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Transitions au pays de la civilité ? (Taïwan)

Transitions au pays de la civilité ? (Taïwan)

Publié le par Marc Escola (Source : Pascal Lin )

Les 3 et 4 novembre 2017 aura lieu à l’Université Nationale Centrale de Taiwan le colloque international

 

TRANSITIONS AU PAYS DE LA CIVILITE ?

organisé par le département de langue et littérature française (l’Université Nationale Centrale de Taiwan) et Transitions (Université de la Sorbonne-Nouvelle-Paris III)

 

Argumentaire

 

Comité scientifique :

Hélène Merlin-Kajman (professeure, Université de la Sorbonne-Nouvelle- Paris III)

Hsu Chi-lin, (professeure, Université Nationale Centrale)

Pascal Lin, (professeur associé, Université Nationale Centrale)

Tanguy Lepesant, (professeur associé, Université Nationale Centrale)

Kan Chia-Ping, (professeure associée, Université Nationale Centrale)

Ivan Gros, (professeur assistant, Université Nationale Centrale)

 

 

Mouvement-Transitions est un groupe de recherche rattaché à Paris III. Son activité universitaire (séminaires, rencontres, organisation de colloques, publications) défend une thèse et un engagement parfaitement original dans le paysage critique d’aujourd’hui[1] . Mouvement-Transitions est né d’une crise dans l’enseignement des lettres. Cette crise est générale car elle déborde largement le cadre de l’hexagone. Le triomphe du modèle scientifique à l’échelle planétaire a pour corollaire l’affaiblissement de l’enseignement de la littérature et des sciences humaines en général. Cet affaiblissement correspond à la fin du processus de disparition des « Humanités », système qui s’appuyait en Europe et en Amérique du Nord sur l’enseignement des arts libéraux, puis sur l’enseignement de la littérature et des langues anciennes. Dans ce nouveau système, seules subsistent les disciplines qui par mimétisme peuvent se fondre jusqu’à l’absurde dans le modèle scientifique. La littérature est peut-être de toutes les sciences humaines, celle qui est la moins réductible à ce nouveau modèle et se trouve de ce fait menacée, sommée de justifier de son « utilité ». Or un nombre croissant d’intervenants dans le cadre des séminaires de Transitions, de toutes disciplines (sciences humaines et sciences exactes confondues), a confirmé une intuition : le lien fondamental entre littérature et civilité.

Très schématiquement, Hélène Merlin-Kajman, l’écrivain-chercheur qui a fondé le mouvement, a développé une thèse originale selon laquelle la naissance de la communauté des gens de lettres, symbolisée par la création de l’Académie française, contemporaine au XVIIe siècle de la fin des guerres de religion et de la confiscation de la sphère publique par l’absolutisme, ne signifie pas pour autant l’embrigadement de la littérature au service de la monarchie. Elle est en effet articulée au partage historique et symbolique entre les sphères privée et publique : au XVIIIe siècle, le développement de la société civile va naître de la sphère privée nouvellement émergée. Cette thèse prend ainsi à contrepied certains dogmes propres à la nouvelle critique qui voit par exemple l’Académie française comme un vecteur de normalisation politique alors qu’elle joue un rôle fondamental dans la pacification sociale des mœurs (cf. Public et littérature au XVII e siècle et l’Excentricité académique).

La réflexion sur la civilité va de pair en effet avec une appréhension subjectivée des normes. Là où la critique avant-gardiste interprétait la norme comme une forme d’asservissement social qui culmine avec le mot de Barthes dans sa leçon inaugurale au  Collège de France : « la langue est fasciste », Hélène Merlin-Kajman réinterprète cette notion de norme en la combinant avec celle de civilité, analysant notamment l’essor de la littérature pour la jeunesse, l’usage des manuels scolaires, les formes contemporaines de lectures, susceptibles de transmettre du « trauma » et d’exercer des générations de citoyens aux formes non maîtrisées de l’incivilité (La langue est-elle fasciste ? et Lire dans la gueule du loup ). Ainsi, la littérature se révèle être de nature transitionnelle (au sens où l’entend Donald Winnicott), c’est-à-dire qu’elle est un vecteur de socialisation qui permet de faire le lien entre la sphère privée et la sphère publique. C’est en définitive cette notion qui donne son nom au mouvement.

Ainsi, en se penchant sur le « point d’intersection entre littérature et sociabilité », en s’intéressant au « langage en tant qu’il fait lien » et à la « menace de déliaison qui pèse sur les discours symboliques », ce groupe de recherche propose une interprétation originale de la « crise de l’humanisme ». Les enjeux d’une telle réflexion sont multiples : anthropologiques, linguistiques et littéraires[2] .

Selon Transitions, la « littérature aurait cessé d’organiser la culture des démocraties ». Ce colloque propose de partir de ce constat pour ouvrir un dialogue avec les sociétés démocratiques d’Asie sur la littérature comme lien et comme lieu de civilité – entendons provisoirement par ce mot le souci général de la sphère publique, du bien commun, de cet entre-deux, espace de respect mutuel qui permet le vivre-ensemble. Ce dialogue pourra notamment se nouer avec Taïwan où le colloque se déroulera, mais pas uniquement. Dans cette jeune démocratie, la littérature sous toutes ses formes s’est affranchie de la tutelle de l’Etat-parti il y a une vingtaine d’années seulement. L’île est aujourd’hui une pépinière de maisons d’éditions, un vivier de librairies. Les blogs, innombrables, et les réseaux sociaux dont le taux de pénétration est l’un des plus élevés au monde y jouent un rôle central dans l’essor actuel d’une société civile portée par une jeune génération de citoyens-activistes. Au fil de la multiplication des lieux de discussion et des luttes qui se sont engagées ou intensifiées sur bien des fronts (environnement, nucléaire, expropriations abusives, conditions de travail, logement, etc.), mais aussi lors de la prise et de l’occupation du Parlement par les étudiants pendant plus de trois semaines au printemps 2014, le recours à la violence a été souvent débattu, très peu mis en oeuvre. De même, les actes de protestation prennent très rarement la forme de dégrations volontaires de l’espace public. Ce tableau apparemment idyllique peut toutefois être aisément contrasté. Si Taïwan a connu trois alternances politiques sans heurts, il est cependant difficile de conclure à une scène politique apaisée face aux échanges de coups de poing et aux lancés de chaises dont le Parlement et les conseils municipaux sont régulièrement le théâtre. De façon plus générale, la société taïwanaise présente de très forts contrastes entre des espaces de civilité indéniables (respect des équipements publics, respect des biens d’autrui et quasi absence de vols, comportements dans les transports en commun) et d’autres où la pensée d’un vivre-ensemble, la prise en compte de la présence et de l’importance de l’autre semblent disparaître totalement (sur la route, notamment).

Taiwan n’est ici qu’un exemple pris pour montrer qu’il n’existe pas « une civilité » mais des « espaces de civilité » qui correspondent à autant d’espaces sociaux différents, et qu’un même individu navigue dans ces espaces sociaux en ne s’y comportant pas forcément de façon uniforme ou linéaire. Partant de ce constat, le colloque pourra se pencher sur les questions suivantes : pourquoi y a-t-il expression de civilité dans certains espaces sociaux et non dans d'autres ? En quoi la littérature y est-elle ou non pour quelque chose ? Quel rôle joue-t-elle dans la constitution et l'entretien de ces espaces de civilité ? Pourquoi la littérature comme lien entre les êtres humains et les lieux de civilité doit-elle être considérée comme « une zone à défendre » ?

Cette réflexion engage tous les acteurs de la vie intellectuelle quelles que soit les disciplines auxquelles ils se rattachent. S’il y a menace et « zone à défendre », ce sont tous les usagers des lettres, enseignants de littérature, critiques littéraires, simples lecteurs qui sont concernés. Le colloque peut intégrer des études comparées ou non, portant sur les usages de la littérature (en sciences humaines ou autres), sur l’enseignement de la littérature, sur la civilité dans les manuels scolaires, sur la réception des classiques francophones, sur l’essor de la paralittérature (« littérature pour la jeunesse », « bande dessinée », etc.), sur la civilité et la langue des réseaux sociaux, et bien sûr sur les concepts même de civilité, de norme et de littérature.

 

 

Bibliographie indicative :

 

Hélène Merlin-Kajman, Lire dans la gueule du loup, Paris, Gallimard, 2016

Hélène Merlin-Kajman, Public et littérature au XVIIe siècle, Paris, Les Belles-Lettres, 1994

Hélène Merlin-Kajman, La Langue est-elle fasciste ?, Paris, Seuil, 2003

 

Norbert Elias, La Civilisation des mœurs (Calmann-Lévy, 1973), Pocket, 2002

Donald Winnicott, Les Objets transitionnels, Paris, Payot, 2010

Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard, 1987

Hannah Arendt, La Crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972

Eiko Ikegami, Bonds of civility, Aesthetics Networks And Political Origins of Japanese Culture, New School University, New York, 2005

 

Langue officielle : Français

Les propositions d’une page accompagnées d’un bref CV sont à envoyer avant le 15 février 2017 à 

 

NCU, ncu3300@ncu.edu.tw

 

Department of French, National Central University

300, Jhongda Road, Jhongli City, Taoyuan 32001

Taiwan

 

[1] : http://www.mouvement-transitions.fr

[2] Pour un développement de cette problématique : http://www.mouvement-transitions.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=733&Itemid=955)