Actualité
Appels à contributions
Cahier staëlien n° 70 :

Cahier staëlien n° 70 : "Le Groupe de Coppet et l’écriture polémique"

Publié le par Marc Escola (Source : Laetitia Saintes)

Appel à contributions pour le Cahier staëlien n° 70 :

« Le Groupe de Coppet et l’écriture polémique » (novembre 2020)

 

Malgré leur richesse et leur vitalité incontestable, les travaux consacrés à Germaine de Staël, à Benjamin Constant et au Groupe de Coppet semblent ne s’être pas encore penchés de manière globale et systématique sur les incursions du Groupe dans l’écriture satirique et plus largement polémique[1]. Jusqu’ici, en effet, la critique s’est concentrée sur les attaques dont les membres du Groupe ont pu être l’objet dans les colonnes des journaux ou les ouvrages satiriques ou polémiques. On évoquera ainsi le Cahier n°53 (2002), intitulé « Est-ce sérieusement que vous me haïssez ? » Ennemis et contradicteurs de Madame de Staël », et consacré à la réception polémique de l’œuvre staëlienne, de la Réponse aux Lettres sur le caractère et les ouvrages de J.-J. Rousseau (1789) de Champcenetz aux propos pour le moins acerbes d’Henri Guillemin à l’encontre de l’écrivaine. Les vives critiques adressées à Benjamin Constant, durant les Cent-Jours notamment, par l’entremise des journaux et de la production polémique ont de la même façon été envisagés par Léonard Burnand, qui a par ailleurs consacré des publications majeures aux pamphlets ayant pris Jacques Necker pour cible au seuil de la Révolution.

Or, comme le remarque Friedrich Schlegel,  ce début de XIXe siècle qui voit se réunir les membres du Groupe « sera polémique[2] ». En phase avec son temps, le Groupe de Coppet n’hésite pas, ainsi, à donner dans la littérature d’opposition et la satire, en investissant tant le support du journal que celui de la brochure polémique et du pamphlet. Si l’on connaît la prédilection de Constant pour la polémique journalistique (pour défendre l’œuvre staëlienne parfois, sa propre action souvent) grâce aux récents travaux consacrés à ses contributions dans les journaux[3], ses ouvrages polémiques, à l’image de De l’esprit de conquête et de l’usurpation (1814)[4], demeurent peu mis en valeur[5]. De la même façon, le penchant d’August Wilhelm Schlegel pour l’écriture polémique – dont témoigne son pamphlet antinapoléonien intitulé Sur le système continental et sur ses rapports avec la Suède (1813)[6] – ne semble pas avoir suscité l’intérêt de la critique. La question de la satire se pose également pour l’œuvre staëlienne, tant Germaine de Staël éprouve envers l’écriture satirique un mélange ambivalent d’attirance[7] et de réticence[8], se montrant par ailleurs une fine observatrice de la production polémique de son temps, souvent évoquée dans sa correspondance – notamment lorsqu’elle se défend d’avoir contribué d’une quelconque façon au retentissant pamphlet de Schlegel[9]. Staël défend en outre, comme les travaux de S. Genand l’ont récemment montré[10], une modalité singulière et originale de la polémique, qu’on pourrait dire « défensive » ou par retrait : attaquer peut, chez elle, passer aussi par le silence, l’éclipse ou la dérision, voire le rire.

Aussi l’objectif de ce nouveau numéro des Cahiers staëliens sera-t-il de rouvrir le dossier de la satire et de l’écriture polémique à Coppet en analysant la complexité de ses modalités. On envisagera le polémique à la fois en tant que registre mobilisé à l’intérieur de genres autres, et en tant que genre littéraire doté d’une forme, d’un support donnés (fût-ce celui de la brochure, du pamphlet ou des journaux, dans le cas de la polémique journalistique). L’étude des modalités de la parole satirique et polémique des membres du Groupe, qu’elle prenne pour objet des problématiques littéraires, idéologiques ou politiques, permettra d’éclairer un aspect non étudié encore de la réflexion du Groupe, de sa prise de parole sur la chose publique. En effet, l’écriture polémique génère des textes incisifs et ramassés condensant de façon révélatrice à la fois le propos de l’auteur (thèmes, arguments, arrière-plan idéologique), son style, et l’image qu’il entend élaborer de lui-même et de sa pratique satirique ou polémique. À ce titre, étudier les modalités du satirique et du polémique dans les productions du Groupe de Coppet permettra de jeter un éclairage significatif sur les enjeux – politiques, idéologiques, sociaux, littéraires – soulevés par ces écrits, et par là sur le positionnement et la contribution des membres du Groupe relativement à ces différentes questions.

À ces fins, la réflexion menée pourra s’inscrire dans ces différents axes :

  • Type et support de l’écriture polémique/satirique : le Groupe s’engage-t-il davantage dans des satires et/ou des polémiques littéraires ou préfère-t-il les satires/polémiques politiques ? Quels sont les supports (article journalistique, brochure, pamphlet) mobilisés pour l’écriture satirique ?
  • Idéologique : quel est l’arrière-plan politique et idéologique de la production satirique émanant du Groupe de Coppet ?
  • Rhétorique : les membres du Groupe s’adressent-ils à un adversaire en particulier, ou à un groupe social/politique ? Comment construisent-ils leur critique ?
  • Imaginaire auctorial : la posture élaborée par les polémistes du Groupe les engage-t-elle personnellement ? Parlent-ils au nom du Groupe ? Quelle image d’eux construisent-ils entre les lignes ?
  • Esthétique et poétique du texte satirique/polémique : quels sont les motifs et figures sollicités par le Groupe, et plus largement les modalités stylistiques de sa production satirique et polémique ?
  • Éthique de la polémique : existe-t-il une modalité particulière de l’attaque à Coppet, et qui tiendrait au statut d’exilé de ses membres et donc à leur position également défensive ? Les auteurs n’inventent-ils pas en effet des oppositions silencieuses ou intérieures, capables de conjuguer leur opposition et les valeurs humaines qui restent les leurs ? Peut-on, en d’autres termes, s’opposer en respectant l’adversaire ?

Modalités

Les propositions de contributions sont à envoyer avant le 15 janvier 2020 à l’adresse cahierstaelien70@gmail.com.

Les auteurs des propositions retenues seront contactés le 31 janvier 2020 par les responsables du numéro.

Les articles devront être envoyés pour le 15 juin 2020 au plus tard.

Ce Cahier staëlien comportera par ailleurs une partie « Varia », soumise aux mêmes conditions de calendrier.

------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Bibliographie indicative sur l’écriture polémique et satirique au tournant du XIXe siècle

Angenot, Marc, La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.

Avril, Yves, « Le pamphlet : essai de définition et analyse de quelques-uns de ses procédés », Études littéraires, vol. 11, n° 2, 1978, p. 265-281.

Baecque, Antoine de, « De la culture critique à la culture civique », in Histoire culturelle de la France. Tome 3 : Lumières et liberté. Les dix-huitième et dix-neuvième siècles, Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Paris, Le Seuil, 1998.

Baecque, Antoine de, « La politisation de la culture », in Histoire culturelle de la France. Tome 3 : Lumières et liberté. Les dix-huitième et dix-neuvième siècles, Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli (dir.), Paris, Le Seuil, 1998.

Fragonard, Marie-Madeleine et Aron, Paul, « Pamphlet », in Le Dictionnaire du littéraire, Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala (dir.), Paris, Presses Universitaires de France, 2002.

Hastings, Michel, « De la vitupération. Le pamphlet et les régimes du "dire-vrai" en politique », in Mots. Les Langages du politique, n° 91, 2009, p. 35-49.

Kapp, Volker, « L’apogée de l’atticisme français ou l’éloquence qui se moque de la rhétorique », in Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950), Marc Fumaroli (dir.), Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 707-786.

Kapp, Volker, « Satire et injure au XVIIIe siècle : le conflit entre la morale et la politique dans le débat sur les libelles », in Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 1984, n°36, p. 155-165.

Macé, Marielle, « L’Assertion, ou les formes discursives de l’engagement », in L’Engagement littéraire, Emmanuel Bouju (dir.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 61-74.

Maingueneau, Dominique, « Ethos, scénographie, incorporation », in Images de soi dans le discours. La construction de l’ethos, Ruth Amossy (dir.), Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1999.

Maingueneau, Dominique, « L’èthos : un articulateur », in COnTEXTES, « L’ethos en question », n° 13, 2013, http://contextes.revues.org/5772.

Maingueneau, Dominique, Le Contexte de l’œuvre littéraire. Énonciation, écrivain, société, Paris, Dunod, 1993.

Maingueneau, Dominique, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004.

Meizoz, Jérôme, « Ce que l’on fait dire au silence : posture, ethos, image d’auteur », in Argumentation et Analyse du Discours, 2009, n° 3, p. 1-11.

Mollier, Jean-Yves, Carrez, Maurice, « Libelles, brochures et propagande en Europe du XVIe au XXe siècles », in Écrire pour convaincre. Libelles et brochures (XVIe-XXe siècles), Jean-Yves Mollier, Maurice Carrez (dir.), Cahiers d’histoire, n° 90-91, 2003.

 

[1] À l’exception de quelques études ponctuelles, parmi lesquelles Florence Lotterie, « ‘Commediante, tragediante’ : la scène de l’histoire dans les Dix années d’exil », Cahiers staëliens, n°49, 1997-1998, p. 65-75.

[2] Friedrich Schlegel, Kritische Friedrich-Schlegel-Ausgabe, Ernst Behler (éd.), München, Paderborn, Wien, 1957–2006, t. XI, p. 316.

[3] Benjamin Constant, Œuvres complètes. Tome XIII. Articles de journaux (1819-1820), Léonard Burnand (dir.), Berlin, De Gruyter, 2018.

[4] B. Constant, Œuvres complètes. Tome VIII, 2. Florestan. De l’esprit de conquête et de l’usurpation. Réflexions sur les constitutions (1813-1814), Kurt Kloocke et Béatrice Fink (dir.), Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 2005.

[5] Et ce malgré la parution d’un volume récent consacré à ses brochures politiques parues entre 1819 et 1821 (B. Constant, Œuvres complètes. Tome XV. Brochures politiques (1819-1821), Kurt Kloocke et Paul Delbouille (dir.), Berlin, De Gruyter, 2017).

[6] August Wilhelm von Schlegel, Sur le système continental, et sur ses rapports avec la Suède, Paris, Paschoud, 1814. Schlegel a d’ailleurs fait une autre incursion dans la littérature d’opposition (cf. ses Copies des lettres originales et dépêches des généraux, ministres, grands officiers d’État, etc., écrites de Paris à Buonaparte pendant son séjour à Dresde, ainsi qu’une correspondance de divers personnages de cette même famille entre eux ; interceptées par les avant-postes des alliés dans le nord de l’Allemagne, Paris, chez les Marchands de Nouveautés, 1814).

[7] « Quel malheur, quel véritable malheur d’être une femme, une ci-devant dame, et d’avoir une sorte de convenance compliquée de tout cela qui ne permet pas de répondre et de se livrer à quelque talent d’amertume ou seulement de plaisanterie ! », écrit-elle ainsi en 1800, en proie aux attaques suscitées par De la littérature (G. de Staël, lettre à Daunou, 17 août 1800, in G. de Staël, Correspondance générale. Tome IV, vol. I. « Du Directoire au Consulat (1er décembre 1796-15 décembre 1800) », Béatrice W. Jasinski (dir.), Paris, J.-J. Pauvert, 1976, p. 302-303).

[8] « Je n’ai jamais fait usage de mon talent satyrique, parce qu’avant tout j’ai demandé à Dieu de mourir sans avoir fait du mal à personne », écrit-elle en 1811 (G. de Staël, lettre à Claude Hochet, 18 août 1811, in G. de Staël, Correspondance générale. Tome VII. « La destruction de De l’Allemagne. L’Exil à Coppet » (9 mai 1809-23 mai 1812), Béatrice W. Jasinski et Othenin d’Haussonville (dir.), Genève, Champion/Slatkine, 2008, p. 446-447).

[9] « Où avez-vous pris que je suis l’auteur du Système continental ? C’est M. Schlegel qui l’a écrit, je ne me mêle point ainsi de politique. Si je publiais jamais rien là-dessus, ce serait pris d’un point de vue plus philosophique », écrit-elle ainsi (G. de Staël, lettre à James Galiffe, 7 mai 1813, in G. de Staël, Correspondance générale. Tome VIII. « Le Grand Voyage » (23 mai 1812-12 mai 1814), Stéphanie Genand et Jean-Daniel Candaux (dir.), Genève, Champion/Slatkine, 2017, p. 247).

[10] Voir Stéphanie Genand, La Chambre noire. Germaine de Staël et la pensée du négatif, Genève, Droz, 2017 et plus précisément « L’insurrection mélancolique » et « La force comique », p. 301-345.