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Journée d'études : "Désir, consentement et violences sexuelles dans la littérature du XIXe siècle" (Paris 3)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Lucie Nizard et Anne Grand d'Esnon)

Désir, consentement et violences sexuelles dans la littérature du XIXe siècle (Paris 3)

 

Le 17 juin 2019

Maison de la Recherche de Paris 3, salle Claude Simon

 

PRÉSENTATION

Après avoir entrepris lors d’une première journée d’étude de circonscrire les notions complexes de désir, de consentement de violences sexuelles dans le champ de la littérature et d’affronter les enjeux méthodologiques et théoriques qu’elles soulèvent, nous souhaiterions lors d’une seconde journée d’étude appliquer et prolonger ces réflexions à la période du long XIXe siècle.

La Révolution marque un tournant dans les représentations des violences sexuelles. Les dommages psychiques sont petit à petit pris en compte, et le viol devient au cours du siècle, selon la formule de Georges Vigarello, « toujours plus une blessure et toujours moins un larcin[i]. » Ces évolutions se traduisent notamment par l’inscription du viol et de l’attentat à la pudeur dans le Code pénal de 1810[ii], qui prévoit une peine de réclusion pour les auteurs de violences sexuelles. La seconde moitié du siècle voit la naissance de la médecine légale, mais aussi de la psychologie, qui toutes deux portent une attention de plus en plus marquée aux victimes de violences sexuelles. Cependant, le viol d’une femme adulte reste rarement pris au sérieux dans les procès du XIXe siècle, comme le rappelle Anne-Marie Sohn : « Autant la violence sur les enfants, voire les adolescentes, suscite la réprobation publique, autant la violence envers des femmes adultes est absoute, assimilée à un rituel de séduction normal dans la jeunesse. Les enquêteurs ne sont pas loin de penser que les victimes ont été provocantes et, dans ce cas, qu’elles sont responsables des espoirs qu’elles ont fait naître, ou bien qu’elles sont à demi consentantes[iii]. » Le viol reste principalement perçu comme un crime monstrueux et archaïque ; seuls les viols d’enfants, les viols suivis de tentatives de meurtre ou de mutilations spectaculaires, les viols entre des membres de classes sociales très hétérogènes, ou encore les incestes, semblent être perçus comme de véritables viols.

La littérature du XIXe siècle soulève un paradoxe analogue : la presse s’empare des viols les plus effroyables pour en faire la matière de faits divers scandaleux, et la littérature fictionnelle se saisit parallèlement de cette figure du violeur[iv], faisant naître un imaginaire du viol propre au XIXe siècle. Au moment de l’émergence de nouvelles normes bourgeoises qui valorisent l’univers domestique, opposant sphère publique et sphère privée, cette figure du violeur est celle de l’intrus ou de l’inconnu qui pénètre par effraction dans l’intérieur bourgeois. Dans le même temps, nombre de textes mettent en scène des interactions sexuelles, conjugales ou extra-conjugales, obtenues par la contrainte, dans lesquelles le consentement des femmes adultes est balayé, sans s’inscrire aussi nettement dans un régime de représentation d’altérisation de l’agresseur[v]. Ces récits ont pour intertexte la littérature libertine du XVIIIe siècle, peuplée de personnages de fausses prudes qui joueraient une « comédie du viol » légère et badine pour accéder au plaisir sans compromettre leur réputation usurpée de vertu.

En partant, en réception, de ce que nous percevons aujourd’hui comme des violences sexuelles du XIXe siècle, nous sommes donc confronté·e·s à des modalités de représentation particulièrement diverses et paradoxales, qui oscillent en particulier entre le pôle d’un imaginaire monstrueux du viol et celui d’une « comédie du viol », sans qu’il soit toujours simple de dire lesquels de ces récits racontaient un viol ou un attentat à la pudeur aux yeux de lecteurs et lectrices d’un XIXe siècle qui commence à penser les traumatismes de nature sexuelle et à prendre en compte leurs victimes. Dans la continuité de notre première journée d’étude, le parti-pris d’un point de départ conceptuel contemporain nous obligera à interroger les modalités de représentations textuelles des violences sexuelles, la variété de leurs significations et les paradoxes de leurs réceptions à partir d’un corpus large, afin de saisir les ambiguïtés et les nuances d’une littérature dont les rapports complexes à la réalité sont fortement reconfigurés au XIXe siècle.

 

AXES

Nous proposons d’interroger le problème du consentement et des violences sexuelles dans les textes littéraires du XIXe siècle à travers trois grands axes majeurs :

Une perspective sociocritique : sans présenter la littérature comme le strict reflet de la réalité, nous pourrons mener une enquête à la croisée de l’histoire des mentalités et de la littérature sur la question de la possibilité du consentement et la perception des violences sexuelles au XIXe siècle. Le viol comme motif et ressource narrative : dans de nombreux romans naturalistes, le viol de l’héroïne adolescente est la cause d’un détraquement sexuel qui détermine son destin (Germinie Lacerteux, Renée dans La Curée, Madeleine Férat et tant d’autres). Nous interrogerons l’évolution au XIXe siècle et la cristallisation de certains emplois narratifs et symboliques du motif du viol. Genres, esthétiques et registres dans les représentations de violences sexuelles : comment varient précisément les approches et les significations du consentement et des violences sexuelles ? L’on pourra s’intéresser en particulier aux différences de traitement des violences sexuelles en registre comique et en registre pathétique.

Pour aborder ces problèmes, nous souhaiterions rassembler des interventions axées sur l’analyse des notions de désir, de consentement et de violences sexuelles dans les représentations du XIXe siècle : la littérature bien sûr, mais également l’histoire et l’histoire de l’art peuvent être convoquées.

 

BIBLIOGRAPHIE

Angenot, Marc, Le cru et le faisandé. Sexe, discours social et littérature à la Belle-Epoque, Bruxelles, Labor, 1986.

Corbin, Alain, L’Harmonie des plaisirs, les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avènement de la sexologie, Paris, Perrin, 2008.

Glaudes, Pierre, « Le viol de Sébastien. À propos de Sébastien Roch d’Octave Mirbeau », Tangences n°114, 2017, p.79-100.

Hamon, Philippe et Viboud, Alexandrine, Dictionnaire thématique du roman de moeurs en France (1814-1914), Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2008.

Kerlouégan, François, Ce fatal excès du désir, Poétique du corps romantique, Paris, Champion, 2006.

Mesch, Rachel, The Hysteric’s Revenge. French women writers at the fin de siècle, Nashville, Vanderbilt University Press, 2003.

Mortas, Pauline, Une rose épineuse. La défloration au XIXe siècle en France, Paris, PUR, 2017.

Muller, Caroline, La direction de conscience au XIXe siècle (France, 1850-1914). Contribution à l’histoire du genre et du fait religieux, thèse de doctorat soutenue à Université Lumière Lyon 2, 2017.

Muller, Caroline, « Retirer les guillemets. À propos de l’étude du viol conjugal et du nécessaire anachronisme », https://consciences.hypotheses.org/768.

Pierre, Chantal, « Viols naturalistes : ‘commune histoire’ ou ‘épouvantable aventure’ ? », Tangences n°114, 2017, p.61-78.

Sielke, Sabine, Reading rape: the rhetoric of sexual violence in American literature and culture, 1790-1990, Princeton, Princeton University Press, 2002.

Sohn, Anne-Marie, Chrysalides. Femmes dans la vie privée XIX-XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996.

Sohn, Anne-Marie, Du premier baiser à l’alcôve. La sexualité des Français au quotidien (1850-1950), Paris, Aubier, 1996.

Vigarello, Georges, Histoire du viol, XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998.

 

PROPOSITIONS

Les propositions de communication comprenant un résumé d’environ 300 mots ainsi qu'une courte bibliographie sont à envoyer avant le 22 mars 2019 à l’adresse suivante : desiretconsentement@gmail.com

Les réponses seront envoyées le 8 avril.

La journée d’étude aura lieu le lundi 17 juin 2019 à la Maison de la Recherche de Paris 3.

Les communications pourront donner lieu à une publication en ligne.

Responsables : 

Organisation : Anne Grand d'Esnon (doctorante à l’université de Bourgogne Franche-Comté) et Lucie Nizard (doctorante à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle).

Avec le soutien du séminaire des doctorants du CRP19, laboratoire dirigé par Henri Scepi, et de l’ED120.

Sous la direction d’Éléonore Reverzy.

Notes :

[i] Georges Vigarello, Histoire du viol : XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, p. 104.

[ii] Voir l’article 331 du Code des délits et des peines, dans le chapitre « Crimes et délits contre les personnes », dans la section IV « Attentats aux mœurs » : « quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou de l’autre sexe, sera puni de la réclusion ».

[iii] Anne-Marie Sohn, Du premier baiser à l’alcôve. La sexualité des Français au quotidien (1850-1950), Paris, Aubier, 1996, p. 305.

[iv] À propos de la circulation des représentations du viol et de la figure du violeur entre la presse et la littérature naturaliste, voir Chantal Pierre, « Viols naturalistes : "commune histoire" ou "épouvantable aventure" ? », Tangences n°114, 2017, p. 61-78.

[v] Voir à propos de cette dynamique d’altérisation dans la construction de la figure du violeur les travaux de Sabine Sielke sur la « rhétorique du viol » dans la littérature américaine (Sabine Sielke, Reading rape: the rhetoric of sexual violence in American literature and culture, 1790-1990, Princeton, Princeton University Press, 2002).