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Soutenance de thèse de K. Abiven, L’Anecdote ou la fabrique du petit fait vrai. Un genre miniature, de Tallemant des Réaux à Voltaire (1650-1756)

Soutenance de thèse de K. Abiven, L’Anecdote ou la fabrique du petit fait vrai. Un genre miniature, de Tallemant des Réaux à Voltaire (1650-1756)

Publié le par Laure Depretto

Soutenance de thèse de Karine Abiven, L’Anecdote ou la fabrique du petit fait vrai. Un genre miniature, de Tallemant des Réaux à Voltaire (1650-1756)

Université Paris-Sorbonne, salle des Actes (entrée 54 rue Saint-Jacques, 75005 Paris), le samedi 17 novembre, à 14h.

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Le jury sera composé de:

M. Jean-Michel Adam       Professeur émérite de l’Université de Lausanne

M. Emmanuel Bury          Professeur à l’Université de Versailles Saint- Quentin-en-Yvelines

Mme Delphine Denis        Professeur à l’Université Paris-Sorbonne

Mme Béatrice Guion         Professeur à l’Université de Strasbourg

M. Jean-Paul Sermain       Professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3

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Position de thèse:

Quiconque raconte une anecdote commence généralement par un prudent avertissement : « Ce n’est qu’anecdotique », « ce n’est qu’une anecdote ». Cette stratégie de la restriction tente d’anticiper le discrédit qui pèse sur une petite forme jugée trop futile pour être digne d’intérêt ou trop piquante pour être vraie. Si la minoration est ainsi l’escorte commune de ce genre de récit, le discours de légitimation n’est jamais loin : de même que le lapsus est toujours révélateur et que l’exception confirme la règle, l’anecdote est volontiers dite significative, caractéristique, exemplaire. Cette narration brève, efficace et centrée sur un individu est aussi ancienne que le récit de vie lui-même ; en revanche, ce métadiscours aujourd’hui courant, qui mêle circonspection et prétention à l’exemplarité, se développe avec la diffusion du mot anecdote, dans la période qui va des années 1685 au milieu du XVIIIe siècle. Les recueils d’anecdotes et de pensées qui fleurissent dans ces décennies (et qu’on nomme les Ana) sont publiquement cloués au pilori mais avidement pillés dans les boutiques des libraires ; Voltaire leur consacre un article assassin dans les Questions sur l’Encyclopédie, et un rayon de sa bibliothèque. L’anecdote semble proliférer alors même qu’elle est sous le feu des critiques, sans qu’il faille s’en étonner : qu’on la croie vraisemblable ou piquante, elle sera le sel indispensable à un discours conçu pour plaire ; qu’on la croie fausse ou calomnieuse, elle sera propagée par ceux-là mêmes qui la dénoncent, profitant de la vertu disséminatrice propre au démenti des rumeurs. L’essor de l’anecdote et du discours qui l’entoure, de la fin du XVIIe siècle au mitan du siècle suivant, laisse penser que se cristallise alors une forme de micro-récit nouvelle et spécifique.

Au sens où l’on comprend communément ce mot en français moderne et contemporain, l’anecdote est une vignette narrative, lancée dans une conversation ou lue dans une biographie. C’est un récit minimal, caractérisé par une prétention à la véridicité et visant à susciter un affect chez le récepteur. Même assez restrictive, cette définition recouvre un nombre de textes virtuellement infini, parmi lesquels on se contente, dans ce travail, de glaner, en prélevant des échantillons dans des Mémoires, des Vies, ou des recueils de formes brèves. Fondé sur le repérage formel d’un schéma narratif, le corpus traverse les genres, les registres et les supports matériels (manuscrits ou imprimés) les plus divers. Cette définition spontanée et le choix de corpus qui en découle ne vont pourtant pas de soi dans la première modernité. En français classique, le mot anecdotes a plutôt le sens qu’il avait en grec ancien, celui d’« histoire secrète ». Il désigne très fréquemment des fictions à prétexte historique (en vertu de l’acception d’histoire au XVIIe siècle, qui désigne tout récit vraisemblable, qu’il soit vrai ou forgé) ainsi que des ouvrages à caractère satirique (le qualificatif secrète faisant signe vers l’invention ou la calomnie). Si la signification du mot est alors sensiblement différente de celle qu’il a aujourd’hui, les anecdotes telles qu’on les entend au sens moderne ne manquent pas pour autant à l’âge classique. Ces séquences dont la forme nous est familière sont étiquetées autrement dans les textes à l’étude : historiettes, particularités, singularités, traits ou contes.

Quand Tallemant rédige son épais manuscrit d’anecdotes[1], il choisit pour titre un mot récent, historiette, attesté pour la première fois en 1650 dans une lettre de Mme de Sévigné. Ce n’est qu’à l’époque de Saint-Simon et de Voltaire qu’on en vient à désigner de brèves séquences narratives par le mot anecdotes – comme dans le Siècle de Louis XIV, qui contient trois chapitres intitulés ainsi[2]. Notre corpus s’arrête avec l’édition de 1756 de cet ouvrage, dans laquelle Voltaire s’explique de son usage du micro-récit, et trousse au passage une formule souvent citée (« les anecdotes sont un champ resserré où l’on glane après la vaste moisson de l’histoire[3] »). Ces miettes d’Histoire se retrouvent aussi bien chez Saint-Simon ou Mme de Sévigné, dans les Mémoires de Choisy ou chez Racan biographe de Malherbe, chez Tallemant ou Voltaire. L’auteur des Historiettes raconte ainsi en une petite touche narrative un détail du règne d’Henri IV : « Il est bien certain que le Roy dit, un jour que Conchine, depuis mareschal d’Ancre, l’estoit allé saluer à Monceaux : “Si j’estois mort, cet homme-là ruineroit mon royaume[4]” ». Voltaire écrit dans une forme aussi concise, au sujet de Louis XIV : « C’était une anecdote très connue à la cour, qu’il avait dit après la mort du cardinal : “Je ne sais pas ce que j’aurais fait, s’il avait vécu plus longtemps[5]” ». Un ensemble textuel cohérent, du point de vue de la forme et des motifs, semble ainsi se dessiner du mitan du XVIIe siècle à celui du XVIIIe siècle.

Appuyée sur un corpus diversifié, l’étude distingue deux tendances de l’écriture anecdotique, qui dessinent deux généalogies distinctes, mais perméables : les formes brèves et l’histoire secrète. La forme brève est comprise comme un héritage d’une longue tradition exemplaire et sapientielle vigoureusement renouvelée par la promotion de l’acuité à partir des années 1660. La brièveté du récit est alors essentiellement un détachement (extraction de la petite forme sur un fond discursif, mais aussi gracieuse sprezzatura de la conversation). La deuxième filiation de l’anecdote la rattache à l’écriture de l’Histoire. Examiner les brèches où se glisse l’écriture de l’historiette permet de vérifier sur pièces le « basculement du centre de gravité de l’histoire de la politique à la vie privée[6] » qui se produit dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

La récurrence des anecdotes à cette époque est liée à des pratiques discursives favorables aux petits récits piquants, qui bruissent des rumeurs de la Cour et de la Ville et incarnent une Histoire vue « par le petit bout de la lorgnette », pour reprendre une expression convenue. Du « salon » Rambouillet d’avant la Fronde aux cercles mondains des Lumières, la fin de la première modernité voit se développer des modes de sociabilité propres à la mise en circulation de petites histoires reposant sur un savoir réservé. Les anecdotes sont, dans ce cadre, non seulement fréquentes comme genre de discours, mais aussi comme genre de textes : les pratiques mondaines sont alors souvent fixées par l’écrit, l’existence de ces groupes s’accompagnant d’une autocélébration, d’une publication[7]. Parallèlement, dans le champ de l’écriture de l’Histoire, la vogue des Mémoires, d’épée puis de cour, offre aussi à la postérité une masse considérable de petits récits, écrits par des témoins ayant eu accès à la face privée du pouvoir. Le dispositif anecdotique est ainsi lié aux « lieux de mémoire » que sont la conversation et l’écriture aristocratique de l’Histoire dans les Mémoires. À ce titre, de tels textes ont souvent servi de matériau documentaire à l’Histoire du Grand Siècle, non sans une certaine tendance à en faire le miroir d’une réalité passée, ou à l’inverse, un ensemble de potins satiriques peu crédibles. Loin de n’être que rumeur ou reflet, l’anecdote reste à construire comme objet historiographique et comme genre discursif à part entière.

De fait, de la microhistoire au New Historicism, en passant par l’histoire culturelle, nombreux sont les mouvements historiographiques qui reconsidèrent aujourd’hui le cas, le quotidien, le micro-fait comme objets proprement historiques, ayant valeur d’« indices » relatifs aux représentations du passé. Or, dans les études littéraires, le genre de l’anecdote, où émergent de telles représentations miniatures, n’a pas encore suscité de synthèse théorique. Un telle étude devrait permettre de comprendre ce qui fonde la validité historique d’un récit pourtant revêtu des atours du divertissement ou de la fiction. Plusieurs postulats méthodologiques nous ont semblé pertinents et compatibles pour résoudre ces tensions : une analyse narratologique, qui contribuerait à une poétique des genres factuels ; une modélisation de la séquence grâce aux outils de la linguistique textuelle ; une stylistique des genres, fondée sur des effets de série ; et une analyse de discours permettant de rendre compte des contraintes de production qui pèsent sur ce récit. Ces différents points de vue ont pour but une meilleure compréhension de la culture narrative de l’époque et une contribution à l’histoire des formes.

L’enquête vise donc à dégager un corpus de brèves séquences narratives et à en trouver la spécificité poétique et rhétorique à la fin de la première modernité. Ces questions sont abordées en deux parties, la première étant dévolue à cerner le « moment anecdotique » des années 1650-1756 ainsi que les avatars anciens qui en déterminent les contours, la seconde à l’étude des fonctionnements textuels de la séquence et le sens qui s’en dégage. Le premier chapitre pose la définition de l’anecdote et les outils méthodologiques qui ont paru les plus pertinents (l’analyse en termes de genre et de séquence). Le deuxième chapitre présente la généalogie du genre : les protocoles langagiers qu’elle met en oeuvre sont largement hérités de pratiques anciennes, bien connues aux siècles classiques (l’exemplum et ses avatars dans l’écriture des Vies, l’apophtegme et les collections d’extraits de paroles notables, ainsi que la facétie). Le troisième chapitre situe l’anecdote parmi les formes de l’historiographie aux XVIIe et XVIIIe siècles, depuis l’histoire secrète jusqu’aux Mémoires. Une fois précisées de la sorte les déterminations culturelles du genre, la deuxième partie est consacrée à l’examen de sa rhétorique et de sa poétique, qui analyse ses formes, ses fonctions et ses usages. Le quatrième chapitre donne les outils pour analyser les caractéristiques linguistiques de la séquence : quels sont les procédés qui rendent un récit concis, vif, frappant, détachable ? Un schéma prototypique se dégage alors, qu’il reste à articuler aux fonctionnalités textuelles et visées pragmatiques attribuées à ce modèle général dans le corpus ancien qui nous occupe. Le chapitre cinq interroge ces fonctions de l’anecdote à la fin de la première modernité, qui ne sont sans doute pas réductibles à celles de ses avatars anciens comme l’exemplum ; nous montrons notamment que ces différences rhétoriques traduisent une modification profonde de la représentation de l’expérience temporelle, qui implique une évolution du concept d’exemplarité. Le sixième et dernier chapitre corrobore cette hypothèse en exposant les nouveaux usages de l’anecdote, notamment dans les pratiques de compilation : si celles-ci s’inscrivent dans la lignée des collections anciennes, elles accordent aussi une importance accrue aux récits inscrits dans une expérience vécue, et non plus seulement issus d’un savoir livresque. Cet ancrage prétendument véridique n’empêche nullement le jeu avec la fiction ou la répétition topique des mêmes épisodes. L’esquisse d’un répertoire des récits ou des schémas récurrents devrait finalement donner une idée du nouveau réservoir d’histoires que constituent les anecdotes au milieu du XVIIIe siècle, terme de la période envisagée.

 

Plusieurs conclusions se dégagent de l’étude. D’abord, du point de vue formel, la notion qui résume le mieux les caractéristiques du modèle anecdotique est peut-être celle d’économie. En effet, dans les quelques lignes du micro-récit, tout semble agencé en vue d’une efficacité optimale. Grâce à l’expression concise des circonstances et au rythme rapide engagé par le recours fréquent à la parataxe, une tension est immédiatement perceptible entre l’ouverture du cadre narratif et sa chute. Ces deux éléments encadrants sont pour beaucoup dans la mise en relief de la forme. Cette saillance constitue sans doute l’identité stylistique de l’anecdote. L’examen de la texture confirme donc que le détachement est consubstantiel au micro-récit, critère qu’il partage avec d’autres formes brèves. Les caractéristiques de l’anecdote ne sont toutefois pas coextensives à celles qu’on attribue généralement aux genres du discontinu. En particulier, la densité suggestive et l’implicite ne sont peut-être pas compatibles avec l’efficacité d’un genre d’abord conçu pour susciter un affect. Le micro-récit n’a pas l’élaboration formelle et conceptuelle propre à susciter la « rumination » généralement associée à la théorie du style bref. Certes, sa pointe peut être constituée d’une parole mémorable dotée d’une certaine densité ; mais généralement, l’énonciateur sollicite plutôt le mot simple qui fait mouche ou l’épisode inédit qui étonne. 

La saillance stylistique de l’anecdote explique certaines de ses fonctions : son rôle mémoriel (frappante, l’anecdote devient mémorable), sa fonction pédagogique (elle permet de visualiser un savoir abstrait, comme l’exemplum) ou simplement sa dimension ornementale (amovible et légère, elle est un agrément du discours). Mais c’est surtout dans ses usages que son caractère détachable s’avère décisif. Empruntée, compilée, transformée, adaptée, elle a la malléabilité de toutes les citations : chaque énonciateur se l’approprie en lui conférant une nouvelle fonction, mais aussi en adaptant des éléments interchangeables (protagonistes, cadre spatio-temporel). La pérennité de l’anecdote, de ses schèmes narratifs et des images historiques qu’elle véhicule tient à cette labilité consubstantielle. Mémoire des textes, elle est aussi mémoire de la parole : ses liens avec l’oralité expliquent qu’on s’en souvienne, tant le style oral est un style « mnémonique[8] ». Ce n’est pas le moindre paradoxe que de constater, en rapprochant l’anecdote de la rumeur, que sa circulation a tendance à lui conférer un effet de vérité (si tout le monde le dit ou l’écrit, c’est que c’est vrai). Il est pourtant évident que cette sédimentation équivaut à un éloignement de la source, qui est parfois elle-même fautive. Ces processus, bien connus s’agissant d’énoncés marqués par le discours rapporté, prennent une valeur cruciale en un temps où les historiens et les philosophes se mettent à critiquer les contes issus de l’oral et les récits anciens reçus des autorités sans critique.

 

C’est cette évolution des formes rhétoriques de la narration historique qui constitue la principale conclusion de cette étude. Nous l’articulons à l’examen des fonctions, parce que seule l’analyse du rôle de l’anecdote dans l’agencement des éléments du macro-texte peut prouver concrètement son caractère innovant. En effet, si certaines occurrences des anecdotes reprennent les fonctions du paradigme exemplaire traditionnel (illustration, caractérisation), d’autres les subvertissent sensiblement. La mise en relief d’une causalité miniature, l’écart digressif dépourvu de motivation rhétorique, l’importance donnée au détail incongru, la valeur accordée à la minutie dès lors qu’elle est issue du témoignage, sont autant d’indices qui font de l’anecdote un exemple qui « cloche », pour reprendre les mots de Montaigne. Le « moment » anecdotique peut ainsi apparaître comme une étape et un symptôme de la « dissolution du topos » d’une Histoire maîtresse de vie[9].

Une ou deux générations après le moment crucial des Essais, la « particularité » se met à essaimer dans toutes sortes d’écrits factuels. Dans l’écriture des petites causes de l’Histoire, elle met en scène la face ordinaire des grands. Cette démystification des puissances établies répond aux remises en question de la période – depuis les pensées sceptiques du XVIIe siècle qui travaillent à la « démolition » du sujet héroïque jusqu’aux ambitions critiques des premières Lumières. Cet aspect annonce aussi l’essor des Vies privées dans le deuxième XVIIIe siècle. Dans le même temps, le micro-récit biographique devient envisageable pour des individus qui ne sont ni saints, ni rois, ni héros : les hommes de lettres. À la faveur de ce déplacement, l’écriture des Vies se renouvelle, devient plus attentive aux détails, à l’unicité de l’individu dont l’existence ne se coule plus dans le moule stéréotypé et sériel des recueils collectifs de Vies d’illustres. Le genre éditorial des Ana, qui se spécialise dans ce type de représentation de la sphère privée, prend son essor au moment où la réimpression des anciennes compilations et florilèges de formes brèves de la tradition rhétorique s’essouffle. On aime alors à citer la pensée judicieuse d’un auteur moderne ou l’aventure singulière advenue à un contemporain. Parallèlement, la perception de l’incident devient peu à peu possible : le processus de laïcisation progressif de l’Histoire est un facteur d’importance dans cette interrogation sur les accidents de l’expérience. L’écriture du cas, par exemple, qui se répand depuis la Renaissance, témoigne de cette prise en compte accrue de la contingence. Aussi les transformations conceptuelles et formelles de l’Histoire ne sont-elles pas isolées, et ce sont les pratiques d’écriture factuelle dans leur ensemble qui semblent assouplir les formes rhétorique de la représentation du réel. Pour notre objet, le genre le plus significatif à cet égard est la biographie. À partir du début du XVIIIe siècle, dotée de son nom moderne, elle succède à la Vie, témoignant de l’érosion d’un rapport privilégié aux valeurs et d’une recherche accrue d’individualisation[10]. L’anecdote peut alors être vue comme un proto-biographème. L’étude du lexique prend ici tout son sens, puisque l’Histoire de la langue peut s’articuler à celle des représentations : les mots anecdotes, ana, biographie apparaissent dans les années 1690, venant nommer des pratiques innovantes. Ces convergences apparaissent comme le signe d’une évolution des cultures narratives, qui prélude au recul des modèles de l’éloquence à partir de la fin du XVIIIe siècle. L’anecdote serait un des témoins de la perturbation qui affecte alors des formes pluriséculaires de la représentation temporelle.

 

L’hypothèse d’une cristallisation de l’anecdote comme forme autonome, distincte de ses étymons antiques, aux XVIIe-XVIIIe siècles, est ainsi légitimée par de multiples facteurs : pensée des « petites causes » de l’histoire, tendance individualisante de la biographie, émergence de la sphère intime, affaiblissement de la pression rhétorique sur la parole écrite et orale. Le genre de récit spécifique qui en résulte se caractérise par les trois phénomènes cognitifs et culturels que sont la curiosité, l’effet de véridicité et la dimension mémorable.

Sans doute pourrait-on prolonger cette investigation en examinant le fait divers, qui éclot au XIXe siècle et vient mettre de nouveau en crise le régime de l’exemplarité, par le spectacle qu’il donne de l’absurde chaos du monde. Anecdote ou fait divers, les genres de micro-récits connaissent toujours des incarnations vivaces – il suffit, pour s’en convaincre, de penser aux nouvelles configurations textuelles liées aux médias d’aujourd’hui, que ce soit les blogs ou les réseaux sociaux. Aussi l’enquête est-elle encore ouverte, qui puisse découvrir la suite de l’histoire longue des formes brèves.

 

[1] On pense que Tallemant des Réaux mit par écrit autour de 1657-1659 des notes prises depuis les années 1640. L’édition qui fait référence est celle de La Pléiade : Historiettes, A. Adam et G. Delassault (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1960-1961.

[2] Il s’agit des chapitres XXIV à XXVI, nommés « Particularités et anecdotes du règne de Louis XIV » dans Le Siècle de Louis XIV, J. Hellegouarc’h et S. Menant [éd.], Paris, Librairie Générale Française, Livre de Poche, coll. « Bibliothèque classique », 2005.

[3] Ibid., p. 1084.

[4] Historiettes, op. cit., p. 9.

[5] Le Siècle de Louis XIV, op. cit., p. 571.

[6] B. Guion, Du bon usage de l’histoire. Histoire, morale et politique à l’âge classique, Paris, Champion, coll. « Lumière classique », n° 79, 2008, p. 16.

[7] Sur la célébration de l’esprit et la « publication » des pratiques et des participants dans les sociétés galantes, voir D. Denis, Le Parnasse galant, Institution d’une catégorie littéraire au XVIIe siècle, Paris, Champion, coll. « Lumières classiques », n° 32, 2001, en particulier p. 47.

[8] H. Weinrich, « Le style et la mémoire », dans G. Molinié et P. Cahné (dir.), Qu’est-ce que le style ?, Paris, P. U. F., 1994, p. 339-354, p. 343.

[9] Pour reprendre le titre de l’article de R. Koselleck, « “Historia magistra vitae”. De la dissolution du “topos” dans l’histoire moderne en mouvement » [1967] dans Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, J. et M.-C. Hoock (trad.), Paris, Éd. de l’EHESS, 1990, p. 37-62.

[10] Voir J. Sgard, « Problèmes théoriques de la biographie », L’Histoire au XVIIIe siècle, Colloque d’Aix-en-Provence - mai 1975, Aix-en-Provence, Édisud, 1980, p. 187-199.