fois dans le Colorado, la narratrice de « Mustang », qui a modelé son imaginaire à partir des westerns, a une sensation de déjà-vu (C 56). La question se pose aussi de savoir ce qui, dans la représentation kerangalienne du Havre, provient de sa « cinégénie prodigieuse » (JR 183). En magnifiant les paysages à travers le monde, le cinéma participe de la « vie voyageuse » chère à la romancière : la lucarne du Transsibérien de Tangente vers l’est fait office d’« écran de cinéma » (TE 45). L’on pourra ainsi préciser le rôle que joue le cinéma dans la construction du « roman nomade » (Adler in Bonazzi et al. 2017) de Maylis de Kerangal.  
 
Devenirs du romanesque 
 
Comme l’a montré Dominique Rabaté, Maylis de Kerangal écrit une œuvre qui retrouve l’« investissement dramatique de la fiction » (Rabaté 2024), après les expérimentations ludiques des romanciers durant les années 1980 et 1990, notamment des écrivains de Minuit. S’appuyant sur un romanesque assumé, elle laisse s’épanouir les émotions. Dans ce cadre, l’on sera sensible au jeu des affects dans les transpositions intermédiales. Les scènes de baiser de Corniche Kennedy ou de Réparer les vivants appellent un imaginaire volontiers hollywoodien (Rabaté in Bonazzi et al. 2017). Le romanesque issu du cinéma apporte aussi aux scènes des textes de Kerangal un surcroît d’intensité dramatique et d’attractivité pour le lectorat d’aujourd’hui. Mentionnons la fin spectaculaire de la novella « Mustang », où le vol plané de la narratrice, au volant de la voiture mythique, rappelle « une cascade de cinéma » (C 100) qui lorgne, comme d’autres romans français contemporains, vers le blockbuster hollywoodien (Gris 2019). 
Cependant, sans aller jusqu’à l’ironie d’un Jean Echenoz ou d’un Tanguy Viel, la reprise de ces imaginaires cinématographiques par la fiction littéraire se révèle ambivalente. « La grandiloquence assumée » (Rabaté in Bonazzi et al. 2017) du baiser entre Mario et Suzanne dans Corniche Kennedy devient dissonante dès lors que la narratrice nous montre « l'excès de bave » (CK 70) aux commissures des lèvres ! On prêtera ainsi attention aux « petits désajustements entre le monde et les imaginaires, et en particulier les imaginaires [...] cinéphiliques » (Demanze 2024).  
 
« Je suis venu voir si le cinéma nous ment » (« Sous la cendre » 86) 
 
À un dernier niveau d’analyse, la présence du cinéma dans l'œuvre fait signe vers la fiction, entendue comme représentation délibérément factice. Avec la préparation des décors, Un monde à portée de main nous fait ainsi entrer dans « la fabrique de l’illusion » (MPM 231). Le travail de Paula démystifie pour de bon la vision naïve de son enfance où elle croyait que « les figurants qui mouraient à l’écran mouraient pour de vrai » (ibid.). Dans le monde en carton-pâte de Cinecittà, l’art du trompe-l’œil met en lumière, par rétroaction, la fictionnalisation à l'œuvre dans les romans de Maylis de Kerangal. On retrouve à ce titre un questionnement récurrent du roman contemporain où la représentation du monde passe par la médiation des écrans, tant les technologies iconiques impriment désormais leur marque sur les consciences (Clerc 1984).  
Au-delà des enjeux esthétiques, ce regard porté sur la fiction au prisme du cinéma présente une dimension historique et politique, voire sociétale. Avec l’approche documentaire qu’on lui connaît, Kerangal rappelle que Cinecittà, la « fabricca dei sogni », a surtout été « l’arma più forte » (MPM 226), un instrument de propagande à la gloire de Mussolini, en somme une manière de réécrire et falsifier l’Histoire. Les romans et récits engagent aussi une réflexion en filigrane sur les stéréotypes induits par les rôles genrés du cinéma et, plus particulièrement du cinéma hollywoodien (VV 70). Lors de la dispute entre Simon et Juliette, le contraste est saisissant entre la jeune fille qui prend le rôle de « l’actrice fragile et passionnée » (RV 142) et l’adolescent qui « jou[e] à l’homme » (RV 143). Dans une œuvre au féminisme subtil qui se refuse aux manifestes (Delga 2023 b), le cinéma pourrait bien être aussi un moyen de s’interroger sur la place que la société réserve aux femmes — voir par exemple le traitement de la figure de Marilyn Monroe dans « Feu Marilyn ».  
 
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons les axes de réflexions suivants :  

  • Représentations du cinéma comme lieu et comme expérience dans l'œuvre de Maylis de Kerangal
  • Perception du monde par le prisme du cinéma ; écriture à caractère cinématographique 
  • Le cinéma, vecteur d’émotions ; cinéma et manifestation de la présence 
  • Une œuvre au carrefour des arts : représentations intermédiales et transmédiales 
  • Rôles des imaginaires cinématographiques dans l’œuvre ; adhésion et distance par rapport à ces imaginaires cinématographiques 
  • Enjeux historiques, politiques et sociétaux du cinéma 

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Bibliographie 
 
Textes littéraires de Maylis de Kerangal cités dans l’appel 
 
La Vie voyageuse [2003], Paris, Éditions Verticales, 2014. 
 
« Sous la cendre », in Ni fleurs ni couronnes [2006], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2021. 
 
Corniche Kennedy [2008], Paris, Gallimard, coll. « Folioplus », 2022. 
 
Naissance d’un pont [2010], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2011. 
 
« Feu Marilyn » [2012], Un archipel. Fictions, récits, essais, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2022, p. 161-171.  
 
Tangente vers l’est, Paris, Éditions Verticales, 2012. 
 
Réparer les vivants [2014], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2016. 
 
À ce stade de la nuit [2014], Paris, Éditions Verticales, 2015. 
 
Un monde à portée de main [2018], Paris, Éditions Gallimard, coll. « Folio », 2020. 
 
« Mustang », in Canoës, Paris, Éditions Verticales, 2021. 
 
Jour de ressac, Paris, Éditions Verticales, 2024. 
 
Adaptations cinématographiques des œuvres de Maylis de Kerangal  
 
ERLIH Charlotte : 

  • Eaux troubles, 2014, adaptation de Ni fleurs ni couronnes
  • L’abîme, 2015, adaptation de « Critérium du premier jour » 
     

CABRÉRA Dominique, Corniche Kennedy, 2016.

QUILLÉVÉRÉ Katell, Réparer les vivants, 2016. 
 
Textes critiques et entretiens 
 
BONAZZI Mathilde, NARJOUX Cécile, SERÇA Isabelle (dir.), La Langue de Maylis de Kerangal. « Étirer l’espace, allonger le temps », Dijon, EUD, 2017 : 

  • ADLER Aurélie, « Naissance d’un pont et Réparer les vivants : des romans épiques ? », p. 33-47.
  • GERMONI Karine, « Réparer les vivants ou comment greffer la parole vive : discours direct, absence des guillemets et tirets dialogiques », p. 181-198.
  • RABATÉ Dominique, « “Créer un peuple de héros”, Maylis de Kerangal et le personnage », p. 73-82. 
  • STOLZ Claire, « Poésie et fiction, l’hypotypose chez Maylis de Kerangal », p. 159-169. 


CAPONE Carine, TERNISIEN Caecilia (dir.), Maylis de Kerangal : Corniche Kennedy, Naissance d’un pont, Réparer les vivants, Roman 20-50, n°68, décembre 2019. 
 
CLERC Jeanne-Marie, Le Cinéma, témoin de l’imaginaire dans le roman français contemporain, Berne, Francfort-sur-le-main, Nancy, Peter Lang, 1984.  
 
DELGA Delphine : 

  • « Maylis de Kerangal, “Mustang” : une “poéthique” de la mobilité », in Simona Jișa, Melanie Schneider (dir.), À vélo, en auto, en train. L’imaginaire de la mobilité terrestre dans les littératures francophones, Cluj-Napoca, Casa Cărții de Știință, coll. « Romanul francez actual", 2023 a, p. 51-64. 
  • « Canoës. Une clé de (re)lecture féministe de l’oeuvre de Maylis de Kerangal », Roman 20-50, n° 76, 2023 b, p. 193-206. 
  • Géographies de Maylis de Kerangal, Leiden, Boston, Brill, 2024. 

 
DEMANZE Laurent, « Doublures du monde – sur Jour de ressac de Maylis de Kerangal », AOC, [En ligne] URL : https://aoc.media/critique/2024/08/25/doublures-du-monde-sur-jour-de-ressac-de-maylis-de-kerangal/, 2024 (consulté le 15 juin 2025). 
 
GRIS Fabien :  

  • Images et imaginaires cinématographiques dans le récit français (de la fin des années 1970 à nos jours), Thèse de doctorat, Université Jean Monnet - Saint-Etienne, 2012, [En ligne] : https://theses.hal.science/tel-00940135v1 (consulté le 15 juin 2025).
  • « Genre romanesque et romanesque cinématographique : un désir de blockbusters et de cinéma de genre dans le roman contemporain français », in Jan Baetens et Nadja Cohen (dir.), Écrire après le cinéma, Études Françaises, vol. 55, n° 2, 2019, https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/2019-v55-n2-etudfr04745/1061903ar/, (consulté le 15 juin 2025) 

 
HUGLO Marie-Pascale (dir.), Maylis de Kerangal. Puissances du romanesque, Études françaises, vol. 57, n° 3, 2021, https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/2021-v57-n3-etudfr06828/, (consulté le 15 juin 2025) :  

  • COYAULT Sylviane, « Tourner la page. Dernières images dans les romans de Maylis de Kerangal ».  

DE KERANGAL Maylis :   

LOUVEL Liliane, « Disputes intermédiales : le cas de l’ekphrasis. Controverses », Textimage, Cinesthétique (le cinéma de la littérature), n° 6, 2014, [En ligne] URL : https://revue-textimage.com/conferencier/02_ekphrasis/louvel4.html, (consulté le 15 juin 2025). 
 
MEIZOZ Jérôme, La Fabrique des singularités. Postures littéraires II, Genève, Slatkine Érudition, 2011.  
 
RABATÉ Dominique, « Le pathétique du roman », colloque Fabula « Une décennie de littérature en France (2010-2021). Déplacements de la critique et de la narration », 2024, [En ligne] URL : https://www.fabula.org/colloques/document11899.php, (consulté le 15 juin 2025). 
 
RAJEWSKY Irina, « Le terme d’intermédialité en ébullition : 25 ans de débat », in Caroline Fischer, Anne Debrosse (dir.), Intermédialités, coll. « Poétiques comparatistes », Nîmes, SFLGC/Lucie éditions, 2015, p. 19-54. 
 
SELLIER Geneviève, « Gender studies et études filmiques », Cahiers du genre, janvier 2005, n° 38, Éditions Association Féminin Masculin Recherches, p. 63-85. 


 
Comité scientifique  
 
Sylviane Coyault (Université Clermont Auvergne) 
Sylvain Dreyer (Université de Pau et des Pays de l’Adour)  
Fabien Gris (Université Paris-Sorbonne) 
Yves Landerouin (Université de Pau et des Pays de l’Adour)  
Laurence Riu-Comut (Université de Pau et des Pays de l’Adour)  
Guillaume Rousseau (Université de Pau et des Pays de l’Adour) 
 
Comité d’organisation 
 
Laurence Riu-Comut (Université de Pau et des Pays de l’Adour)  
Guillaume Rousseau (Université de Pau et des Pays de l’Adour)   


 
Modalités de participation  
 
Les propositions de communication (environ 300 mots), accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, devront être adressées avant le 15 octobre 2025 aux adresses suivantes : laurence.comut@univ-pau.fr et guillaume.rousseau@univ-pau.fr  
 
Les propositions seront examinées par le comité scientifique et une réponse sera donnée en décembre 2025.

Une publication des actes est prévue.