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Les valeurs dans le roman

Les valeurs dans le roman

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Jacques-David EBGUY)


 Université Nancy 2

Colloque : Les valeurs dans le roman : conditions d'une « poéthique » romanesque.

                                                                                        Du 5 au 7 mai 2010

L'Âge de la littérature intransitive, « autotélique », qu'ont ouvert, au tournant du XIXe siècle, les Romantiques allemands[1], a fait de l'oeuvre un Absolu soustrait au dehors. Or, après une longue période de séparation (en son temps nécessaire et féconde) entre la sphère esthétique et la sphère éthique, on retrouve aujourd'hui le sens qu'il y aurait à penser l'articulation entre les deux. Des philosophes comme Martha Nussbaum (Poetic Justice. The Literary Imagination and Public Life), Sandra Laugier (Ethique, littérature, vie humaine) ou Jacques Bouveresse, dans son récent Connaissance de l'écrivain, proposent de considérer la littérature (et en particulier le roman) comme une voie d'accès à une forme de connaissance morale. L'heure est à l'éthique, pourrait-on dire[2] : la réflexion sur les valeurs (entendues comme normes culturelles, sociales ou morales auxquels on se réfère pour évaluer des discours, des actions ou des jugements) et sur l'éthique[3] des textes romanesques semble redevenir un enjeu central des études littéraires.

Mais la manière de prendre ainsi la mesure des enjeux et des pouvoirs de la littérature semble demeurer prisonnière d'une approche souvent réductrice, qu'il faut de ce fait interroger : en effet, qu'on exalte la fonction critique et plus souvent encore transgressive du roman ou qu'on mette en avant sa portée éducative, cette lecture des oeuvres revient toujours à poser la question de leur destination, de l'utilité et de la fonction de la littérature pour le « monde », au mépris d'une analyse des valeurs dans l'oeuvre. Faire de la transgression la fonction suprême et unique de la (grande) littérature, ou des oeuvres un réservoir d'exempla modélisés et paradigmatiques des situations morales, ne permet pas de penser véritablement le rapport « interne » du roman aux valeurs, du point de vue des poétiques mises en oeuvre plutôt que de leur réception.

Le jeu avec les formes, qui est au principe même de la littérature, ne détermine-t-il pas très largement les contenus éthiques ? De ce point de vue, la littérature ne produit-elle pas des « valeurs » et des « valorisations » multiples ? Et n'est-il pas de ce fait urgent de dresser un panorama moins « normatif » et moins « normé » du rapport de la fiction à la morale ? Peut-être faut-il, à cet effet, partir non de ce à quoi sert la littérature, ou de ce qu'elle est, mais de ce qu'elle fait, sur un plan spéculatif et éthique :

-ouvrant un monde parallèle, elle suspend les modes de jugements préconstitués socialement.

-inventant des modes de rapport nouveaux entre phénomènes, elle reconfigure les polarisations éthiques, rejoue la question morale et fait même parfois apparaître l'inadéquation de ces modes de jugements.

-proposition de pensée, elle définit autrement idées et problèmes conceptuels ou moraux (réinventant en quelque sorte par exemple le sujet, chez Rousseau, le mal, chez Dostoïevski, la justice, chez Camus, le corps, chez Beckett…).

-déterminant positivement, au détriment d'autres, des modes de rapport au monde, elle propose une orientation dans ce que Milan Kundera nomme « le champ des possibilités humaines », c'est-à-dire « tout ce que l'homme peut devenir, tout ce dont il est capable. »[4]

Rompre avec la réduction habituelle de la littérature à ses vertus transgressives, édifiantes ou pédagogiques[5] signifie donc prendre en considération le mode spécifique de construction et de mise en jeu des valeurs dans le roman, qui avant tout « figure, montre et implique par le dispositif de ses formes »[6]. Dans cette approche de ce que Vincent Jouve appelle à juste titre des « effets-valeurs »[7], on cherchera autant que possible à éviter une perspective trop strictement textualiste. On ne se focalisera donc pas, au moyen d'un relevé micro-textuel de procédés discursifs, sur les moments où s'énoncent directement des valeurs dans le texte. On ne saurait non plus se cantonner aux valeurs explicitement revendiquées dans l'espace textuel (par l'auteur, le narrateur ou par un personnage). Il nous intéressera davantage en revanche d'envisager comment, par l'organisation d'un matériau proprement littéraire (effets de composition, choix stylistiques, inventions de personnages, d'un mode de temporalisation, variations tonales, jeux sur les focalisations et sur l'énonciation, etc.), par un geste de monstration constituant, l'oeuvre articule déjà des valeurs. Se dessine ainsi une autre « lecture éthique » des oeuvres, que nous souhaiterions expérimenter lors de ces journées d'étude.

Entre la voie philosophique et la voie textualiste, il s'agira en somme d'imaginer une troisième voie, celle d'une « poéthique » qui conduirait à un réexamen des enjeux moraux des oeuvres, appelant à compléter la lecture proposée par les philosophes ainsi qu'à renouveler l'interprétation des textes.

Pourront être abordées plus particulièrement les questions suivantes (mais cette liste n'est pas limitative) :

-Y a-t-il un sens à évaluer l'oeuvre d'un point de vue moral ? Quels sont les arguments à l'appui d'un tel projet de lecture ?

- les lectures philosophico-éthiques de la littérature : leurs procédures, leurs résultats, leur critique du point de vue d'une lecture soucieuse du fait littéraire.

-La question du genre : comment s'articulent appartenance à un genre, à un type de « textes » et contenu, orientations morales ?

-Les textes non-transgressifs, leurs « valeurs » et leur intérêt dans l'histoire de la littérature.

-Comment des valeurs se présentent-elles dans les oeuvres et comment sont-elles engendrées par le faire littéraire ?

- Comment la « forme » peut-elle devenir en soi un élément éthique, comment ce dernier s'articule-t-il voire interfère-t-il avec les valeurs comme contenus ?

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Quel que soit le corpus examiné, seront privilégiées les propositions articulant l'interprétation d'une ou plusieurs oeuvres (les approches comparatives seront les bienvenues) à une tentative d'élaboration théorique. Tentative nécessaire et, pour tout dire, presqu'obligée : cette quête des « valeurs » au sein du roman supposant une interrogation sur ses propres procédures, sur ses conditions de possibilité, toute approche critique en la matière devant se faire théorique.

Les titres et propositions de communications devront être envoyés avant le 15 décembre aux deux organisateurs.

Responsables :

-Rémi ASTRUC : astruc.remi@orange.fr ;

-Jacques-David EBGUY : jdebguy@club-internet.fr

Centre Jean MOUROT

Université NANCY 2


[1] Sur ce point voir l'ouvrage de Jean-Marie Schaeffer, Naissance de la littérature. La théorie esthétique du romantisme allemand, Paris, Rue d'Ulm, 1983.

[2] Cela était patent dès les années 1990. Pour un bilan sur la question, voir l'article de L. K. Altes, « Le tournant éthique dans la théorie littéraire : impasse ou ouverture ? », Etudes Littéraires, 1999, vol. 31, p. 39-56.

[3] On pourrait retenir, au moins comme point de départ, la définition de la « visée éthique » donnée par Paul Ricoeur : « visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes » (Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990, p. 202).

[4] Milan Kundera, L'Art du roman, Gallimard, 1986, p. 61.

[5] Soit, schématiquement, les trois réponses à la question : à quoi sert, sur un plan éthique, la littérature ?

[6] Laurent Jenny, La Fin de l'intériorité, Paris, PUF (« Perspectives littéraires »), 2002, p. 12.

[7] Vincent Jouve, Poétique des valeurs, Paris, PUF, 2001, p. 9.