
Colloque international organisé sous l’égide du Séminaire de géocritique de
l’Institut Universitaire de France
Les 25 et 26 septembre 2025, à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l’Université de Limoges
Né en janvier 1925, Gilles Deleuze aurait aujourd’hui cent ans. Si sa vie fut brève, son œuvre — pensée en collaboration avec Félix Guattari — continue de nourrir un large éventail de disciplines. Plus qu’un nom, « Deleuze » est devenu le symbole d’une pensée libre, poétique, tournée vers l’ailleurs. Philosophe par essence, épaulé dès ses débuts par un psychanalyste, Félix Guattari, il a élargi les frontières de la philosophie en l’ouvrant à ses « dehors » : vers des modes d’existence inédits, une logique du « et... et », et une géophilosophie nomade capable de reformuler nos épistémologies.
L’œuvre de Deleuze et Guattari a profondément marqué les sciences humaines et sociales, les arts, la littérature, en introduisant des concepts devenus centraux tels que devenir, relation, rhizome ou ligne de fuite. Leurs « territoires nomades » ont transformé des disciplines aussi diverses que la géographie, la sémiotique, les études littéraires ou artistiques, stimulant encore aujourd’hui écrivains, artistes, cinéastes… Si certaines déterritorialisations ont pu paraître inattendues — jusqu’à se retrouver dans le langage administratif — il reste plus fécond d’interroger les multiples reterritorialisations que la pensée deleuzienne a rendues possibles.
Parmi ces prolongements, la géophilosophie — dans son articulation au « tournant spatial » des années 1970 — a joué un rôle déterminant. D’abord formulée dans L’Anti-Œdipe (1972), puis développée dans Mille Plateaux (1980) et Qu’est-ce que la philosophie ? (1991), elle a contribué à déplacer la philosophie d’un ancrage historiciste vers une pensée résolument spatiale. Ce déplacement s’inscrit dans un contexte plus large, où les déclinaisons du préfixe géo- se sont multipliées : géohistoire (Braudel), géopoétique (Kenneth White), psychogéographie situationniste (Debord), et bien sûr géocritique (Westphal). La géophilosophie de Deleuze et Guattari a inspiré des lectures variées, comme celles de Massimo Cacciari ou de Luisa Bonesio, dans une perspective plus environnementale. D’autres approches spatiales ont émergé en parallèle, comme celle de Henri Lefebvre (La Production de l’espace, 1974), qui influença notamment Edward Soja ou Doreen Massey, pionnière d’une géographie genrée. Ces courants forment aujourd’hui un rhizome d’influences croisées, sans début ni fin clairement discernables — à l’image même du concept deleuzien.
Dans La Géocritique. Réel, fiction, espace (Minuit 2007, 92), Bertrand Westphal écrit : « Le territoire existe-t-il seulement, qui est stase spatio-temporelle ? Ne vaudrait-il pas mieux invoquer une ”dialectique territoriale“, qui ne se conçoit autrement que dans une dynamique, dans le perpetuum mobile, dans la responsabilité qui accompagne tout mouvement ? La géophilosophie a formulé cette question et a tenté d’y apporter des réponses. Peut-être est-ce par ce biais qu’elle a marqué de manière décisive le passage d’une philosophie historicisante à une philosophie spatialisante, le concept de progrès temporel cédant devant celui de déterritorialisation spatiale. »
C’est à partir de ce constat que ce colloque international invite à relancer la réflexion : Comment penser aujourd’hui la mobilité des représentations spatiales ? Comment appréhender la reconfiguration dynamique du territoire, l’entre-deux comme espace productif, ou les nouvelles formes de territorialisation dans les arts, les littératures ou les pratiques critiques ? Quel est, encore aujourd’hui, l’apport de Deleuze et Guattari dans notre perception du phénomène spatial, au croisement entre géocritique, géophilosophie, sciences humaines et approches fictionnelles ? Philosophie, théorie littéraire, critique spatiale, arts visuels ou vivants, études culturelles ou environnementales — autant de domaines invités à nourrir cette réflexion. En ces temps de mutations géopolitiques, écologiques et symboliques, il s’agit d’explorer comment la pensée deleuzo-guattarienne nous aide à repenser nos ancrages, nos déplacements, et nos devenirs.
Comité scientifique et comité d’organisation
Bertrand WESTPHAL (Institut Universitaire de France & Université de Limoges)
Timea GYIMESI (Université de Szeged, Hongrie)
Yvan CHASSON (Université de Limoges)
Programme
Jeudi 25 septembre
Salle D005
14h
- Ouverture
14h30-16h
- Timea Gyimesi (Université de Szeged, Hongrie), Deleuze et les devenirs de la littérature : pour un épaississement du monde
- Juliane Rouassi (Chercheuse associée EHIC), Désirs et visages: entre une géocritique des marges et une géophilosophie de la rencontre
- Johannes Dahm (Université de Nantes), Quelques perspectives linguistico-cognitives sur l'approche géocritique
16h30-17h
- Clément Lévy (Freie Universität Berlin), Sur la route avec Deleuze et Guattari
- Yvan Chasson (Université de Limoges), Savoir défaire le monde par la cartographie
Vendredi 26 septembre
Salle D005
9h30-11h
- Josep Samuel Marqués Meseguer (Université de Saragosse), Regards sur la mer dans la littérature française, catalane et l’art contemporain
- Laurence Dahan Gaida (Université de Franche-Comté), L’héritage naturaliste de Deleuze et Guattari : quelle écologie pour la géocritique ?
- Manola Antonioli (École Nationale Supérieure d’Architecture Paris-La Villette), La « géologie de la morale » dans Mille plateaux
11h30-12h30
- François Coadou (École Nationale Supérieure d’Art et de Design Limoges), Espèces d’espaces : Deleuze-Guattari ou Lefebvre ?
- Alessandro Zinna (Université Toulouse 2 Jean-Jaurès), Oublier Deleuze
14h15-15h45
- Magali Nachtergael (Université Bordeaux Montaigne), Techno-hétérotopies : poésie, espace numérique et géocritique
- Didier Tsala Effa (Université de Limoges), Géolocalisation et lignes de fuite : de Perec au GPS
- Isabelle Ost (Université catholique de Louvain), Du regard cartographique. Approche géophilosophique des rapports entre littérature et cartographie
16h15-17h15
- Judit Karácsonyi (Université de Szeged), Quand la littérature écrit l’espace du cinéma : Le cas de la novellisation contemporaine française
- Bertrand Westphal (IUF & Université de Limoges), Deleuze et la profondeur de l'espace
17h15
- Clôture