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Le Collège de Sociologie (1937-1939). Une institution indisciplinée

Le Collège de Sociologie (1937-1939). Une institution indisciplinée

Publié le par Alexandre Gefen

Journée d’études : Le Collège de Sociologie (1937-1939). Une institution indisciplinée

Le 8 juin 2012, EHESS, salle 3, RdC, bât. Le France, 190-198 av de France 75013 Paris.

 

9h00 : Accueil

9h15 : Introduction, Pierre Antoine Fabre (EHESS) et Muriel Pic

(EHESS/Université de Neuchâtel)

 

Matinée (9h30-12h15)

Président de séance : François Trémolières (CARE-CRH/EHESS– Université de Paris Ouest-Nanterre-La-Défense)

 

9h30-10h00 : Le règne animal de l’esprit (Denis Hollier, Université de New-York)

 

10h00-10h30 : Le sacré au Collège : ébauches d’un rituel (Philippe Borgeaud, Université de Genève)

 

10h30-10h45 : pause café

 

10h45-11h15 : La Compagnie de Jésus au Collège de Sociologie

(Pierre Antoine Fabre, CARE-CRH/EHESS)

 

11h15-11h45 : Caillois. La mort aux trousses (Philippe Roger, CRAL/EHESS)

 

11h45-12h15 : discussion générale

 

Après-midi (14h00-18h)

Président de séance : Jean Jamin (LAHIC-IIAC/EHESS)

 

14h00-14h30 : Roger Caillois et l’esthétique des insectes (Laurent Jenny, Université de Genève)

 

14h30-15h00 : L’image du sacré, entre relation sociale et relation

poétique. Leiris et le Collège de Sociologie 

(Dominique Kunz-Westerhoff, Université de Lausanne)

 

15h00-15h30 : Discussion

 

15h30-15h45 : pause café

 

15h45-16h15 : Une sociologie du langage (Martin Rueff, Université

de Genève)

 

16h15-16h45 : Penser au moment du danger. Le Collège et l’Institut de recherche sociale 

(Muriel Pic, FNS-Université de Neuchâtel/EHESS)

 

16h45-17h15 : La colère oubliée

(Georges Didi-Huberman,CEHTA-CRAL/EHESS)

 

17h15-17h45 : discussion générale

 

17h45 : Propositions finales par Vincent Descombes (CESPRA-EHESS)

 

 

Responsables : Pierre-Antoine Fabre (directeur d’études EHESS/CRH-CARE) et Muriel Pic (Chargée de conférence à l’EHESS, chercheur FNS à l’université de Neuchâtel)                    

Argument

                La conférence d’abord obscure [] (les visages autour de moi me plaisent et la salle est charmante tapissée de livres ; dans le fond de belles reliures, des rayons où se balancent quelques livres plus rares, j’ai les coudes dans des livres. On fume à sa guise ; des gens feuillètent même des ouvrages) puis captivante. Bataille, évocation du mardi-gras dans son enfance, sentiment de la peur voluptueuse, les yeux des masques, les chienlits, la petite fille écrasée – son cadavre.

 

Edith Boissonnas, Journal pour moi seule, 21 février 1939, fonds Boissonnas, Bibliothèque Publique et Universitaire de Neuchâtel, ©Unine.

 

 

Entre 1937 et 1939, se sont tenues dans l’arrière salle d’une librairie à Paris un ensemble de conférences animées, principalement, par Georges Bataille, Roger Caillois et Michel Leiris. De ces dernières, nous conservons le dossier magistralement réalisé par Denis Hollier qui réunit documents, notes, témoignages, publications. Sise entre littérature, anthropologie, sociologie politique et religieuse, la communauté du Collège a davantage été l’objet de procès historico-politiques que d’une investigation intellectuelle croisant les disciplines et les points de vue. Dans cette perspective, nous souhaiterions revenir sur les enjeux intellectuels et historiques d’une pensée collective multi-disciplinaire qui, à une époque de tension politique extrême, s’interroge sur les fondements du système social.

 

A l’été 1937, alors qu’il annonce la fondation du Collège de Sociologie et le début de ses activités en octobre, Bataille livre aux lecteurs de la revue Acéphale une « chronique nietzschéenne ». Il y formule le constat d’une crise exigeant de réévaluer la notion même de critique. « L’apogée d’une civilisation est une crise qui désagrège l’existence sociale. […] Les deux sens, passif et actif, du mot critique – mis en question et mettant en question – rendent compte avec une netteté suffisante de l’identification qui doit être faite entre civilisation se développant et crise ». C’est entre la conscience d’un moment critique, le péril, et la volonté d’une pensée critique, l’analyse, que naît le Collège de Sociologie.

Dans les « Notes sur la fondation d’un Collège de Sociologie », signées collectivement, l’entreprise se définit comme un « enseignement théorique sous forme de conférences hebdomadaires ». Il s’agit de former une communauté de pensée qui, malgré bien des aléas quant à son organisation, est une réussite puisqu’elle réunit la fine fleur de l’intelligentsia parisienne de 1937 à la déclaration de guerre. Parmi les premiers signataires, certains disparaîtront rapidement : Pierre Libra et Jules Monnerot ; d’autres demeureront : Georges Bataille, Roger Caillois, Pierre Klossowski ; ou arriveront : Michel Leiris, Jean Paulhan.

La pérennité des conférences n’est pas toujours assurée par La NRF de Paulhan, pourtant organe éditorial de la rue Gay-Lussac. Ici, rien n’est systématique, l’aléatoire prime, on prend le risque de l’oralité, de la parole échangée. La communauté s’établit grâce à la transmission non écrite de la pensée, et s’avère tenue par une force charismatique qui n’est pas celle d’un individu mais d’un groupe, d’une oralité en acte. Ainsi, ce qui, à chaque évènement, produit la communauté est justement ce que le Collège défini comme sacré : ce qui échappe à l’institution sociale et politique, et s’avère négligé par la science. « Tout un côté de la vie collective moderne, son aspect le plus grave, ses couches profondes, échappe à l’intelligence ». Tel est l’objet, nommé plus tard « non-savoir » par Bataille, que se propose d’analyser une « sociologie sacrée ». Non pas sociologie du sacré mais bien une sociologie sacrée car elle est tout à la fois une analyse et une performance de la notion qu’elle définit.

 

Le mot d’ordre du Collège semble bien être « l’imprudence comme méthode », selon l’expression de celui qui sera l’auteur de La Formation de l’esprit scientifique. Denis Hollier fait bien de rappeler l’importance pour le Collège du texte que Gaston Bachelard signe en 1936, « Le surrationalisme », dans l’unique numéro de la revue publiée alors par Caillois, Inquisitions. Il y est question d’une véritable économie de la prise de risque : « Si dans une expérience, on ne joue pas sa raison, cette expérience ne vaut pas la peine d’être tentée. Le risque de la raison doit être total. » Se risquer à une autocritique de la raison, Theodor W. Adorno estimera en 1949 que cela aurait dû être fait. Et c’est d’ailleurs avec curiosité et méfiance que, depuis l’autre côté de l’Atlantique, l’éminent représentant d’une école sociologique allemande, cherchant elle aussi à élaborer une « théorie critique », et représentée par la fameuse revue Die Zeitschrift für Sozialforschung, se renseigne sur les activités du Collège par l’intermédiaire de Walter Benjamin.

La confrontation entre le Collège de Sociologie et les positions politiques et intellectuelles de la Théorie critique permet de rendre compte de l’une des spécificités de l’orientation du premier : instaurer le sacré comme instrument critique en référence à Durkheim et Mauss, principalement. C’est en effet à partir des travaux de ces derniers que le Collège va interroger la validité d’une analyse anthropologique de l’actualité politique qui est celle d’une menace de la démocratie. Bien plutôt que de manifestes, le Collège semble soucieux, dans le programme de ses conférences, de redonner au geste de l’analyse la force d’un décalage critique en discutant la pertinence du concept de « sacré » face aux évènements de la société contemporaine. Ce dernier, replacé dans la sphère anthropologique, n’est pas un fétiche historiographique qui situerait le mythe en amont de toutes réalités sociales ; il est bien plutôt ce qui pense d’une société la préhistoire ou l’histoire originaire, c’est-à-dire ce qui l’interroge du point de vue de ses paradoxes, de ses antithèses, de ses tabous, et non du point de vue de son évolution. Rendre opératoire la notion anthropologique de « sacré » pour analyser l’actualité, c’est, d’une part, militer pour le point de vue du « primitif » et la frénésie des formes, comme déjà Leiris et Bataille dans la revue Documents (1929-1930), afin de déconditionner notre regard et dénoncer une nouvelle forme de « barbarie » ; mais, d’autre part, c’est aussi, en un geste critique, rendre compte de l’impuissance du système démocratique à faire son autocritique. En l’occurrence, le sacré, défini par les ethnologues de l’époque comme coïncidentia oppositorum, s’avère être un concept cristallisant les contradictions du système social au moment où la transgression des valeurs démocratiques est générale. Le Collège ne représente-t-il pas alors une tentative, à l’heure des régimes totalitaires, de réaliser une autocritique de la démocratie comme résistance au fascisme ?

 

Il s’agira donc d’interroger l’articulation problématique entre posture politique et intellectuelle au sein du Collège mais aussi de définir les enjeux d’une « sociologie sacrée » : quel rapport entretient-elle avec la sociologie proprement dite ? Que recouvre ici le terme de « sacré » ? Quel est le rôle de la littérature dans cette volonté critique ? Comment le Collège interroge-t-il la validité d’une analyse anthropologique de l’actualité politique ? Quelle sera l’influence postérieure du Collège sur l’identité politique des intellectuels ?