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Le mot de la fin. Avoir le dernier mot. - (Appel à communications - Colloque doctoral à Sorbonne Université - Paris IV)

Le mot de la fin. Avoir le dernier mot. - (Appel à communications - Colloque doctoral à Sorbonne Université - Paris IV)

Le mot de la fin. Avoir le dernier mot 
Sorbonne Université – Doctorales de l’ED 3 – 10 et 11 juin 2026 
Amphithéâtre Georges Molinié 
Maison de la Recherche, 28 rue Serpente, 75006 Paris 

 

Appel à communication pour le colloque sur « Le mot de la fin. Avoir le dernier mot », organisé par les doctorant.es de l’école doctorale III de Sorbonne Université et destiné aux doctorant.es et jeunes docteur.es. 

 

    De la chute d'une tragédie classique au point final d'un roman, le dénouement d'un écrit est souvent perçu comme un moment de cristallisation où le sens, jusqu'alors mouvant, paraît se fixer définitivement. Cette apparence de clôture ne relève-t-elle pas cependant d'une illusion ? Le dernier mot d'un récit est rarement celui qui scelle le silence, mais plutôt celui qui ouvre la résonance et l'interprétation.

    Dès lors, des questions essentielles se posent. Quel mot ou quel signe pour conclure un récit, un recueil poétique, une pièce de théâtre, un discours ? Dans un texte polyphonique, à qui donner le mot final ? Pour un personnage, un narrateur, un poète ou un orateur, est-ce toujours avoir le dernier mot que d’avoir le mot de la fin ? Qu’en est-il des fins ouvertes ou inachevées ? Enfin, la fin doit-elle nécessairement être conçue comme une « fracture » nette, une rupture ?

     La difficulté à conceptualiser la fin se manifeste avec évidence dans le flottement terminologique qui l'entoure. Une pluralité de notions, de l'explicit médiéval au dénouement classique, en passant par la clôture moderne ou la péroraison rhétorique, coexistent sans toujours se recouvrir. Cette prolifération lexicale trahit l'impossibilité de définir des frontières textuelles et sémantiques nettes, une indétermination déjà en germe dans l'étymologie du terme « fin », issu du latin finis, dont le sens a constamment évolué de l’idée spatiale de «borne » à l’idée abstraite de « finalité ».

    Qu’il soit sonore ou visuel, le final d’un texte semble devoir choisir inéluctablement entre la retenue et l’explosion, entre le point d’orgue et l’extinction des feux. La terminologie spécialisée, la « pointe » ou le « concetto » pour le sonnet, la « chute » pour la nouvelle, l’« envoi » pour la ballade, ou encore la « coda » en musique, manifeste l’acmé que représente le trait final, susceptible d’opérer un glissement herméneutique décisif.

     Dans quelle mesure la clôture textuelle, qu'elle se manifeste par un vers, un mot ou une réplique, possède-t-elle donc une signification et une valeur propres, affranchies de toute finalité utilitaire au sein de la mécanique scripturale ?

Le dernier mot entre visible et invisible 

    La clôture du récit interroge le statut même du dernier mot, tiraillé entre le visible et l'invisible. Le texte ouvert, par ses marques d'inachèvement telles que le tiret ou les points de suspension, ne signale pas une fin mais une mise en attente, ouvrant délibérément sur les potentialités du silence. Cette stratégie soulève une question fondamentale. Faut-il suggérer la fin ou la marquer explicitement, actant ainsi la rupture d'un contrat de lecture implicite ? La présence ou l'absence du mot « Fin », d'un blanc typographique ou de tout autre signe de ponctuation finale, engage une phénoménologie de la clôture, où le silence peut être soit une absence définitive, soit une caisse de résonance pour l'imaginaire du lecteur. Cette réflexion nous conduit à une nécessaire (re)définition des schémas narratifs canoniques. Au-delà des formules codées de l’excipit, qu'il s'agisse du happy end, de la séparation ou de la mort, c'est la fonction même de la fin qui est en jeu. La mort concrète du héros en est l'illustration ultime. Opère-t-elle une interruption de la diégèse, une disparition de la voix narrative, ou inaugure-t-elle explicitement le silence en marquant la limite absolue de la représentation ? Inversement, les derniers mots du personnage, souvent investis d'une valeur de révélation ou d'épiphanie, interrogent la capacité de la parole à transcender cette même limite. La fin se révèle moins comme un point que comme un seuil, un espace dialectique où se négocient la plénitude du sens et le silence, la clôture et la perpétuelle résonance. 

Linéarité ou circularité de la fin 

     Si le principe (au sens de principium, qui découle lui-même de princeps) commande à la fin, le mot de la fin est-il nécessaire et déterminé par ce qui le précède, ou bien est-il simplement un terme, une borne finale, comme toute bonne chose a une fin ? Le mot de la fin serait alors pris entre deux conceptions, l’une téléologique voire finaliste, expliquant les prémices par la fin, l’autre pragmatique ou réaliste, justifiant la fin par les limites intrinsèques à toute œuvre humaine. La fin est-elle finalité ou finitude ?   

    Pourtant, certains textes, qu’il s’agisse d’une œuvre poétique, d’un récit, d’un discours ou d’une pièce de théâtre, offrent une structure fermée sur elle-même. Est-ce un déni de la fin ? Les derniers mots ne sont alors pas les mots de la fin, mais précisément ceux du début dont il reprend les termes en écho. Le texte littéraire, ainsi transformé en caisse de résonance, s’enferme lui-même dans une boucle infinie, ou infernale, qui échappe au devoir de finir. L’antagonisme de la clôture et de la fin ouverte souligne également le refus de certaines fins d'endosser le caractère conclusif de l'explicit pour ouvrir le champ des pistes interprétatives. L’œuvre se poursuit au-delà de ses contours. La fin refuse d’avoir le dernier mot.  

    En découle la question de la linéarité ou de la circularité de la fin. Face à la progression linéaire d’une réflexion ou d’une diégèse menée logiquement ou chronologiquement d’un point A à un point B, la structure circulaire ou itérative, explicite ou implicite, matérialise sur le plan formel le caractère cyclique des problématiques qu’elle charrie. Il peut s'agir de thématiques aussi variées que la vie, la mort, le pouvoir, l’amour, la violence etc. Dans une logique d’éternel retour, l’effet de bouclage d’un texte peut ainsi symboliser, de manière plus ou moins ironique, le tragique de l’existence. Les personnages aussi bien que les lecteurs ou les spectateurs sont ainsi claustrés dans un statu quo, dans l’immobilité et dans l’impuissance. Au contraire, ce recommencement peut aussi véhiculer un espoir, un élan vital et une régénérescence.  

Fin ouverte et horizons d’attente 

     La détermination du terme ultime d’une œuvre constitue un geste auctorial décisif, qu’il ait pour finalité de combler ou, au contraire, de contrarier l’horizon d’attente du lecteur. L’inachèvement lui-même, lorsqu’il produit un effet de suspension ou d’ouverture, procède souvent d’une stratégie d’écriture réfléchie. Néanmoins, cette apparente absence de clôture est-elle systématiquement intentionnelle ? Le cas des œuvres posthumes invite à nuancer cette perspective. Leur caractère tronqué découle alors moins d’un projet esthétique que d’une coïncidence contingente entre l’interruption du texte et celle de l’existence de son auteur. Qu’il soit manifeste ou élidé, délibéré ou subi, le point final engage fondamentalement le rapport herméneutique que le lecteur entretient avec le texte. Ce dernier aborde l’ultime séquence muni d’un horizon d’attente préconstruit, structuré par les signes cataphoriques distribués tout au long de la diégèse. La nature de la clôture, qu’elle soit franche, abrupte ou absente, entre ainsi en dialectique avec cette anticipation. Tend-elle à la valider, à la reconfigurer ou à la décevoir ? L’omission d’une résolution explicite peut dès lors viser à instituer un espace de réception ouvert, érigeant l’inachèvement en potentialité interprétative plutôt qu’en carence. À l’inverse, une fin expédiée peut introduire un décalage substantiel, rompant délibérément avec l’équilibre attendu. Quelle que soit sa forme, la clôture place le lecteur dans une position centrale. Il lui incombe, in fine, d’assigner une signification à ce qui s’achève, se suspend ou persiste dans l’indétermination.

Fins inachevées, vers une poétique de l’inachèvement 

     Le non finito, soit l’esthétique de l’inachevé revendiquée par certains artistes, renvoie dos à dos l’idée de l’œuvre comme une totalité close et celle de son inachèvement comme un défaut, ou un manque. L’absence de fin n’est alors plus considérée comme un accident lié aux circonstances matérielles et existentielles de l’acte créateur, mais comme l’essence même de toute expérience littéraire, infinie. L’inachèvement volontaire offre une forme fidèle à la complexité du réel et ouverte à un idéal inatteignable. Dans cet entre-deux de l’écriture, jamais pleinement présente, jamais parfaitement accomplie, où l’œuvre est en attente d’elle-même, la « solitude essentielle »(1) de l’écrivain est aussi celle du texte, livré à lui-même, sans garantie ni de sens ni de fin. Dans cet espace de liberté, le lecteur ou le spectateur est ainsi rendu co-créateur et cette co-participation au travail de l’artiste est peut-être la fin, la finalité de toute littérature.  

(1)  Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, Paris, Gallimard, « Folio », 1988, p. 31.

Le sujet peut être également traité sous les axes suivants ou d’autres encore :

  • La dimension métalittéraire du syntagme final : le dernier mot comme commentaire sur l’écriture même
  • Rhétorique de la péroraison : les stratégies discursives de la conclusion
  • La fonction morale de la clôture : la sentence finale dans la fable et au-delà
  • La parole ultime du personnage : dernière réplique, révélation ou silence
  • L’énonciation conclusive dans l’épistolaire : formules de clôture et leurs effets
  • Bouclage et réversibilité : de la boucle infinie
  • Poétique de la circularité et les structures cycliques : finir par le début
  • Herméneutique des ultima verba : interprétation des derniers mots
  • Le début de la fin : le moment où la conclusion s’amorce
  • Les finalités de la fin : buts esthétiques, éthiques et pragmatiques de la clôture

Les propositions de communication, d’une longueur de 400 mots maximum et accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à faire parvenir, avant le 7 février 2026, à l’adresse suivante : doctoralesed3@gmail.com 
Le colloque aura lieu exclusivement en présentiel et en français. Les frais de déplacement et de séjour ne seront pas pris en charge.

Comité d’organisation 

Blanche d’Aubigny 
Adèle Ducanchez 
Chiara Guillot 
Alexander Michalovic 
Mathilde Vallières 
Ilef Zaafrane 

Bibliographie indicative 

  • Aristote, La Poétique, Édition et traduction nouvelles, précédées d'une étude philosophique, par Adolphe Hatzfeld et Médéric Dufour, Lille, Le Bigot frères, 1899.
  • Raphaël Baroni et Jean-Michel Adam (dir.), Narratologie, n° 2, Les frontières du récit, Paris, L’Harmattan, juin 1999.
  • Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, Paris, Gallimard, « Folio », 1988.
  • Michel Braud (dir.), Le Récit sans fin : Poétique du récit non clos, Paris, Classiques Garnier, 2016.
  • Claude Bremond, Logique du récit, Paris, Éditions du Seuil, 1973.  
  • Antoine Compagnon (dir.), Fins de la littérature, Collège de France, en ligne, 9 avril 2021.
  • Umberto Eco, L'œuvre ouverte, Seuil,  « Points », 1979.
  • Monika Fludernik, Towards a ‘Natural Narratology’, Routledge, 1996.
  • Philippe Hamon, « Clausules », Poétique, 24, 1975, p. 495-526.
  • Simona Jișa, Bianca-Livia Bartoș, Gabriella Miron et Yvonne Goga, Incipit et excipit. Une provocation littéraire, Cluj-Napoca, Casa Cărții de Știință, « Romanul francez actual », 2021, p. 115-152.
  • Frank Kermode, The sense of an ending : studies in the theory of fiction with a new epilogue, New York, Oxford University Press, 1967.  
  • Armine Kotin Mortimer, La Clôture narrative, Paris, J. Corti, 1985.
  • Guy Larroux, Le Mot de la fin. La clôture romanesque en question, Paris, Nathan, 1995.  
  • Emmanuelle Prak-Derrington, « Comment finir ? La fin et l’après-la-fin dans les récits de fiction », La Clé des Langues, Lyon, ENS LYON/DGESCO, 2012.
  • Lionel Ruffel, Le Dénouement, Lagrasse, Verdier, 2005.
  • Dominique Viart, Laurent Demanze et al., Fins de la littérature, esthétiques de la fin, tome 1, Paris, Armand Colin, « Recherches », 2012.