Actualité
Appels à contributions
Littérature et poétique du Savoir.Enjeux littéraires et épistémologiques des interactions entre le discours romanesque et le discours scientifique

Littérature et poétique du Savoir.Enjeux littéraires et épistémologiques des interactions entre le discours romanesque et le discours scientifique

Publié le par Eloïse Bidegorry (Source : Moez Lahmédi )

Colloque international organisé par

L’Institut Supérieur des Langues de Moknine (Tunisie)

les 14, 15 et 16 avril 2026

 

Littérature et poétique du Savoir

Enjeux littéraires et épistémologiques des interactions entre

 le discours romanesque et le discours scientifique

 

 

La dimension cognitive est inhérente à tout un pan de la littérature et semble même participer de l’identité générique ou de l’orientation thématique d’un grand nombre d’œuvres littéraires : roman historique, roman juridique, roman politique[1], roman médical[2], roman de science-fiction, roman astronomique, gastronomique, alchimique, ethnologique, philosophique, autopathographique, etc. autant d’appellations qui confirment que le romanesque charrie une véritable « poétique du Savoir[3] » et préserve toujours cette étonnante aptitude à s’hybrider avec tous les types de discours, notamment scientifique : « La littérature, écrit Anthony Mangeon (2008, p.7), est hégémonique, dans sa propension à englober dans son orbe des savoirs que d’autres discours ou disciplines – la philosophie, l’histoire, et les diverses sciences humaines – aimeraient à distinguer clairement d’elle. Elle est aussi démonique, dans l’emprise qu’elle exerce sur nos esprits ». Procédant « par dévoration » (Ricardou, 1967, p. 128), elle est « ce monstre qui détruit le langage à mesure qu’il le consomme » (ibid).

Dans son éclairante étude sur les enjeux de l’implantation de l’érudition dans la fiction, Nathalie Piégay-Gros (2009, p. 189) souligne, elle également, ce caractère pour ainsi dire « alterophage » de la littérature et rappelle que même l’essai se trouve contaminé, malgré lui, par le romanesque :

L’érudition imaginaire assure (…) la suprématie du roman, capable de s’accaparer tous les discours, discours critique compris, tous les dispositifs, tous les lexiques. Il se rapproche parfois de l’essai, qui lui-même est largement gagné par la fiction et le romanesque, comme si l’attraction qu’exercent le savoir et les écrivains entraînait tout un pan de l’essai vers l’imagination et la fabulation.

Dans ce même contexte, Gilles Philippe aborde ces Récits de la pensée[4] qui ne sont ni tout à fait des romans ni tout à fait des essais et qui puisent leurs matériaux à la fois dans la fiction et dans le savoir argumentatif, lequel implique une logique rationnelle transparente et une méthode épistémologique implacable, mais toute méthode n’est-elle pas, comme l’a bien dit Mallarmé (1998, p. 504) « une fiction, et bonne pour la démonstration » ? C’est d’ailleurs à partir de ce postulat que Bruno Clément se propose d’étudier ce qu’il appelle « les récits de la méthode[5] », c’est-à-dire ces textes dont l’âme est authentiquement philosophique alors que le corps se pare d’atours littéraires. Pierre Macherey, lui aussi, se demande « À quoi pense la littérature ?[6] » et s’attèle à mettre en lumière les modalités d’interaction entre littérature et savoir philosophique. Parfois, l’hybridité est poussée à l’extrême au point qu’on se trouve quasiment dans le « territoire de la non-fiction »[7] avec des récits plus proches des témoignages, des documentaires, des enquêtes de terrain, des entretiens, etc.

Rappelons d’autre part qu’au fil de l’histoire et tout particulièrement au XIXᵉ siècle, la littérature s’était constamment nourrie des avancées scientifiques et des nouveaux paradigmes (épistémologiques, heuristiques, herméneutiques, etc.) pour mieux s’affirmer comme fabulation « savante », « pensante », « érudite ». On sait que le darwinisme par exemple avait fortement influencé les écrivains naturalistes et que loin de s’éteindre, le thème de « la lutte pour la survie » continue à travailler de nombreuses œuvres contemporaines. Il est même devenu l’un des topoï caractéristiques de la fiction post-apocalyptique ou collapsologique des XXe et XXIe siècles. On sait aussi que Jules Verne devait une partie de son succès au mathématicien Henri Garcet et à l’ingénieur Albert Badoureau[8]. Balzac (1979, p. 79) ne cachait pas, pour sa part, sa fascination par les travaux de Geoffroy Saint-Hilaire et surtout de Cuvier : « M. Cuvier n’est-il pas le plus grand poète de notre siècle ? […] Il est poète avec des chiffres, il est sublime en posant un zéro près d’un sept. Il réveille le néant sans prononcer des paroles grandement magiques ».  

De fait, c’est surtout le roman policier et plus précisément le roman de détection qui place la question du Savoir au cœur même du processus narratif en articulant toute la trame autour d’un duel « cerveau à cerveau » (Boileau-Narcejac, 1975, p. 38) entre le détective et le criminel et en faisant du lecteur le double de l’enquêteur. Doté de facultés intuitives et déductives surhumaines, le « Grand Détective » s’érige dans ce genre de récit comme l’unique dépositaire du Savoir : « Inutile de nier, Hercule Poirot sait »  (Christie, 1927, p. 218). La série The Mentalist (2008-2015) perpétue cette tradition en mettant en scène un consultant indépendant capable de lire dans les pensées des autres et de piéger intelligemment le(s) criminel(s) recherché(s).

Avec l’apparition du polar scientifique et l’irrésistible ascension de la figure du médecin légiste (l’Expert), le Savoir (forensique) va devenir l’objet d’une renarrativisation à visée didactique, car en recourant à un jargon trop techniciste  – composé de termes empruntés à divers domaines scientifiques tels que la biologie moléculaire, la dactyloscopie, la toxicologie, la balistique, l’entomologie, la graphologie, l’embryologie, l’anatomie, la chimie, l’informatique, etc. – l’auteur se trouve souvent obligé d’intégrer dans son récit des parenthèses explicatives et d’opérer une sorte de transposition didactique pour expliciter à son lecteur le sens de certaines expressions. Il serait intéressant à cet égard de voir selon quelles stratégies ou modalités narratives se fait cette vulgarisation d’un Savoir spécialisé non seulement dans le polar scientifique mais dans tous les types de récits à forte teneur cognitive : à quel moment ou à partir de quel « dosage » au juste un roman devient par exemple « historique », « médical », « ethnologique » ou « politique » ?

Aussi, l’enjeu principal de ce colloque n’est-il point d’inventorier les manifestations de l’inscription du Savoir ou du discours non fictionnel dans le romanesque, mais plutôt de mettre en lumière les enjeux de cette interaction entre les deux champs : dans quelle mesure les fictions à forte teneur cognitive nous permettent-elles de dégager certaines « épistémès » (au sens foucaldien du terme) propres à telle ou telle époque ? Comment le Savoir fictionnalisé finit par problématiser non seulement des concepts purement narratologiques (le récit, l’intrigue, la fiction, la focalisation, l’illusion référentielle, la vraisemblance, l’hybridité, le pacte lectoral, etc.) mais aussi et surtout des concepts d’ordre épistémologique (la connaissance, la science, la rationalité, la vérité, la « post-vérité », l’objectivité, la relativité, le mensonge, la doxa, etc.). Comment certaines fictions récupèrent aussi le discours scientifique pour destituer la fameuse figure du héros savant ou érudit, déconstruire les paradigmes cognitifs dominants et intenter un procès à la postmodernité ? Dans quelle mesure les nouvelles formes d’écriture à caractère savant invitent à une profonde réflexion sur notre rapport au monde, à la vérité et au Savoir lui-même d’autant plus que nous vivons aujourd’hui à l’ère du digital et de l’IA ? L’homme du « virtuel » et des réseaux sociaux souffre-t-il vraiment, comme l’affirment beaucoup d’auteurs, d’une « rhinocérite » chronique ? Existe-t-il une poésie savante ou un théâtre « savant » ? Comment le corps est-il représenté dans ces nouvelles formes de récit ?

Voici, à titre indicatif, les principales pistes de réflexion que nous proposons :

- Savoir scientifique et littérature : les enjeux d’une hybridité féconde.  

- La figure du savant ou de l’érudit dans la fiction : entre mythification et démystification.

- La question du Savoir dans la litttérature maghrébine d’expression française.

- Savoir, science-fiction et intelligence artificielle.

- Savoir romanesque et réflexion épistémologique.

- Les nouvelles formes d’écriture à forte teneur cognitive.

- La question du Savoir dans le roman policier.

- La transposition didactique dans les romans à forte teneur cognitive.

- Savoir romanesque et esthétique de la réception.

- Savoir romanesque et vérité historique.

- Savoir romanesque, vérité et illusion.

- Le discours savant fictionnalisé et le procès de l’homme contemporain.

- La poésie et le théâtre savants.

 

 

 

- Références bibliographiques :

- Balzac, Honoré de, La Peau de chagrin [1831], La Comédie humaine, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1979, t. X.

- Boileau-Narcejac, Le Roman policier, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1975.

- Christie, Agatha, Le Meurtre de Roger Acroyd ? Paris, Librairies des Champs-Elysées, 1927.

- Clément, Bruno, Le Récit de la méthode, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2005.

- Demanze, Laurent, « Portrait de l’écrivain contemporain en enquêteur », dans Territoires de la non-fiction. Cartographie d’un genre émergent, Alexandre Gefen (dir.), Boston, Brill, Rodopi, 2020.

- Machery, Pierre, À Quoi pense la littérature ? Exercices de philosophie littéraire, Paris, PUF, 1990.

- Mallarmé, Stéphane, [Notes sur le langage], Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de La Pléiade », 1998, t. I.

- Mangeon, Anthony (dir.), L’Empire de la littérature. Penser l’indiscipline francophone avec Laurent Dubreuil, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

- Piégay-Gros, Nathalie, L’Érudition imaginaire, Genève : Droz, 2009.

- Philippe, Gilles (dir.), Récits de la pensée, Paris, SEDES, coll. « Critique littéraire », 2000.

- Ricardou, Jean, Problèmes du Nouveau Roman, Paris, Seuil, 1967.

- Allard, Nicolas, Jules Verne et ses mondes extraordinaires, Aux origines de la pop culture et de la science-fiction, Malakoff : Armand Colin, 2021.

 

 

Calendrier et modalités de soumission :

- Date limite d’envoi des propositions de communication : 15 février 2026. 

* Les propositions (500 mots max), accompagnées d’une courte bio-bibliographie sont à envoyer conjointement aux adresses suivantes : moez_lahmedi@yahoo.com">moez_lahmedi@yahoo.com §  jomarie2008@yahoo.com">jomarie2008@yahoo.com

- Notification d’acceptation ou de refus de la proposition aux auteur·rices : 28 février 2026.

- Programme détaillé du colloque : 21 mars 2026.

* Langues acceptées : français/arabe/anglais

NB : - Les frais d’inscription au colloque s’élèveront à :

-  100 DT pour les participant.e.s tunisien.n.e.s.

- 100 € (335 DT) pour les participant.e.s étranger.e.s..

Responsables : Moez LAHMEDI / Nabil NAJJARA / Mohamed MAALEJ (ISLM/ Tunisie)

 

 

- Comité scientifique :

- Anthony Mangeon, Université de Strasbourg, France.

- Christina Horvath, University of Bath, Royaume-Uni.

- Françoise Palleau, Université Sorbonne Paris Nord, France.

- Injazette Bouraoui, Institut Supérieur des Langues de Moknine, Tunisie.

- Hédia Abdelkefi, Université Tunis El Manar, Tunisie.

- Moez Lahmédi, Institut Supérieur des Langues de Moknine, Tunisie.

 Mohamed Maalej, Institut Supérieur des Langues de Moknine, Tunisie.

- Nabil Najjara, Institut Supérieur des Langues de Moknine, Tunisie.

- Nathalie Piégay, Université de Genève, Suisse. 

- Nicole Décuré, Université de Toulouse, France. 

- Nicolas Balutet, Université Polytechnique Hauts-de-France (UPHF), Valenciennes, France.

- Nizar Ben Saad, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, Tunisie.

- Philippe Clairay, Université de Rennes, France.

- Samir Fellah, Institut Supérieur des Langues de Moknine, Tunisie.

 

 

- Comité d’organisation :

ISLM : Aymen Hacen,  Boutheina Boughraira, Dalila Limame, Hajer Mzoughi, Injazette Bouraoui, Mahfoudh Ben Abdeljelil, Mohamed Maalej, Moez Lahmédi, Mongi Lassoued, Nabil Najarra,  Najeh El Ouni, Salsabil Gouider, Sirine Bousetta, Samir Fellah, Tasnime Ayed.

 

 

 


[1] Cf. Nicola Kovač, Le roman politique, fictions du totalitarisme, Paris, Michalon, 2002.

[2] Cf. Shane Lillis. « Qu’est-ce que le roman médical ? », dans Résistances : Littératures, médecines, sciences humaines, Lambert-Lucas, pp.183-202, 2011.

[3] Expression que nous empruntons à Jacques Rancière et qui figure dans le titre de son ouvrage Les Noms de l’histoire. Essai de poétique du savoir, Paris, Seuil, 1992. Dans cet ouvrage, l’auteur aborde l’oscillation de l’écriture historique entre rhétorique fictionnelle et exigences scientifiques et montre que celle-ci tire sa force essentiellement de cette tension.

[4] Cf. Gilles Philippe (dir.), Récits de la pensée, Paris, SEDES, coll. « Critique littéraire », 2000.

[5] Cf. Bruno Clément, Le Récit de la méthode, Seuil, coll. « Poétique », 2005.

[6] Cf. Pierre Machery, À quoi pense la littérature ? Exercices de philosophie littéraire, Paris, PUF, 1990.

[7] Cf. Alexandre Gefen (dir.), Territoires de la non-fiction. Cartographie d’un genre émergent, Boston, Brill, Rodopi, 2020.

[8] Cf. Nicolas Allard, Jules Verne et ses mondes extraordinaires, Aux origines de la pop culture et de la science-fiction, Malakoff : Armand Colin, 2021.