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La perle et la coquille  : regards croisés sur le baroque et le rococo XVIIe - XVIIIe s. (Rouen & en ligne)

La perle et la coquille : regards croisés sur le baroque et le rococo XVIIe - XVIIIe s. (Rouen & en ligne)

Publié le par Marc Escola (Source : Tony Gheeraert)

Programme (février-juin 2022)

  • 1er février 2022, 20h : Floriane Daguisé, "Le rococo : une coquille vide ? Pertinence et impertinence d'une construction historiographique" (séance à distance)
  • 30 mars 2022, 16h : Hélène Sannier, “l’objet rococo dans les contes de Mme d’Aulnoy” (séance hybride)
  • 6 mai, 16h : Maxime Cartron, “Vers une histoire des usages politiques du baroque” (séance hybride)
  • 22 juin, 16h : Gisèle Venet, “L’irrévérence baroque” (séance hybride)

Argument

La publication en 2019 de l’ouvrage Scènes baroques d’aujourd’hui, sous la direction de Julia Gros de Gasquet et de Céline Candiard, atteste du succès généralement admis de la catégorie de baroque dans l’univers du spectacle, du théâtre ou de l’opéra, lorsqu’il s’agit de mettre en scène le répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles. On ne peut toutefois qu’être frappé, à la lecture de l’introduction qui retrace la chronologie des reconstitutions historiquement informées, par l’absence de référence au baroque littéraire ; celui-ci donna pourtant lieu à beaucoup d’études dans les années 1960-1980, avant d’être progressivement décrié et aujourd’hui généralement abandonné. Dans cet ouvrage, le nom de Jean Rousset se trouve relégué en bibliographie, comme témoignage d’un moment historiographique qui au fond n’aurait pas laissé beaucoup de traces, ni exercé beaucoup d’influence, au contraire de ceux d’Eugène Green ou Philippe Beaussant, considérés comme les vrais inspirateurs des expérimentations actuelles.


Que s’est-il passé ? Pourquoi le terme “baroque”, qui s’est imposé facilement depuis un siècle et demi dans le champ des arts plastiques et picturaux, et presque aussi naturellement depuis quarante ans dans le monde de la musique et des spectacles, a-t-il fait l’objet d’un rejet aussi massif et violent dans le seul domaine de la littérature ? La greffe opérée dans les années 1940-1950, au temps d’Alan Boase, Marcel Raymond et Jean Rousset, n’a pas pris : après que la catégorie de “baroque littéraire” a donné pendant quelques décennies des fruits somptueux et des fleurs merveilleuses, elle fut rejetée et reniée non seulement par ses détracteurs de toujours, comme Marc Fumaroli, mais aussi par ses principaux promoteurs, en particulier Jean Rousset lui-même. En 2006, l’avant-propos des Mélanges Gisèle Venet pouvait encore observer un partage net, décrit comme une guerre de tranchées, opposant les partisans et les détracteurs de la notion (“chacun est désormais campé sur ses positions et le dialogue semble bel et bien rompu entre les tenants de ces notions [de maniérisme et de baroque] et leurs adversaires.” En réalité, la guerre de mouvement a repris son cours, et la ligne de défense du baroque semble aujourd’hui s’être définitivement effondrée. Les seuls spécialistes qui emploient encore cette notion sont des méta-historiens qui déconstruisent le baroque qu’ils saisissent dans une perspective diachronique, comme vient tout récemment de le faire Maxime Cartron dans son Invention du baroque. Le séminaire XVII, au cours des séances qu’il consacrera à cette question, ne se propose pas toutefois de dresser seulement un constat de décès de la notion, bilan aussi vain que morose, mais plutôt de revenir sur la naissance, la vie, la pertinence, et peut-être, mais nous poserons la question, la péremption d’une catégorie qui ne parvint jamais à s’acclimater de façon consensuelle.


Or, de façon étonnante, presque au même moment où s’écroulait la notion de baroque, celle de rococo s’est mise à rencontrer la faveur des spécialistes de la littérature du XVIIIe siècle  : “le rococo a connu, à partir des années 1960 et de manière plus nette depuis les années 2000, un réinvestissement dans le cadre d’analyses littéraires. Cette catégorie historiographique en elle-même nébuleuse, émanant des arts décoratifs et exploitée par les domaines plastiques, ressurgit dans le champ littéraire chargée d’implications théoriques majeures pour l’étude de la première moitié du XVIIIe siècle”, note ainsi Floriane Daguisé, par ailleurs autrice d’une thèse qui place la catégorie comme cadre chronologique et esthétique. Marc Fumaroli n’avait-il pas prophétisé, ou du moins pressenti, cette dérive des tenants du baroque vers le siècle suivant ? La France du XVIIe siècle était trop sévère, explique-t-il, aussi “le Barockbegrieff à la française fut-il tenté de s’échapper vers le XVIIIe siècle, mieux accordé à ses humeurs de fêtes galantes et de fête chez Thérèse”, sans paraître séduit par une catégorie seulement “moins éprouvée par l’usage que son aînée”. 

Pourtant, le rococo, comme le terme rocaille qui lui est associé, ne ressortiront pas beaucoup plus victorieux que leur ascendant baroque ; le rejet notionnel est manifeste, d’abord dans le cadre du réquisitoire porté à l’histoire des styles, mais aussi dans le domaine littéraire ; cette « invention critique » serait ainsi, d’après Alain Viala, « peu utile pour Watteau et encore moins pour le littéraire » (La France galante). La fortune relative de cette catégorie dans le domaine littéraire, dont le caractère flottant a aussi ouvert la voie à des applications et implications multiples, offre au baroque un pendant à la fois symétrique et distinct, pouvant éclairer certains enjeux de l’intérêt, de la pertinence et de l’impertinence des usages des catégories historiographiques.