
Appel à contribution
FRANÇOIS MITTERRAND, HOMME DE LETTRES
Colloque organisé par l’Institut François Mitterrand et la SFHPo. En partenariat avec la BNF.
Date : 15-16 octobre 2026
François Mitterrand entretenait avec la littérature une relation particulière.
Avec les auteurs tout d’abord, et plus encore avec leur façon d’écrire, comme il le rappelle dans Mémoires à deux voix écrit avec Elie Wiesel :« Au collège, en seconde, un professeur me fit connaître la NRF……Grâce à lui, j’entrais dans un monde paradisiaque où le style était roi. ». Relation qu’il entretint toute sa vie par ses lectures comme par ses rencontres, innombrables, y compris durant sa vie politique et dans l’exercice de sa fonction présidentielle.
Avec l’écriture ensuite, au regard du très grand nombre de livres, discours, correspondances qui rythmèrent sa vie et auxquels il accordait, tant du point de vue du respect scrupuleux de la langue que de la recherche exigeante du mot juste, une attention constante. Même s’il devait avouer ne pas avoir eu une vraie vocation d’écrivain faute d’avoir fait le choix d’y consacrer sa vie. « Être un grand écrivain ? Si j’avais eu une ambition, elle aurait été celle-là. Mais je me voyais dans la peau d’un tribun de la Convention : j’écrivais les discours à leur place » poursuit-il ; plus loin : « J’aimais la parole, le verbe, quel qu’en fut le mode d’expression »[1]. Constat tenu par un homme au soir de sa vie ? La question mérite d’être posée, tant le propos contredit ce qu’il avait affirmé à Paris Match à son arrivée à l’Élysée – « Tenez compte pour mon portrait que je suis un écrivain avant d’être un homme politique »[2]. Quelques années plus tard, le président reconnaissait que les contraintes de l’action restaient les plus fortes : « On ne peut écrire sans l’unité de l’esprit, que seule rend possible l’unité de temps… Il y a un temps pour l’action et un temps pour l’écriture. Il est néanmoins possible de les réunir dans des œuvres de circonstances : allocutions, notes adressées à ses collaborateurs, préfaces à des ouvrages »[3].
Ce goût affiché pour la littérature, dans un pays où l’écriture constitue « une modalité d’exercice du métier politique »[4], ne saurait étonner. La « littérarisation du pouvoir »[5], institutionnalisée au siècle de Louis XIV, a laissé une trace durable dans la vie politique française, érigeant jusqu’à nos jours la culture lettrée comme norme, et conférant à ses détenteurs une ressource politique précieuse. Le fondateur de la Ve République, en plaçant le président au cœur des institutions et en lui prêtant les traits d’un homme providentiel, en a accentué le trait, érigeant en norme le « présidentialisme lettré »[6]. François Mitterrand, soucieux d’apparaître comme l’opposant par excellence du général de Gaulle, lui emboîta paradoxalement le pas, basculant en somme de l’écrivant – de livres politiques, exercice réservé à la profession – à l’écrivain. Dans une analyse incontournable pour qui s’intéresse à la question, François Hourmant a montré comment l’ancien président se forgea une image et une réputation d’écrivain à des fins de pouvoir, de la Nièvre à l’Élysée, jusqu’à « la tentation de l’immortalité »[7].
Mais si Mitterrand sut comme peu d’hommes politiques instrumentaliser son goût pour la littérature à des fins politiques, il n’en cultiva pas moins une passion pour les écrivains, la lecture et l’écriture. C’est cette sensibilité littéraire de l’homme politique que nous proposons d’interroger, à travers une approche pluridisciplinaire. Des sources qui ont fait l’objet de publication récentes[8], ou qui ont été déposées en archives[9] permettent en effet d’examiner à nouveau frais et d’approfondir la réflexion, en veillant à ne pas se limiter à la période élyséenne de sa trajectoire politique et biographique[10], ou à la seule décennie d’Épinay, si riche en publication de livres et si incontournable dans la quête du pouvoir élyséen fût-elle. Loin de s’en tenir à l’écriture, il convient de saisir l’homme de lettres dans toutes ses dimensions – des pratiques de lecture à la présence d’écrivains dans son entourage et à la publicité qu’il en fait. Si la démarche est d’abord biographique, elle ne saurait isoler François Mitterrand de ses contemporains ou de ses prédécesseurs, français ou étrangers. Plus profondément, ce détour par la littérature est l’occasion d’enrichir la réflexion sur le métier politique, que ce soit sur la place de l’intime en politique, les émotions, les sensibilités et, plus encore, le rapport au temps.
Les communications proposées s’inscriront dans au moins l’un des axes suivants :
1) Les contacts avec la littérature :
Il convient d’abord d’analyser par quels vecteurs François Mitterrand entre en contact avec la littérature, que ce soit dans sa jeunesse, bien sûr, mais tout au long de sa vie. Par l’attention portée aux représentations – quelle conception se fait-il de la littérature ? –, aux réseaux, aux lieux (librairies, bibliothèques, théâtres) et à la matérialité de l’objet « livre », il s’agira de mesurer la place de la littérature dans le quotidien de François Mitterrand.
- Une attention particulière sera logiquement accordée à la formation littéraire du jeune Mitterrand.
- Il conviendra par ailleurs d’entrer dans sa « bibliothèque » et de dresser sur la durée d’une vie le portrait intellectuel de François Mitterrand, d’explorer la constance ou la variation de ses influences comme de ses préférences, et d’analyser la bibliothèque d’un homme d’État – quelle est la part des goûts personnels, des passages obligés et de l’instrumentalisation, du bibliophile. Il sera utile à ce stade de pouvoir évoquer quelques-uns de ses auteurs favoris (Lamartine, Chateaubriand etc.), sans occulter la grande diversité de ses goûts.
- L’on pénètrera ensuite au « salon » de François Mitterrand – étant entendu que le plaisir personnel croise l’intérêt politique avec la mise en scène de l’homme politique proche des écrivains : quels écrivains fréquente-t-il ? De quoi parlent-ils ensemble ? Quelle place la littérature tient-elle dans sa conversation ?
Des études de cas sont possibles : Paul Guimard, Benoîte Groult, Françoise Sagan et Marguerite Duras (avec laquelle il publia un livre d’entretiens[11]).
- Enfin l’on entrera dans ses « librairies » favorites pour évoquer aussi son rapport à l’objet qu’est le livre dans sa matérialité et sa bibliophilie.
2) La littérature en politique et au pouvoir :
François Mitterrand fut non seulement un écrivain politique, tant dans l’opposition qu’au pouvoir (cf. La lettre aux Français), un orateur inspiré, mais aussi un lecteur de tous les instants. Il serait par conséquent bienvenu d’interroger ses pratiques de lecture, d’écriture et de publication – quelles relations entretenait-il avec les maisons d’édition ? De cette familiarité avec la littérature, il fit une ressource politique, qu’il conviendra d’analyser dans sa diversité (la mobilisation d’un entourage littéraire dans les campagnes électorales, la participation à des émissions télévisées littéraires, la publication d’éditoriaux dans la presse et de livres politiques, les références littéraires dans l’art oratoire mitterrandien…), avant de questionner l’influence de l’homme de lettres sur les politiques publiques menées sous la houlette du président de la République (le prix unique du livre, la construction de la BnF…). François Mitterrand était-il le dernier représentant de générations politiques nourries de culture littéraire ou une « exception culturelle » dans un monde politique livré à l’immédiateté médiatique et au discours technique ? Des comparaisons avec ses pairs s’imposent ici, non seulement dans le temps long de la vie politique française, mais aussi avec des hommes politiques lettrés étrangers – afin de mieux interroger l’existence d’une spécificité française.
3) Un auteur prolifique : l’auteur d’une œuvre ?
Il s’agira ici d’observer les écrits de François Mitterrand dans leur variété (pamphlet, essai, éditorial, critique littéraire, correspondance amoureuse, portraitiste, diariste…) :
- Une attention particulière sera portée à l’écriture de soi et à l’écriture de l’intime (pratique d’écriture quotidienne sans visée de publication, rapport avec l’acte d’écrire, style et influences, motivations, etc) ;
- On interrogera les discours produits dans ces écrits : au-delà des idées et du débat politique, quels discours sur soi, sur le métier politique ? Autrement dit quelle image donne-t-il à voir ?
- Que reste-t-il de ses écrits aujourd’hui ? La mémoire de François Mitterrand fait-elle une place à l’homme de lettres ?
Ces questions peuvent être l’occasion de revenir sur les publications autour de François Mitterrand, les publications / republications de ses écrits (des Œuvres complètes aux Belles Lettres à la publication des Lettres à Anne et du Journal pour Anne : un succès d’édition ? Quel accueil médiatique ?).
Il serait en outre intéressant d’étudier François Mitterrand comme personnage de fiction (littérature, bande dessinée, cinéma).
Les propositions de communication pourront être adressées avec une courte présentation à :
colloquemitterrand@gmail.com">colloquemitterrand@gmail.com, au plus tard le 15 septembre 2025.
Le comité scientifique du colloque est composé de : Judith Bonnin, Frédéric Bozo, Noëlline Castagnez, Antoine Compagnon, Alexandre Gefen, Pascale Goetschel, François Hourmant, Jean-Marc Hovasse, Bernard Lachaise, Michel Murat, Pascal Ory, Anne-Laure Ollivier, Sébastien Repaire.
Comité d’organisation : Institut François Mitterrand / SFHPo
[1] François Mitterrand, Elie Wiesel, Mémoire à deux voix, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 162-163.
[2] Paris Match, 3 juillet 1981.
[3] François Mitterrand, Elie Wiesel, op. cit.
[4] Christian Le Bart, « L’écriture comme modalité d’exercice du métier politique », Revue française de Science politique,1998/1, vol. 48.
[5] Christian Jouhaud, Les pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000.
[6] Christian Le Bart, La politique en librairie. Les stratégies de publication des professionnels de la politique, Paris, Armand Colin, 2012.
[7] François Hourmant, Le pouvoir et la plume. Portrait d’un président en écrivain, Paris, PUF, 2010.
[8] François Mitterrand, Lettres à Anne, 1962-1995, Paris, Gallimard, 2016, et François Mitterrand, Journal pour Anne, Paris, Gallimard, 2016.
[9] Notamment : le fonds Anne Pingeot à la BnF, les archives Mitterrand à l’IFM.
[10] Serge Berstein et alii, François Mitterrand : les années du changement, 1981-1984, Paris, Perrin, 2001.
[11] Marguerite Duras, François Mitterrand, Le bureau de poste de la rue Dupin et autres entretiens, Paris, Gallimard, 2006.