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Thèse de V. Message: Manières de vivre ensemble : le roman du XXe siècle face au pluralisme (dir. T. Samoyault)

Thèse de V. Message: Manières de vivre ensemble : le roman du XXe siècle face au pluralisme (dir. T. Samoyault)

Publié le par Marc Escola

UNIVERSITÉ PARIS 8 VINCENNES – SAINT-DENIS
ÉCOLE DOCTORALE N° 31 – PRATIQUES ET THÉORIES DU SENS

le 23 novembre 2012

Vincent Message soutiendra publiquement sa thèse pour l'obtention du grade de Docteur en Littérature générale et comparée
de l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis

MANIÈRES DE VIVRE ENSEMBLE :
LE ROMAN DU XXe SIÈCLE FACE AU PLURALISME

Thèse dirigée par Madame le Professeur Tiphaine SAMOYAULT

Jury :
M. Pierre BAYARD
Professeur de Littérature française à l’Université Paris 8.
M. Jean-Pierre COMETTI
Professeur de Philosophie à l’Université de Provence.
M. Philippe DAROS
Professeur de Littérature générale et comparée à l’Université Paris 3.
M. Souleymane Bachir DIAGNE
Professeur d’Études françaises et francophones à Columbia University.
Mme Tiphaine SAMOYAULT
Professeur de Littérature générale et comparée à l’Université Paris 3 / Paris 8.

Résumé:
Ce travail porte sur des romans qui allient une diversité interne déroutante à un
intérêt marqué pour la diversité du réel politique et social. Naissant de la confluence
d’une multiplicité de points de vue, ils s’inscrivent dans la tradition du roman hétérogène
théorisée par Mikhaïl Bakhtine : tout comme chez Cervantes et Rabelais, le roman s’y
transforme en une place publique où tous les individus ont le droit à la parole et où personne
ne peut la monopoliser. Cette recherche observe le devenir de cette lignée
stylistique au XXe siècle, en prenant pour objet des romans de la collectivité, donnant à
voir un nous qui n’est pas celui de communautés liées par des solidarités traditionnelles,
mais le nous beaucoup plus délicat à concevoir des sociétés ouvertes.
En régime démocratique, la coexistence d’une pluralité de cultures,
d’appartenances religieuses ou d’idéologies est à la fois reconnue comme un bien et
source de tensions innombrables. Dans les relations entre cultures, ou entre groupes
humains au sein d’un même État, ce pluralisme peut faire craindre une guerre des valeurs
ou un éclatement du cadre de la vie commune. À l’échelle individuelle, il décuple
l’ambition manifestée par les individus de façonner leur conduite de vie, mais complique
la réalisation de ce projet : à l’angoisse d’une ligne droite qui nous est fixée de naissance,
il substitue le vertige du choix entre des possibles également légitimes.

L’hypothèse qu’on soutient ici est que certains romanciers font de cet état de fait
pluraliste leur matériau romanesque privilégié, et de l’exigence de pensée pluraliste leur
manière de construire des romans. C’est en particulier le cas dans les cinq oeuvres
étudiées à titre principal : L’Homme sans qualités de Robert Musil, Terra Nostra de Carlos
Fuentes, L’Arc-en-ciel de la gravité de Thomas Pynchon, Les Versets sataniques de Salman
Rushdie et Tout-Monde d’Édouard Glissant. En germe chez Fuentes avec l’entrée dans la
première modernité d’une Espagne obsédée par la pureté religieuse, le pluralisme met à
mal l’unité de l’Autriche-Hongrie dans L’Homme sans qualités ; Pynchon se préoccupe du
trouble qu’il crée dans la sphère scientifique à l’heure de la guerre froide, tandis que
Glissant et Rushdie enquêtent sur la dynamique des changements identitaires dans un
monde où les migrations et les contacts interculturels prennent une intensité inédite.
Au sein de la galaxie des romans hétérogènes, ces oeuvres forment une constellation
qu’on appelle ici les romans pluralistes. Il ne s’agit pas là d’une catégorie aux frontières
strictes, mais d’un pôle d’attraction qui aimante les romans. Tous ont pour
caractéristique d’opposer une réponse vitaliste au malaise de la modernité. À travers les
trajectoires de leurs personnages, ils imaginent quelles réactions il est possible d’adopter
face aux conflits de valeurs qui déchirent nos sociétés. Le pluralisme qu’ils mettent en
oeuvre est loin de se réduire à un éloge du divers. Ces romans incitent à soustraire la notion
à ses usages politiquement corrects et au seul multiculturalisme, puisqu’ils donnent à
voir le phénomène dans toute son épaisseur historique. Pour rendre justice à cette
extension remarquable, on gagne à analyser le pluralisme romanesque dans un dialogue
avec les philosophies pluralistes. Le paysage théorique actuel se prête à un tel effort,
puisque le pluralisme de William James et des pragmatistes suscite depuis quelques
décennies un intérêt nouveau. Les travaux des philosophes libéraux et communautariens
entrent eux aussi en écho avec les romans, au sens où, de Michaël Walzer à Charles
Taylor, tous essayent de déterminer le type de liens sociaux susceptibles de rendre viable
la vie publique dans des sociétés où coexistent des conceptions du bien divergentes.
Construite à partir de ce dialogue entre littérature et philosophie, cette étude
examine la manière dont les romans pensent les problèmes politiques et sociaux liés au
pluralisme.

Le premier chapitre s’attache à décrire ses modalités collectives : on y restitue
la vision que les romans donnent des heurts entre ensembles culturels distincts et des
cohabitations culturelles sur un même territoire. Attentifs aux recompositions que le
pluralisme des identités entraîne au sein de l’espace public, les romanciers se livrent à une
critique en acte des communautarismes et des politiques d’assimilation, et mettent en
avant les valeurs dont sont porteuses les cultures minoritaires et les processus de métissages.
Le deuxième chapitre rend compte du pluralisme en tant qu’expérience subjective.
On y voit les personnages construire leur identité narrative dans une négociation difficile
avec leurs groupes d’appartenance ; on tente également d’y cerner la façon dont ils
arbitrent les conflits moraux qui les tiraillent, alors que le pluralisme bouleverse les
rapports qu’ils entretiennent à la croyance religieuse et à la connaissance.

Le second volet de ce travail relève du domaine de l’esthétique du roman. Le maniement
des multiplicités s’y avère l’une des ressources les plus fécondes du genre, mais
aussi une de ses principales difficultés, puisque leur force centrifuge risque toujours de
faire du roman une forme qui ne tient plus. Pour analyser ce jeu de tensions, le troisième
chapitre se consacre à l’élaboration d’une poétique pluraliste : celle-ci se traduit par la
mise en place d’intrigues ramifiées et par un mélange des registres visant à déconstruire
les hiérarchies culturelles. Ailleurs, elle conduit les romanciers à imbriquer des traditions
artistiques en un métissage esthétique ou à orchestrer l’affrontement de discours de
savoir antagonistes.

Plus resserré, le quatrième chapitre interroge les limites du pluralisme. En partant
du constat que la possibilité de mettre en scène des consciences multiples est restreinte
par la singularité individuelle de l’auteur, on y décrit l’effort d’imagination morale dans
lequel se lancent les romanciers pour repousser cette limite et rendre justice à la
sensibilité de chacun de leurs personnages. Dès lors qu’un certain degré d’hétérogénéité
paraît menacer la singularité esthétique des oeuvres, il est également crucial de recenser
les principes de liaison auxquels les écrivains recourent pour éviter que le pluralisme ne
vire à la dissolution.

Ce travail propose donc une théorie restreinte du roman : il s’empare d’une des
lignes de force du genre et essaye d’en suivre le déploiement à travers des oeuvres majeures
du XXe siècle, qui célèbrent la diversité humaine avec une puissance remarquable et
nous incitent à imaginer la société qu’il nous est possible de construire à partir du
pluralisme irréductible de nos visions du monde et de nos manières d’être.