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Les écrivains, la langue française et l’idée de nation (1870-1940)

Les écrivains, la langue française et l’idée de nation (1870-1940)

Publié le par Marc Escola (Source : Stéphanie Bertrand)

Du style des idées (II) :

les écrivains, la langue française et l’idée de nation (1870-1940)

Stéphanie Bertrand, Jean-Michel Wittmann

Université de Lorraine – 27-28 juin 2019

 

Dans le cadre des réflexions menées par l’axe 3 du Centre Écritures (EA 3943) sur la construction des identités collectives et les phénomènes de « constructions mémorielles et [de] sacralisation » (COMES), le projet intitulé Du style des idées : nation(alisme) et littérature (1870-1940)  propose de réfléchir à la manière dont, en littérature, dans un contexte marqué par l’affirmation du nationalisme, l’imaginaire de la langue, voire du style, contribue à forger ou à remettre en question l’identité nationale française.

La défaite française de 1870 face à la Prusse et l’annexion de l’Alsace-Moselle ont érigé les réflexions linguistiques au statut de préoccupations nationales, voire nationalistes. Contre Renan, qui estimait qu’« [u]ne nation n’est pas constituée par le fait qu’on parle une même langue[1] », les idéologies nationalistes, à la suite de Barrès notamment, se sont attachées à construire, au contraire, une équivalence entre nation et langue françaises, en particulier sous le signe de la « clarté[2] » et de la « pureté ». Le « classicisme », véritable « mythologie politique » de l’époque, repose alors sur le principe que « le français classique revêt à la fois un caractère éminemment national et des vertus universelles[3][…]. ».

Un premier colloque, organisé à l’Université du Luxembourg les 28 et 29 juin 2018, s’est ainsi interrogé sur l’existence d’un « style nationaliste » dans un corpus littéraire regroupant des écrivains relevant du « nationalisme fermé[4] » (Maurice Barrès et Charles Maurras, auxquels une certaine postérité a souvent ajouté Charles Péguy), mais aussi des romanciers dont l’œuvre reflète des idées et des valeurs proches du nationalisme (tels Paul Bourget, René Bazin et Henry Bordeaux), ou encore des essayistes et pamphlétaires (comme Paul Déroulède et Édouard Drumont), sans oublier la prose des critiques et les revues proches du nationalisme. Une étude du style, de la poétique et/ou de l’imaginaire stylistique a ainsi pu montrer la permanence d’un certain nombre de principes d’écriture, et la portée idéologique de ceux-ci, tout en mettant en évidence les limites de la cohérence de ces imaginaires stylistiques, perceptibles par exemple dans le décalage récurrent entre recommandations théoriques et pratique littéraire, ou dans la prépondérance d’une conception individuelle du style, voire d’une stratégie littéraire propre.

Il s’agit désormais, en s’appuyant sur un empan chronologique et un corpus élargis (1870-1940), de voir plus largement comment les ressources et la représentation linguistiques participent à la construction d’un imaginaire et d’une identité nationale en littérature.

Pistes de réflexion :

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  • La langue française, enjeu du discours et de la représentation dans le roman national(iste)

Entre 1870 et 1940, la langue française occupe une place centrale dans les œuvres romanesques des écrivains, nationalistes a fortiori : les personnages et/ou le narrateur en proposent une représentation qu’il s’agira d’expliciter. Objet de représentations comme de discours, la langue participe volontiers, dans ce cas, d’une définition-célébration du « génie français » ou de l’« esprit français ». Les notions – aussi vagues que potentiellement polémiques – de « race », « civilisation », « esprit national », sont autant de leitmotive dont les enjeux méritent d’être (re)précisés. Dans ce contexte, la réflexion n’oubliera pas les œuvres vouées en leur temps à la célébration des provinces perdues ou de l’empire colonial.

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  • Liens problématiques de la langue française à son histoire

Parallèlement à la représentation dont la langue française fait l’objet dans les œuvres et le discours  littéraires, celle-ci se trouve au cœur des débats qui agitent le milieu littéraire à partir des années 1870 et de manière redoublée dans l’entre-deux-guerres. Le débat sur le statut du latin, la méfiance face à l’apprentissage scolaire de la langue française médiévale, le refus d’entériner certaines évolutions linguistiques : autant d’exemples révélateurs de la portée idéologique des préoccupations linguistiques qui ont agité le milieu littéraire au début du XXe siècle, bien au-delà des écrivains dits nationalistes.

Si les enjeux de la querelle grammaticale des années 1920 sont désormais bien connus[5], on pourra en revanche réfléchir à la manière dont les écrivains de la IIIe République ont évoqué et nourri ces débats tout à la fois linguistiques, lexicologiques et scolaires, et expliciter l’influence de leurs réflexions sur la représentation de la langue française comme image (éventuellement renouvelée) de la nation.

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  • Le français face aux langues étrangères

La définition de la langue française passe aussi par la clarification de son lien – ambivalent et ambigu – aux langues étrangères : « [a]lors que l’exotisme est au centre d’une véritable mode mondaine, et que les cosmopolites fin-de-siècle se gargarisent d’anglicismes, l’introduction de termes étrangers dans la langue française fait débat[6].». Le débat, en effet, est vif entre les partisans de l’enrichissement (tel Paul Adam, qui estime que « [n]otre français s’enrichit de termes anglais, et [que] l’allemand est rempli de vocables empruntés à notre dictionnaire[7] ») et les défenseurs d’une langue « pure » de tout emprunt étranger. On pourra ainsi s’interroger sur la portée idéologique des débats relatifs à l’intégration ou non de termes « étrangers » dans la langue française et, plus largement, sur l’influence de la représentation des langues étrangères dans l’image (figée ou revue) de la langue et de la nation françaises.

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Comité scientifique

Jean-François P. Bonnot, professeur des Universités honoraire, associé au Centre Ecritures, Université de Lorraine  

Stéphane Chaudier, professeur des Universités, Université de Lille III

Sylvie Freyermuth, professeur des Universités, Université du Luxembourg

Emmanuelle Kaës, maître de conférences HDR, Université de Tours

Denis Pernot, professeur des Universités, Université Paris XIII

Gilles Philippe, professeur des Universités, Université de Lausanne

Jean-Michel Wittmann, professeur des Universités, Université de Lorraine

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Les propositions, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer aux deux adresses suivantes, stephanie.bertrand@univ-lorraine.fr  et jean-michel.wittmann@univ-lorraine.fr, avant le 15 novembre 2018.

 

[1]  Renan Ernest, « Des services rendus aux sciences historiques par la philologie » [1904], in Mélanges religieux et historiques. Œuvres complètes, t. VIII, Paris, Calmann-Lévy, 1958, p. 1232.

[2] Parmi les études déjà consacrées au sujet, on pourra citer celle, panoramique, d’Henri Meschonnic :  De la langue française : essai sur une clarté obscure, Paris, Hachette, 1997.

[3] Chaudier Stéphane, « La référence classique dans la prose narrative », in Philippe Gilles et Piat Julien (éds.), La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Paris, Fayard, 2009, p. 319.

[4] Pour reprendre la distinction bien connue proposée par Michel Winock dans Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France ([1982], Paris, Le Seuil, 2014) entre « nationalisme fermé » et « nationalisme ouvert » (p. 11 et suivantes).

[5] Voir à ce sujet Gilles Philippe, Flaubert savait-il écrire ? Une querelle grammaticale (1919-1921), Grenoble, Ellug, « Archives critiques », 2004. 

[6] Al-Matary Sarah, Idéalisme latin et quête de « race » : un imaginaire politique, entre nationalisme et internationalisme : France-Amérique hispanique, 1860-1933, thèse de doctorat soutenue en 2008 à l’Université de Lyon 2 sous la direction de René-Pierre Colin, p. 156.

[7] La Morale de la France, Paris, Librairie moderne, Maurice Bauche éditeur, 1908, p. 48