
Journée autour de l’éthique narrative : « Parole, récits, discours : enjeux théoriques et cliniques » (Rennes)
Journée autour de l’éthique narrative
« Parole, récits, discours : enjeux théoriques et cliniques »
Vendredi 7 novembre 2025
Centre Régional de Lutte contre le Cancer Eugène Marquis, Rennes
Amphithéâtre Bâtiment D, 1er étage, entrée libre dans la limite des places disponibles
Argumentaire
« La parole, constitutive de notre subjectivité, occupe une place singulière dans le soin. Elle peut relier, inclure ou exclure, faire entendre, révéler ou bien au contraire voiler, occulter le lieu insubstituable depuis lequel chaque sujet s’exprime. Située, incarnée, elle suppose, dans le soin, l’accueil d’une vulnérabilité ontologique, où la demande, la plainte, excèdent, bien souvent, le soin du corps. Lorsqu’elle n’est pas réduite à un simple outil de communication,l’accueil de la parole appelle l’hospitalité, la prise en compte du sujet dans toutes les dimensions de son existence. Alors qu’il peut être confortable de s’abriter derrière des protocoles et autres normes techniques, la parole engage et expose. Le récit, qui suppose la narration, peut être individuel (patient, soignant, aidant) ou collectif (équipes, institutions, pratiques de soin) ; il donne chair aux cours des événements, organisant la cohérence et le sens par la mise en intrigue, mais il est parfois impossible, empêché, limité par des contraintes internes ou bien externes au locuteur. Les récits sont multiples et polymorphes dans le soin : histoires de la maladie rapportées par les patients en consultation, récits des professionnels de leur propre expérience, « cas » présentés au comité d’éthique ou « vignettes cliniques » proposées à la réflexion au cours de la formation, ou encore récits d’aidants confrontés aux difficultés de la maladie d’un proche… Le discours désigne, quant à lui, le langage structuré d’un savoir, d’une institution ou d’une norme (discours médical, éthique, juridique, etc.). Il s’inscrit dans des logiques d’action plurielles qui orientent les pratiques. Si certains dispositifs favorisent le récit en première personne ou la reconnaissance de collectifs, d’autres, au contraire, limitent la possibilité d’une expression authentique de ce qui fait sens ou blessure, étayage ou impasse.
Dans le soin, parole, récit et discours concernent la dimension humaine et relationnelle de notre être-au-monde ; ils mettent à l’épreuve lien social et ordre symbolique, inclinant ainsi à une réflexion sur les valeurs qui peuvent entrer en tension, en conflit, et ce jusqu’au déchirement dans le cas du dilemme (conscience tragique). Comment entendre la pluralité des voix dans le soin ? Comment penser la place du récit dans les pratiques médicales et soignantes mais aussi articuler ces discours et les récits de l’expérience vécue ? Comment cultiver une écoute fine des patients dans des organisations complexes où s’enchevêtrent différentes normativités ? Quels espaces et dispositifs permettent aujourd’hui d’accueillir la parole du patient, du soignant ou de l’aidant, et d’en faire un levier de transformation des pratiques ? Ce sont là quelques-unes des questions éthiques que la journée d’études explorera en s’intéressant tout particulièrement à l’oncologie et aux situations de fin de vie.
Les communications chercheront à articuler enjeux théoriques et cliniques, afin d’éclairer quelques-unes des tensions éthiques qui traversent le soin, à l’écoute de la pluralité des voix qui se répondent, parfois se manquent, et des logiques d’action complexes qui se nouent autour des expériences insubstituables de la maladie. Aussi, elles mobiliseront les champs de la philosophie, de l’éthique narrative, de la médecine narrative, de la psychanalyse, de l’anthropologie et de la médecine afin de nourrir la compréhension des situations concrètes ».
Programme
9h-9h30. Laëtitia MARCUCCI, Enseignant-Chercheur en éthique et philosophie du soin, Faculté de médecine et Centre Atlantique de Philosophie, Université de Rennes
« Introduction : parole, récits et discours dans le soin aujourd’hui »
9h30-10h30. Emmanuelle BORGNIS DESBORDES, Maître de conférences HDR en Psychopathologie clinique Rennes 2, Psychologue clinicienne et psychanalyste
« Lire le symptôme »
« Il n’y a pas de fait clinique sans une lecture singulière de celui qui s’engage à recevoir un patient. Nous interrogerons quelle lecture et quelle transmission sont possibles quant à ce qui se joue dans la rencontre sachant que le symptôme est la seule chose qui s’énonce de prime abord : un symptôme dont le patient se plaint, un symptôme qui n’a pas à être interprété hâtivement, un symptôme qui a une fonction. C’est là sans doute l’originalité de l’orientation psychanalytique qui mise sur le fait que le symptôme, au fur et à mesure que le patient déplie ce qui lui arrive, se déplace. Plus encore, le clinicien y est désormais inclus. Plusieurs exemples cliniques viendront illustrer notre démonstration. Ce qui se transmet n’est pas qu’une accumulation de faits cliniques mais le fruit d’une construction… »
10h30-11h30. Rozenn LE BERRE, Docteure en philosophie, maîtresse de conférences de l’Institut Catholique de Lille, faisant partie de l’équipe du Centre d'Éthique Médicale, au sein de l’Équipe d’Accueil ETHICS.
« De l’écriture à la lecture : enjeux éthiques du récit de situation »
« En groupe de réflexion éthique, en s'inscrivant en particulier dans une approche d'éthique clinique, les séances commencent généralement par le récit d'une situation clinique qui fait l'objet d'une analyse permettant de faire émerger des pistes réflexives mais également de transformation des pratiques. L'objet de la réflexion ici sera de questionner les enjeux narratifs propres au récit de situation, allant de l'identification d'une situation émergeant d'un malaise éthique, vers le choix des mots ou au contraire les silences, jusqu'à la lecture, et donc la réception de ce récit. Nous explorerons alors l’hypothèse selon laquelle le récit, de son écriture à sa lecture est porteur d'une densité sémantique et pragmatique qui mérite une attention littéraire. »
11h30-12h30. Catherine DRAPERI, Maître de conférences, Faculté de médecine, Université de Picardie Jules Verne
« Accéder au monde du patient : éléments pour une approche herméneutique du récit du mal-être »
« Que l’entrée du patient dans le monde médical ne le prive pas de monde, mais qu’elle puisse contribuer à une reconstruction du monde : tel est l’enjeu d’une pratique soignante où la mise en œuvre de techniques puisse avoir un sens. Il incombe alors au professionnel de réaliser un travail de compréhension du monde du malade, ou encore de superposer à l’approche descriptive et explicative, une approche herméneutique concernant le sens de l’expérience qui conduit un malade à se fier à lui. Entendre les mots de l’autre est alors peut-être la première condition pour accéder à ses maux. »
Déjeuner libre
14h-15h. Carole DURAND, Psychologue clinicienne, Équipe mobile de soins palliatifs du CHU d’Angers
« L’ambivalence du discours en soins palliatifs : une parole plurielle à entendre »
Le discours des patients en situation palliative est souvent orienté vers la plainte et la demande d’en « finir ». Ces propos, parfois pris au pied de la lettre, peuvent déstabiliser les proches et les soignants, confrontés à une demande qu’ils perçoivent comme une volonté explicite de mourir. Face à la souffrance et à l’incertitude, le risque est grand d'interpréter trop vite la demande de mort comme une requête euthanasique, alors même que le discours est rarement univoque. Comment accueillir des paroles contradictoires ? Comment entendre que l'ambivalence n’est pas un obstacle, mais qu’elle est intrinsèque à l’être humain ? Il nous faut alors faire appel à notre empathie, à une écoute fine et sans précipitation, pour reconnaître la complexité et la pluralité des expériences en soins palliatifs. »
15h-15h30. Dr Juliette Le Bourlais, Médecin de soins palliatifs, Centre Régional de Lutte contre le Cancer, Eugène Marquis, Rennes (sous réserve)
« Accueillir la parole du patient en soins palliatifs »
Partage d’expérience autour des situations de fin de vie.
15h30-16h. Dr Élodie Vauléon, Médecin neuro-oncologue, Centre Régional de Lutte contre le Cancer, Eugène Marquis, Rennes
« Présentation d’Agapè, Atelier Goûter Aidants Proches de patients ayant une tumeur encéphalique »
Retour d’expérience sur une dizaine d’année d’animation d’un atelier d’aide aux aidants de patients traités en neuro-oncologie, organisé au Centre Eugène Marquis de Rennes.
16h-16h30. Table ronde, avec Michel Leroux (psychologue, Rennes), Dr Juliette Le Bourlais (médecin de soins palliatifs, Centre Eugène Marquis), Carole Durand (psychologue, CHU d’Angers).
Contacts des organisateurs :
laetitia.marcucci[at]univ-rennes.fr et e.vauleon[at]rennes.unicancer.fr