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Roland Barthes et les photographes (Revue Roland Barthes , R. Fontanari & M.Nachtergael, dir.)

Roland Barthes et les photographes (Revue Roland Barthes , R. Fontanari & M.Nachtergael, dir.)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Site Roland Barthes)

Revue Roland Barthes, 2020.

Roland Barthes et les photographes

 

Rodrigo Fontanari & Magali Nachtergael (dir.)

 

Bien avant toute une génération de penseurs iconoclastes du XXe siècle, comme Guy Debord, Jean Baudrillard ou Paul Virilio pour ne citer qu’eux, Roland Barthes propose une pensée sur les images alors qu’apparaît l’idée de « Civilisation de l´image »[1], titre d’un recueil paru en 1960 et commenté par Barthes dans le premier volume de Communications. Dès l’origine, Barthes maintient que la photographie est liée au réel, à son référent et refuse la notion de « simulacre » photographique. Il y aurait une vérité de l’image au-delà du fait qu’elle puisse être détournée et composée pour porter un discours : c’est justement ce qu’il démontre et dénonce dans son analyse célèbre de la publicité Panzani. Au contraire, loin d’être une représentation fautive de la réalité, la photographie pour Barthes a une valeur indexicale. Elle témoigne et révèle quelque chose du réel qui ne serait pas forcément visible dans le flux de la vie, et ses analyses théâtrales de Brecht à partir des photographies de Roger Pic en est un indice supplémentaire. C’est aussi ce qu’il nous enseigne dans La Chambre claire en transformant et approfondissant les concepts d’image dénotée et connotée (« Rhétorique de l’image », 1964), d’obvie et d’obtus (énoncés à partir de photogrammes d’Eisenstein, 1970) pour les transformer en punctum et de studium. Ces notions invitent à percevoir la conscience visuelle que Barthes établit et explore dans son essai autobiographique illustré, à la manière d’un petit théâtre intime et néanmoins politique. Depuis la parution en 1980 de cet ouvrage majeur sur la photographie, nombre d´articles et d´essais critiques ont été consacrés à saisir les multiples enjeux de ce qui était initialement une modeste « note sur la photographie » et plus largement la pensée barthésienne sur la photographie, et ce depuis Mythologies. Mais très peu d’études ont été consacrées aux rapports de Roland Barthes avec les photographes eux-mêmes ou même la photographie.

Ce manque d’intérêt pour les relations entre Barthes et les photographes est sans doute lié au fait que lui-même s’est peu exprimé sur les photographes en tant qu’auteurs, Daniel Boudinet, Bernard Faucon, Richard Avedon et Roger Pic faisant figure d’exception. Mais on oublie souvent l´essai de Barthes consacré aux photographies de la Tour Eiffel par André Martin[2] qui consacre une photographie constructiviste et architecturale ou encore sa préface de l’édition italienne consacrée à Wilhelm Von Gloeden dans lequel il prend des positions résolument du côté de la photographie et de l’esthétique du kitsch homoérotiques[3]. C’est également à Barthes que fait appel le fondateur des Rencontres photographiques d’Arles en 1969, Lucien Clergue, pour présenter à l’Université d’Aix en Provence en 1979 la première thèse en photographie. Barthes accepte de participer en tant que membre du jury et sa préface à Langage des sables paraît à titre posthume la même année que La Chambre claire.

La décennie 1970 marque un changement de relation à la photographie chez Barthes : après s’être intéressé à la photographie de presse, de théâtre, au photogramme, Barthes ouvre dès La Tour Eiffel un autre type de dialogue avec les images, ou plutôt avec ce qui devient progressivement à ses yeux la « Photographie », un art à part entière. Se mêlent alors ses propres inquiétudes théoriques sur l´écriture, car à ses yeux, l´écrivain et le photographe moderne ont[Office1]  « à peu près » le même travail « […] il s´agit de produire – par une recherche difficile – un signifiant qui soit à la fois étranger à l´ “art” (comme forme codée de la culture) et au “naturel” illusoire du référent »[4].

Il faut dire également que Barthes refuse de prendre en compte le rôle du photographe dans sa production à la fois mécanique et chimique, ce qui lui a valu des critiques de la profession et de dissensions manifestes même au sein de la critique photographique, notamment chez Denis Roche qui publie en 1978 Notre Antéfixe et y développe une pensée de l’opération photographique. Barthes de son côté préfère voir les résultats de l’art de l´image photographique comme un objet trouvé : la « mort de l’auteur » touche également la photographie, et c’est, dans une perspective duchampienne, essentiellement le regardeur qui fait la photographie. Néanmoins, La Chambre claire offre des pistes de réflexion sur la place du photographe chez Barthes. Au-delà du témoignage d´un « ça a été », le photographe est, comme l’écrit Barthes « essentiellement témoin de sa propre subjectivité »[5] et œuvre comme l’écrivain à développer un point de vue singulier sur le monde. C’est ainsi que Robert Mapplethorpe devient potentiellement, au détour d’une phrase, le photographe préféré, ou qu’André Kertész, un des photographes les plus présents dans La Chambre claire, trahit un étonnant goût de Barthes pour l’image humaniste de rue, très composée, à l’instar des photographies de William Klein qui emportent la faveur de ses mentions dans le texte.

Ce projet de dossier a pour projet de développer une réflexion sur Barthes et la photographie à travers les rapports personnels que Barthes a pu entretenir tout au long de sa vie avec certains photographes, certains parfois à la marge de la scène artistique de leur époque. Il s’agit aussi de prendre en compte le rapport paradoxal qu´il entretient avec le photographe, la figure du photographe et son rôle dans la production de l´image photographique.

 Les travaux autour des axes suivants sont les bienvenus :

  • Le rôle esthétique et/ou politique du / de la photographe dans les écrits de Barthes sur la photographie
  • Les élections photographiques de Barthes (préférences, rejets, styles)
  • Les liens de sociabilité qu’entretenait Barthes avec les photographes de son époque  (correspondances, complicités théorique et/ou esthétique, amitiés, opposition…)
  • Les représentations de la figure de l´auteur et sa construction, à partir de corpus d’images privées[Office2]  et publiques (presse, colloques)
  • La relation autobiographique à la photographie, la mise en scène de soi et la photographie dans le cercle familial
  • Les particularités de l’approche barthésienne sur le[Office3]  rôle des photographes par rapport à d´autres intellectuel.l.e.s et/ou théoricien.n.e.s contemporain.e.s de la photographie.
  • Les renégociations éventuelles de la pratique de la photographie après Barthes du point de vue des photographes (adhésion, rejet, prises de position, évolution)
  • Les publications et les modes de présentation (galeries, musées, presse, éditeurs, collectionneurs, kiosques) pour aussi retracer des sociabilités autour de la photographie barthésienne

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Modalités de soumission

Date limite de soumission des propositions d’articles (une vingtaine de lignes + quelques lignes de présentation de l’auteur) 24 février 2020

Les propositions doivent être envoyées : fontanari.rodrigo@yahoo.fr  nachtergael@univ-paris13.fr

(préciser en objet : proposition contribution Revue Barthes)

 

Les contributions doivent avoir 30 000 signes maximum

  • Date limite d’envoi des articles : 2 juin 2020

 

 

 

[1] Roland Barthes, « Civilisation de l’image » (Recherches et débats du Centre catholique des Intellectuels français), Paris, Arthème, 1960, compte rendu, Communications, n°1, 1961, p. 220-22.

[2] Roland Barthes, La Tour Eiffel, Œuvres complètes, tome II, Seuil, 2002, p. 551-554.

[3] Wilhelm von Gloeden, Naples, Amelio Editore, 1978.

[4] Roland Barthes, « Sur des photographies de Daniel Boudinet », Œuvres complètes, Tome V, Seuil, 2002, p. 317.

[5] Roland Barthes, « Sur la photographie », Le Photographe : organe des photographes professionnels, Paris, février, 1980, entretien recueillis par Angelo Schwarz (fin 1977) et Guy Mandery (décembre 1979), voir : Roland Barthes, « Sur la photographie », Œuvres complètes, tome V, Seuil, 2002, p. 933.