Atelier






Note sur la préface romanesque: de la présentation à la représentation

Par Nathalie Kremer (Université Sorbonne Nouvelle)


Cette note est un extrait remanié de l'article « Préfaces. État de la question: de la présentation à la représentation » paru dans L'Art de la préface au siècle des Lumières (vol. dir. par I. Galleron, P.U. Rennes, 2007, p.17-28).


Dossier Paratexte





Note sur la préface romanesque
De la présentation à la représentation


Combien de romans paraissent sans préface? Mais combien de préfaces sont lues par les lecteurs de romans? Il semble que la préface soit un mal nécessaire de l'œuvre de fiction, et pas uniquement à notre époque. En 1736, tel auteur oublié s'en plaignait déjà auprès de son lectorat: «Si ce livre paraissait sans préface, à peine aurait-il l'air d'un livre. Il en faut donc faire une, mais que dire?»[1]. La remarque ironique donne à entendre que l'énoncé préfaciel n'a pas d'importance dans ce qu'il dit, mais plutôt dans ce qu'il fait. Mal nécessaire aux livres de fiction, le texte liminaire aurait donc pour but de les délivrer d'un autre mal, plus inquiétant: celui de ne pas être pleinement des livres, reconnus comme tel par le lectorat. Comme si l'œuvre littéraire devait avoir recours à des éléments extérieurs à elle-même pour se donner une existence légitime. Ou, pour reprendre à notre compte cette heureuse formule d'Anne Cayuela, «l'existence de la préface implique l'impuissance du texte à se présenter lui-même»[2].


En tant qu'élément de ce que G. Genette appelle le paratexte, la préface appartient en effet à un «ensemble hétéroclite de pratiques et de discours» qui forme une «zone de transaction» entre le livre et le lecteur, au sens où ces discours visent à agir sur le public pour assurer «un meilleur accueil du texte» et «une lecture plus pertinente»[3]. Aussi, même si le lecteur saute volontiers ces pages qui ne font qu'attiser son impatience, et quoi qu'en dise notre préfacier de 1736, la préface a un caractère doublement premier, au sens où elle constitue un préalable à la lecture du texte, et au sens où elle propose un éclairage herméneutique du texte. L'avant-texte est donc toujours aussi métatexte: discours surplombant autant que préalable. Pour reformuler les choses: la préface se donne comme la première lecture du texte, incitatrice, et la juste lecture du texte, directrice[4]. On aura reconnu les deux fonctions de base que G. Genette assignait à la préface, en tant que discours visant à «1.obtenir une lecture, et 2. obtenir que cette lecture soit bonne»[5].


S'agissant d'une œuvre de fiction, c'est donc bien une fonction de cadre qui est donnée à la préface, comme reliant le monde et l'œuvre dans une zone grise qui permet de faire exister celle-ci pour un lecteur potentiel. La préface est le lieu spatial du moment de transition entre deux mondes (transition matériellement incarnée par sa position liminaire dans le livre, et métaphoriquement par le caractère surplombant de ce discours introducteur qui peut se lire postérieurement). Ainsi, le seuil ou limen que constitue la préface est à concevoir comme un lieu de passage, de mouvement[6], qui transforme le lecteur en persona poetica du texte. Comme l'a souligné Andrea Del Lungo, son emplacement est stratégique en tant que «seuil à double sens, tourné à la fois vers la parole du monde et vers la parole du texte; et surtout, lieu de contact, de rencontre et d'échange entre les désirs de l'écriture et les attentes de la lecture, où se concentrent différentes stratégies aux implications poétiques, esthétiques et thématiques.»[7] Ce croisement entre le monde réel et la fiction de l'œuvre, entre le désir et l'attente qui est constitutif du liminaire doit être pensé dans le double rapport que celui-ci entretient avec l'œuvre elle-même, dont il est jugé inséparable: dire l'œuvre et la présenter. Dire l'œuvre comme si la préface pouvait la pointer du doigt pour clarifier le statut de cette parole impuissante à se dire elle-même, et présenter l'œuvre en commentant le sens de celle-ci pour diriger l'attente du lecteur vers une prise de vue sémantique idéale.



Dire l'œuvre: la préface comme discours performatif


Comme l'a montré Henri Mitterand dans la foulée des travaux de Benveniste[8], la préface s'apparente au discours sur l'œuvre tandis que cette dernière relève du récit. Le préfacier occupe ainsi une position énonciative différente de celle des personnages de fiction, puisqu'elle embraye sur le contexte situationnel pour se situer dans le même univers de référence que le lecteur. Et le miracle de la préface est bien celui-ci: que dans cette zone de transition grise, le lecteur peut rencontrer un personnage, aussi fictif qu'il est, lui, vivant, et qui pourtant s'adresse à lui dans une situation énonciative partagée. Dans le cas de ces préfaces dites actoriales, dans lesquelles un personnage de la diégèse prend la plume pour s'adresser au lecteur, le personnage-préfacier sort du récit (de la diégèse fictionnelle) pour entrer dans le discours. Si ce cas de figure, qui est celui du traditionnel topos du manuscrit trouvé, peut nous intriguer, il importe de considérer avec Geneviève Idt que tout avant-texte, même celui qu'on appelle auctorial (explicitement imputable à de l'auteur[9]), est hétérographe au sens où il change de situation d'énonciation: car même dans ce dernier cas l'«auteur devient un autre en se préfaçant lui-même»[10].


En situant la préface du côté du discours, H.Mitterand a pu en analyser les composants et montrer que le rapprochement entre préfacier et lecteur permet à celui-là de l'influencer plus facilement, afin de lui imposer une certaine manière de lire le lexte. Ceci transparaît notamment dans l'emploi des modalisateurs — ces «termes qui expriment une prise de position de l'énonciateur par rapport à l'objet de son énoncé»[11] — et qui construisent évidemment un discours favorable du préfacier envers le roman. Toutefois, l'énonciation peut être dépréciative: on sait que les lettres des Liaisons dangereuses, par exemple, sont très mal écrites[12]. Mais en ce cas, le statut proprement préfaciel de la parole dénigrante empêchera le lecteur de prendre le propos au pied de la lettre, par le fait même qu'une préface est toujours a priori appréciative. Il n'est donc pas rare que le discours préfaciel devienne le théâtre d'un paradoxe pragmatique qui ne sert qu'à aiguiser la curiosité du lecteur: tel texte ne vaut pas la peine d'être lu que l'infidèle lecteur désirera d'autant plus lire[13]. Il ressort de ceci que la scénographie préfacielle l'emporte sur son énoncé ou, pour prendre à notre compte un constat de Simone Lecointre et Jean Le Galliot: dans le prétendu dialogue entre le préfacier et le lecteur, «les valeurs performatives l'emportent sur les valeurs informatives»[14].


Se trouve ainsi levé le paradoxe d'un discours visant à inciter à la lecture, mais dont la lecture peut être omise sans que cela ne nuise à la lisibilité du récit. En tant que discours inaugural, la préface relève du rituel, comme «un geste [devenu] énoncé: Prends et lis!»[15], dont l'impératif doit résulter en un acte de lecture. C'est bien d'un performatif[16] qu'il s'agit: d'un geste sous l'apparence d'un discours, qui pointe l'œuvre quitte à en dire du mal. Le performatif a pour effet d'opérer la transition entre le monde du lecteur et celui de l'œuvre: la préface ne s'adresse au lecteur que pour l'inciter à la quitter et à aller (au plus vite) à l'essentiel, à cette œuvre qui trépigne, dont chaque ligne de la préface dit l'attente. Inciter bien plus que dire: le discours de la préface cache un performatif si puissant que son absence même parle encore au lecteur en le renvoyant à sa propre curiosité.



Présenter l'œuvre: l'appareil liminaire comme métatexte


Traditionnellement, la préface est définie comme le lieu où s'établit un «commentaire raisonné du roman»[17]: elle fournit des informations et prétend guider le lecteur, expliquer le texte. «Tout métadiscours prétend décrire le discours objet, en dégager le code, dire le vrai à son sujet»[18], résume Geneviève Idt. L'appareil liminaire vise une herméneutique du récit, dont l'interprétation à partir des intentions de l'auteur est la réalisation la plus coercitive car elle ne propose pas une version interprétative mais se prétend la plus juste version, donc la seule interprétation légitime. Cette fonction idéologique de la préface «vise à dégager à la fois un modèle de production du genre dont elle parle, et également un modèle de sa lecture»[19], comme l'a souligné Henri Mitterand. Les explications ou argumentations de nature stylistique, historique ou rhétorique déployées par la préface ont toujours pour but de justifier l'idéologie du texte littéraire, en donnant pour vraie la représentation des rapports imaginaires qui autorisent l'existence même de la fiction[20].


Les déclarations métatextuelles de la préface, autrement dit, valent comme des prescriptions. Or, comme l'a montré Claude Duchet, ces prescriptions dévoilent que le discours existe toujours «en fonction d'une attente sociale; [il] fait apparaître des conditions de lisibilité» de l'œuvre[21]. Quelle que soit la position du préfacier à l'égard des normes contemporaines, il se situe toujours à l'intérieur de cette normativité. Aussi le discours préliminaire se trouve-t-il toujours irrémédiablement pris dans les filets d'un double piège: d'une part, il forme «une subversion du texte littéraire, puisque, privilégiant une lecture, il opère aussi une rationalisation du texte, dont le sens est fatalement idéologique»[22], comme le relèvent S. Lecointre et J. Le Galliot. Le métatexte a une valeur répressive, selon le mot de R. Barthes[23]. D'autre part, on remarque qu'en voulant expliquer le texte, le métatexte constitue une réduction et une simplification qui va à l'encontre de la richesse polysémique de l'œuvre littéraire. C'est à la même conclusion qu'arrive François Rigolot: «En prétendant dégager le sens d'une œuvre, la récapituler tout en l'anticipant, la préface littéraire est un mensonge ou une illusion sur l'œuvre dont le propre est précisément la polysémie et la polyphonie.»[24] Ainsi l'enjeu véritable de l'appareil liminaire consiste à maîtriser le système de signification du livre imprimé, pour le «capter» d'une certaine manière en en détruisant la polysémie.


On fait donc état d'un décalage entre le discours préfaciel et le récit préfacé: pour Geneviève Idt, ce n'est pas même une réduction (l'avant-texte étant en général très court par rapport au texte qu'il introduit), mais une fragmentation de l'œuvre. Tout métadiscours est coupable d'un délit, celui de «voler le livre»: «si fidèle qu'elle soit, jusqu'à la citation ou la copie, une glose change la valeur du texte glosé rien qu'en modifiant son énonciation»[25]. Le rapport entre récit littéraire et discours préfaciel est un rapport de détournement: la préface reprend des fragments du texte préfacé et, par la citation, la réminiscence ou la réécriture de certains passages, leur donne un autre sujet, un autre objet et un autre destinataire. La métatextualité du discours préfaciel est donc toujours avant tout une textualité, en ce qu'elle instaure un processus de transformation et d'aliénation de l'œuvre qu'elle est censée faire apparaître. La présentation ne serait ainsi qu'un horizon idéal, la préface ne permettant jamais qu'une prise partielle et partiale du texte. La présentation préfacielle, en somme, est toujours une représentation du livre plus qu'une présentation[26].


*


Savoureux hors d'œuvre, libre d'obligation de lecture, entre le nécessaire et le superflu, la préface nous confronte à un discours en tous points paradoxal: elle est à la fois un «avis au public» que le bon public ne lit pas; annonce d'un texte que le lecteur efface aussitôt, pour entrer dans le récit; une limite entre le monde et la fiction en même temps que la transgression de cette limite, donc à la fois instauration d'un seuil et annulation de celui-ci; enfin, elle est toujours une présentation de l'œuvre dont l'approche est tangentielle: n'existe-t-il en effet pas infiniment de préfaces possibles pour un seul texte?


Reste l'étonnement: devant sa permanence historique, et devant cette constante ténacité à vouloir présenter une œuvre par un mot juste. C'est bien sa position — non pas avant-le-texte, mais au-dessus-du-texte: sa position critique donc — qui voue toute présentation à n'être jamais que représentation partielle et partiale.






Pages de l'Atelier associées: Paratexte, Fiction, Récit, Commentaire.




[1] Thémiseul de Saint-Hyacinthe dans sa «Préface» à son Histoire du Prince Titi en 1736. On trouvera le texte intégral dans Jan Herman et Christian Angelet, Recueil de préfaces de romans du XVIIIe siècle. Volume I: 1700-1750. Par Jan Herman, P.U. Louvain, 1999, p. 216.

[2] Le Paratexte au siècle d'or, Genève, Droz, 1996, p. 225.

[3] Seuils, Paris, Seuil, 1987, p.8.

[4] Signalons au passage qu'au Moyen Age, le prologue ne fait que peu de cas de l'œuvre qu'il présente: il n'est donc en aucun cas métatextuel. L'importance du prologue porte sur la légitimation de la lecture du roman, en multipliant les garants pour le roman, dont l'«auteur» suprême est Dieu. Cf. Pierre-Yves Badel, «Rhétorique et polémique dans les prologues de romans au moyen âge», Littérature 20 (1975), p.86-89.

[5] Seuils, op. cit., p.183.

[6] L'un de ses intitulés originels, le préambule, désigne encore le mouvement inhérent à l'existence de l'élément préfaciel qui doit diriger la lecture, plier le lecteur dans un sens particulier en le conduisant vers une fin, une idée, selon une trajectoire qu'elle définit.

[7] Andrea Del Lungo, L'Incipit romanesque, Paris, Seuil, «Poétique», 2003, p.14.

[8] Henri Mitterand, «La préface et ses lois», dans: Le Discours du roman, Paris, Presses universitaires de France, 1980, p.21-34. En effet, le liminaire possède toutes les caractéristiques linguistiques propres au discours: il oppose un «je» grammatical s'adressant à un «tu», contient de nombreux déictiques, et se voit renforcé par la forme grammaticale du présent. En outre le caractère performatif transforme l'énoncé en acte. Le texte préfacé, en revanche, est un récit, qui apparaît le plus souvent comme coupé de toute situation énonciative, clos sur lui-même.

[9] Ce problème est soulevé par Elisabeth Zawisza, à savoir l'implication de la personne de l'auteur dans le discours préfaciel où «le même sujet parlant aborde le discours critique et le discours romanesque à la fois», «obligé de regarder diversement le même objet, c'est-à-dire son propre roman» («Sur le discours préfacier dans les romans au dix-huitième siècle», dans: Romanica Wratislaviensia XII: 319 (1977), p.103)

[10] «Fonction rituelle du métalangage dans les préfaces ‘hétérographes'», in: Littérature 7 (1977), p.67.

[11] Henri Mitterand, «La préface et ses lois», loc. cit., p.24.

[12] Préface du rédacteur: «J'avais proposé des changements plus considérables, & presque tous relatifs à la pureté de diction ou de style, contre laquelle on trouvera beaucoup de fautes. J'aurais désiré aussi être autorisé à couper quelques lettres trop longues & dont plusieurs traitent séparément, & presque sans transition, d'objets tout-à-fait étrangers l'un à l'autre. Ce travail, qui n'a pas été accepté, n'aurait pas suffi sans doute pour donner du mérite à l'ouvrage, mais lui aurait au moins ôté une partie de ses défauts.»

[13] La plupart des paradoxes pragmatiques de la préface concernent les préfaces d'auteur. En effet, les préfaces dites hétérographes (qui ne sont pas de la main de l'auteur du livre) sont plus évidemment publicitaires: elles constituent un commentaire sur le texte littéraire par une tierce personne, dans le but de recommander le roman au lecteur. Cette recommandation est d'autant plus efficace que le nom du préfacier allographe est notoire, et que son point de vue paraît plus neutre. Le cas des Liaisons dangereuses en donne le parfait contre-exemple.

[14] Simone Lecointre et Jean Le Galliot, «Texte et paratexte. Essai sur la préface du roman classique», in: Panorama sémiotique 1979, p.668-669.

[15] Le Paratexte au siècle d'or, op. cit., p.224. La performativité de la préface est inscrite dans la question même de Genette, «pourquoi lire le récit?», dans la mesure où elle interroge un effet visé par l'appareil liminaire.

[16] Anne Cayuela a pu appliquer la théorie des actes de langage de John Searle au discours préfaciel (op. cit., p.223sq.). M. MacLean («Pretexts and paratexts. The art of the peripheral», in: New Literary History 22, 1990, p.274) précise que l'opposition capitale entre énoncé préfaciel et littéraire concerne les actes illocutoires: l'avant-texte se compose d'actes illocutoires du premier type, qui portent sur le préfacier, et s'adressent explicitement au lecteur potentiel. L'œuvre littéraire par contre est constituée d'actes illocutoires du second type, portant sur l'œuvre même. Le narrateur et le narrataire se situent dans le roman, tandis que le préfacier et le lecteur de la préface parlent du roman.

[17] Elisabeth Zawisza, «Sur le discours préfacier dans les romans au XVIIIe siècle», in: Acta Universitatis Wratislaviensis 319 (1977), p.96.

[18] «Fonction rituelle du métalangage dans les préfaces ‘hétérographes'», loc. cit., p.66.

[19] Henri Mitterand, «La préface et ses lois», loc. cit., p.25.

[20] François Rigolot, « Prolégomènes à une étude du statut de l'appareil liminaire des textes littéraires», dans L'Esprit créateur XXVII: 3 (1987).

[21] «L'illusion historique», loc. cit., p.249.

[22] «Texte et paratexte», loc. cit., p.667.

[23] Roland Barthes, «Rhétorique de l'image», in: Œuvres complètes, vol. II, éd. Éric Marty, Paris, Seuil, 2002, p.580.

[24] Henri Mitterand, «Le discours préfaciel», loc. cit.

[25] Idt, «Fonction rituelle du métalangage dans les préfaces ‘hétérographes'», loc. cit., p.71.

[26] On objectera que nombre de préfaces refusent de prescrire un sens à l'œuvre littéraire et donc d'imposer une idéologie, en laissant au lecteur toute liberté de construire sa propre lecture et de participer pleinement à la production du sens. Ces avant-textes favorisent une réception spontanée, en se présentant de façon narrative, comme l'a montré Michel Jeanneret dans «La lecture en question: sur quelques prologues comiques au seizième siècle» (French Forum 14, 3: 1989, p.284). C'est ce qui l'amène à les considérer comme non métatextuels, et à les assimiler à la scénographie romanesque. S. Lecointre et J. Le Galliot, pour leur part, considèrent ce type d'avant-texte dit «subversif» comme réellement métatextuel, puisqu'il constitue une «figure métaphorique du texte», «un véritable équivalent textuel», qui «revendique comme déterminantes les lois de la narrativité» («Texte et paratexte», loc. cit., p. 667-668). Dans son livre Sampling the book. Renaissance prologues and the French ‘conteurs' (Lewisburg, Bucknell University Press, 1994, p.82), Deborah N.Losse défend quant à elle une thèse proche de celle de M.Jeanneret à propos des liminaires du seizième siècle, qui adoptent le registre narratif du roman. Selon D.N.Losse toutefois, la narrativité n'efface pas les autres caractéristiques liminaires traditionnelles. La stratégie préfacielle narrative n'entraîne pas la disparition de la fonction rhétorique fondamentale de la scénographie discursive: l'intention promotionnelle de l'œuvre reste présente, mais s'effectue de façon non conventionnelle. À travers la narration, le préfacier fictionnalise son propos, il ne parle pas en termes référentiels authentiques. La démarche narrative de la préface est de présenter un échantillon («a sample») narratif de la fiction, mais toujours dans le but d'inciter à lire. Ainsi la fiction de la préface n'est pas la même que celle du roman. La préface est par sa condition d'énonciation irrévocablement discursive. La fictionnalité n'est donc pas un trait caractérisant un énoncé en lui-même. Ce sont «les conditions de production et de réception de cet énoncé» qui le définissent, nous rappelle Anne Cayuela (Le Paratexte au siècle d'or, op. cit., p.244). Le liminaire étant avant tout performatif et utilitaire, la fiction qu'elle véhicule ne sera pas du même ordre que celle du récit romanesque, et n'effacera jamais le trait scénographique fondamental du discours préfaciel. Autrement dit, même si elle est masquée, la scénographie qui régit les liminaires narratifs reste discursive. Le but du paratexte reste fondamentalement de convaincre le lecteur de la valeur du livre. Dans cette visée, le liminaire narratif est la réalisation performative la plus extrême du discours liminaire.



Nathalie Kremer

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Dernière mise à jour de cette page le 9 Juillet 2015 à 16h42.