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Robert Merle, à contre-courant et à contretemps (Dunkerque)

Robert Merle, à contre-courant et à contretemps (Dunkerque)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Yves Baudelle)

Robert Merle, à contre-courant et à contretemps

Premier colloque international

Université du Littoral, Dunkerque, 12-13 juin 2020

Colloque organisé par Yves BAUDELLE et Anne WATTEL

(laboratoire Alithila – Analyses littéraires et histoire de la langue – EA 1061, Université de Lille).

 

Appel à communications

Robert Merle, écrivain emblématique de l’après-guerre, est l’auteur d’une œuvre qui déconcerte et que l’on tient, exception faite de ses deux premiers romans Week-end à Zuydcoote et La mort est mon métier, pour mineure. Lors de son décès, en 2004, Jean-Christophe Rufin dans L’Express note que Robert Merle, auteur d’une œuvre « populaire et de qualité », « tout à la fois consacré et ignoré, [...] n’a pas la place qu’il mérite parmi les écrivains majeurs du xxe siècle ».

C’est que Merle fait partie de ceux qui, en marge de l’existentialisme et du Nouveau Roman, ont été balayés du champ littéraire et pour lesquels une révision de l’histoire littéraire du second xxe siècle s’impose. Il pourrait aisément entrer, aux côtés de Vercors, Gary et d’autres, dans la catégorie des « irréguliers » que Julien Roumette a mis en lumière dans un dossier de 2007 de la revue Littératures[1].

Réfractaire à la mode, aux écoles, à la discipline de parti, Merle navigua bien souvent « à contre-courant ». Cette expression, il l’utilise d’ailleurs fréquemment, dans la préface de certaines de ses œuvres, dans sa correspondance.

Comme les irréguliers de Roumette, Merle s’orienta « vers des formes originales, décalées par rapport aux principaux courants littéraires, bousculant les frontières des genres, voire vers des genres nouveaux en train de naître, considérés comme “mineurs” »[2], telle la politique-fiction qu’il aborda avec Un animal doué de raison, Malevil et Les Hommes protégés. Allergique au Nouveau Roman, à toute littérature mandarinale, à une littérature sans histoire qui n’interpelle pas les passions, les émotions mais l’intellect, Merle s’adonna au roman romanesque. « J’aime la péripétie », clame-t-il dans Le Figaro littéraire, « Donnez-moi la péripétie ! Qu’il arrive des choses ! Que je me batte ! Que je pleure ! Que je rie ! Que je me laisse surprendre [...] »[3].

Comme celle des irréguliers, sa « démarche participe d’un combat, de la défense d’une vision, aussi bien historique et politique qu’éthique et littéraire »[4]. « Toute mon œuvre est historique », confiait Robert Merle à Jean Libermann de Presse Nouvelle Hebdo[5]. Avec Week-end à Zuydcoote, qui relate la débâcle de 1940, La mort est mon métier, qui fait la genèse de l’usine de la mort d’Auschwitz, il fit, dit-il, « l’histoire du passé » ; avec Derrière la vitre, roman-reportage qui relate les événements du 22 mars 1968 à Nanterre, et L’Île, qui s’inspire du peuplement de l’île Pitcairn par les révoltés du Bounty au xviiie siècle mais qui est en fait une dénonciation de la guerre d’Algérie, il fit « l’histoire du présent » ; quant à ses œuvres de politique-fiction, qui sont « […] à ce point immergé[es] dans l’histoire contemporaine qu’[elles] la devance[nt] même de quelques années […] »[6], elles font « l’histoire de l’avenir ».

Comme les irréguliers, il a repensé les rapports entre fiction et histoire, écrivant en 1952, en pleine ère de l’amnésie, La mort est mon métier, à contre-courant comme il le dit : « Quand je rédigeai La mort est mon métier, de 1950 à 1952, j’étais parfaitement conscient de ce que je faisais : j’écrivais un livre à contre-courant. Mieux même : mon livre n’était pas encore écrit qu’il était déjà démodé »[7]. Ce roman, publié en 1952, prit le contre-pied de la doxa dominante concernant l’écriture sur et après Auschwitz et, précédent « scandaleux », il offrit une voix au bourreau dans sa recréation étoffée et imaginative de la vie de R. Hoess, prenant alors pour règle, comme l’indiquait Marc Soriano, de « peindre l’envers pour suggérer l’endroit, le négatif pour imposer le positif »[8]. La critique fut féroce et ce n’est que vingt ans plus tard, selon Merle, que La mort est mon métier sera reconnu pour ce qu’il est, « un livre d’histoire ».

Lorsqu’il aborde l’histoire du temps présent dans Moncada, qui retrace le premier combat de Fidel Castro, ou dans Ahmed Ben Bella, Merle écrit « avec la précision d’un historien et le style d’un romancier »[9] : pour relater l’attaque du cuartel Moncada par Castro et ses compagnons, il se cantonne au récit d’une journée, le 26 juillet 1953, et l’interrogation scrupuleuse des témoins et acteurs de l’événement nourrit son texte ; pour peindre cette étonnante et partiale biographie de Ben Bella, qu’il envisageait comme « une arme », il opte pour un récit à la première personne, et c’est « Ben Bella qui s’exprime par la plume d’un prix Goncourt devenu traducteur d’une bande de magnétophone »[10].

Quand il choisit d’écrire, avec Derrière la vitre, les événements de mars 68, il le fait, là encore « à contre-courant » et sera éreinté par la critique car, selon lui, « il faudra quelques années – et mai 68, plus reculé dans les lointains de l’histoire – pour que Derrière la vitre surmonte les partialités contemporaines et prenne toute sa valeur en tant que document sur la quotidienneté et l’exceptionnel dans la vie des étudiants de notre temps »[11].

À contre-courant d’une littérature nationale, l’écrivain, professeur de littérature anglaise, fut également fortement influencé par la littérature américaine et anglo-saxonne au point qu’Yvan Audouard, dans le Canard enchaîné, ira jusqu’à dire que Robert Merle « est à [s]a connaissance le seul écrivain américain de langue française »[12].

C’est donc sous le signe du contretemps que se place ce premier colloque international Robert Merle. À contretemps car l’histoire littéraire a de bien curieuses amnésies qu’il nous faut explorer afin de comprendre pourquoi la consécration lui fut refusée et ce qui, dans ses choix littéraires, le plaça dans un hors-champ, le nt au statut de middlebrow. À contretemps également car le xxie siècle a remis Merle au cœur de l’actualité : la polémique de 2006 autour de la parution des Bienveillantes de Jonathan Littell a atteint rétrospectivement La mort est mon métier ; l’affaire Weinstein a exhumé Les Hommes protégés comme le révèle le titre d’un article du Figaro du 30 octobre 2017 : « Quand Robert Merle prédisait une dictature féministe dans Les Hommes protégés »[13] ; Dunkirk, le film de Nolan, sorti en 2017, a remis en mémoire Week-end à Zuydcoote ; Denis Malleval a, en 2010, proposé une adaptation télévisuelle de Malevil, et la saga Fortune de France, tout récemment traduite en anglais, connaît un vif succès outre-Manche.

Nous proposons donc dans ce premier colloque d’aborder l’œuvre de Merle sous le signe de cette irrégularité qui lui valut la déconsécration, une déconsécration à laquelle Merle lui-même œuvra sans doute, en choisissant, après la reconnaissance institutionnelle et le Goncourt 1949, de s’adonner aux « mauvais genres », à l’anticipation et à la saga historique, avec les treize tomes de Fortune de France.

Voici quelques-unes des pistes (non exhaustives) autour desquelles pourra s’articuler ce colloque :

  • Robert Merle, conteur d’Histoire(s).
  • Une nouvelle figure d’intellectuel populaire et médiatique.
  • La littérarité de Robert Merle : a-t-il une écriture, une voix, un style ?
  • Canon littéraire et purgatoire : Merle, un mineur ? Merle et les « mauvais genres ».
  • Merle, irrégulier, franc-tireur ? Toute comparaison avec d’autres figures d’ « irréguliers » serait bienvenue.
  • Merle, un écrivain « américain » ?
  • L’humour merlien. L’humour des irréguliers exprimant selon J. Roumette « une prise de distance salutaire par rapport à la vision très noire de la condition humaine qui domine l’époque ».
  • Merle, humaniste du xxe siècle : dimension politique et éthique de son œuvre.
  • Adaptations, réécritures, intermédialités de R. Merle : théâtre et cinéma.

Toute étude sur le cycle romanesque de Fortune de France, sur le théâtre merlien (Flamineo, Sisyphe et la mort, Les Sonderling, Nouveau Sisyphe, Justice à Miramar, L’Assemblée des femmes, Pièces pies et impies, Le Mort et le vif), sur l’Oscar Wilde de Merle, sur son Moncada ou Ben Bella, jamais ou si peu étudiés, serait bienvenue.

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Un titre et un bref résumé sont à envoyer avant le 10 octobre 2019 aux deux organisateurs :

Yves Baudelle (yves.baudelle@univ-lille.fr) et Anne Wattel (annesw@wanadoo.fr)

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Lieu du colloque : Université du Littoral, Dunkerque.

Les organisateurs prennent en charge l’accueil, l’hébergement, les repas.

 

1. Julien Roumette, « Avant-propos », Les irréguliers, un autre après-guerre, Littératures, n°70, 2014 [en ligne], consulté le 8 février 2018. URL : http://journals.openedition.org/litteratures/275.

2. Ibid.

3. Robert Merle, « Mes rêves et puis les autres », Le Figaro Littéraire, n° 1554, 28 février 1976. 


4. Julien Roumette, « Avant-propos », article cité.

5. Robert Merle, Lettre à Jean Libermann, archives privées, 2 juillet 1974.

6. Id., Lettre à Madame Köves, Budapest, archives privées, 1972, p. 1.

7. La mort est mon métier, préface.

8. Marc Soriano, « Le typique et ses techniques à travers quelques romans récents », article cité, p. 124.

9. « Ben Bella a raconté sa vie dans les jours qui ont précédé son arrestation, devant le magnétophone de Robert Merle », Jacques Parvillée, France soir, mardi 30 novembre 1965.

10. Le Nouvel Observateur, 8-14 décembre 1965.

11. Robert Merle, « Le romancier, les gauchistes et les mandarins », in Derrière la vitre, 
Paris, Librairie Tallandier, « Le Cercle du nouveau livre », 1971, annexes, p. 5. 


12. Yvan Audouard, « À l’ombre du M.L.F. en armes », Le Canard enchaîné, 5 juin 1974.

13. http://www.lefigaro.fr/vox/culture/2017/10/30/31006-20171030ARTFIG00207-quand-robert-merle-predisait-une-dictature-feministe-dans-les-hommes-proteges.php.