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Éditer la poésie (XIXe–XXIe siècle). Histoire, acteurs, modes de création et de circulation (Sorbonne Nouvelle)

Éditer la poésie (XIXe–XXIe siècle). Histoire, acteurs, modes de création et de circulation (Sorbonne Nouvelle)

Publié le par Marc Escola (Source : Serge Linarès)

Séminaire de recherche :

"Éditer la poésie (XIXe–XXIe siècle).

Histoire, acteurs, modes de création et de circulation

animé par Isabelle Diu, BLJD, et Serge Linarès, Sorbonne Nouvelle

2e séance

Florence Alibert (Angers) :

« Mais où sont les neiges d’antan ? L’édition de poésie dans le mouvement des presses personnelles en Europe autour de 1900 »

Le livre compris comme unité, formant un tout harmonieux et permettant le dialogue entre le texte et l’image : ainsi peut se résumer la quête artistique des éditeurs-imprimeurs issus de ce que l’Histoire du livre désigne par Private Press Movement. Ces artistes du livre eurent un intérêt particulier pour l’édition de la poésie. Les plus fameux d’entre eux étaient parfois poètes et artistes, à l’exemple de William Morris, fondateurs des Kelmscott Press.

Cette recherche de ce que Morris désigna par « livre idéal », connut pourtant des débuts difficiles. L’histoire commença avec les déboires de Dante Gabriel Rossetti, illustrateur des poèmes de Tennyson chez l’éditeur commercial Moxon, se poursuivit avec un échec cuisant de William Morris et d’Edward Burne-Jones pour publier les poèmes de Morris chez Chiswick et trouva un accomplissement avec la fondation des Kelmscott Press à la fin de l’année 1890.

Seule la maîtrise complète du processus de production du livre semblait finalement satisfaire les peintres et poètes issus du préraphaélisme. Nous considèrerons différents opus de poésie réalisés par les éditeurs-imprimeurs fondateurs de presses personnelles où s’exprime cette vision du livre comme un tout harmonieux renouvelant le principe de l’ut pictura poesis. Parmi différents exemples qui seront discutés, il faudra remarquer les livres créés par Lucien Pissarro pour ses Eragny Press, dont certains volumes de poésie française, petits formats qui se distinguent par leur élégance et leur esthétique hybride franco-britannique et jettent ainsi un pont à la fois entre deux pays et entre deux siècles. L’ensemble des processus de production de ces livres, du choix du texte à la mise en forme de l’objet révèlent une recherche esthétique complexe malgré une incertitude quant aux débouchés et à la réception des ouvrages. Ces livres de Lucien Pissarro, parfois qualifiés de « livres mineurs » par les critiques d’art bibliophiles, constituent pourtant une œuvre originale hésitant entre archaïsme et modernité, comme le montrent en particulier les éditions de la poésie de François Villon aux Eragny Press.

Florence Alibert est maîtresse de conférences à l’université d’Angers et conservatrice des bibliothèques. Docteure en esthétique et philosophie de l’art, elle mène des recherches sur l’art du livre en Europe autour de 1900 et sur la numérisation des collections patrimoniales. Elle est l’auteure de la monographie Cathédrales de poche. William Morris et l’art du livre (éditions Otrante, 2018) et travaille actuellement sur l’œuvre graphique de Lucien Pissarro.

 Sophie Lesiewicz (INHA) : « Le poète/typographe, un poète editor »

Quelque chose de nouveau se produit au début du XXe siècle, éclipsé par le phénomène des avant-gardes. « Au XXe siècle, […] des terres inconnues ont paru s’ouvrir devant les éditeurs. Il est révélateur que des poètes […] aient prêté la plus grande attention à l’art du Livre, plus révélateur encore que des poètes aient voulu pratiquer cet art, se faire éditeurs, voire typographes » écrivait Jacques Guignard. A partir de 1909, avec François Bernouard, on observe en effet l’apparition d’une figure qui fusionne les rôles d’intermédiaire technique (éditeur/imprimeur) et de créateur premier (poète). Il est symptomatique, note Antoine Coron, que trois des plus grands éditeurs de ces années écoulées – Iliazd, Pierre Lecuire, Pierre-André Benoît – fussent aussi des poètes, comme Guy Lévis Mano. En préface à un catalogue consacré à Pierre-André Benoît, poète-typographe au premier chef, Emmanuel Le Roy Ladurie développe les caractéristiques de cette figure :

C’est en effet au moment où celle-ci perdait le monopole de la diffusion des connaissances, où les règles de sa lisibilité devenaient parfaitement connues, où donc sa fabrication, comme sa conception s’automatisaient, qu’apparurent, à l’écart des circuits habituels de l’édition, des personnages singuliers auxquels il est bien difficile de trouver des antécédents. Ils imprimaient eux-mêmes ou faisaient imprimer des livres, mais ceux-ci n’avaient rien de l’apparence commune.

Comme l’explique Hélène Martinelli, au XXe siècle, se révèle toute une série de poètes éditeurs, conscients de ce qu’avec la multiplication des intermédiaires entre l’écrivain et le livre, le contrôle de leur œuvre dépend de leur familiarité avec la réalité matérielle du livre, voire de leurs compétences techniques 

Ce poète est un éditeur relevant de ce que les Anglo-Saxons appellent un editor, l’homme de l’art qui façonne le livre par opposition au publisher qui finance une publication. Ce créateur emprunte quasiment exclusivement à la racine edere et sa « production » relève bien plus de la confection, du fait maison et du fait main. Sortant des circuits ordinaires, son livre est un livre original de la main du créateur avant d’être un texte à rendre accessible au lecteur. Si l’on a pu parler de transfert de sacralité de la figure de l’écrivain à celle de l’éditeur dans la deuxième moitié du XIXe siècle, c’est aussi, paradoxalement, qu’on a reconsidéré le livre comme objet matériel et non plus seulement comme support d’un texte. Cette prise de conscience de la matérialité du livre s’effectue au prix d’un nouvel investissement concret du poète.

Sophie Lesiewicz est conservatrice des bibliothèques et docteure en histoire du livre (UVSQ), qualifiée en littérature française. Ancienne directrice adjointe de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, elle dirige actuellement le service du Patrimoine à l’Institut national d’Histoire de l’Art. Sa thèse porte sur le « livre (typo)graphique » de 1890 à nos jours. Chercheuse associée au Centre d’étude de la langue et des littératures françaises, CNRS-Sorbonne Université, au sein de l’axe « Un siècle de mutation du livre illustré (1870-1970) », elle travaille sur l’histoire du livre et de l’édition (xixe - xxie siècles) ainsi que sur les rapports entre poésie et arts plastiques. Elle a récemment publié Livre/Typographie: une histoire en pratique(s), en co-direction avec Hélène Campaignolle-Catel et Gaëlle Théval, Ed. des Cendres, et L’art décoratif du livre, éloge du parergon, en co-direction avec Hélène Védrine, Editions d’Otrante, BLJD et Paris Sorbonne. 

La séance aura lieu en présence et à distance.

Pour tout renseignement, s'adresser à: serge.linares@sorbonne-nouvelle.fr