La philosophie et l’esthétique n’échappent pas aux transferts culturels. Au moyen de divers truchements – mot à entendre dans toutes ses acceptions –, le savoir passe de main en main par l’enseignement, les rencontres savantes, l’édition et la traduction. Rien que très banal, dira-t-on, depuis le sauvetage arabe de la philosophie grecque. Certes. Il existe fort heureusement une actualité de ces passages. Grâce notamment à Willard V. O. Quine, infatigable intermédiaire des années 1930, la philosophie américaine fut singulièrement réactivée par l’afflux des exilés européens. Plus proche de nous, et cette fois-ci par une forme de double transfert, la pensée de Stanley Cavell (1926-2018) n’a cessé – après un long temps de méconnaissance – d’irriguer la philosophie en Europe, et plus particulièrement en France. Les travaux fondateurs de Sandra Laugier ont ouvert un espace d’échanges ininterrompus et notablement favorisés par le singulier dialogue établi par le philosophe américain et la critique cinématographique française. À commencer par La Projection du monde (1971 et 1979, trad. fr. en 1999) et À la recherche du bonheur (1981, trad. fr. en 1993), les ouvrages de Stanley Cavell consacrés au cinéma ont permis de comprendre l’importance philosophique d’un art populaire. Si Cavell est initialement redevable à l’essai d’Erwin Panofsky (« Style et matière du septième art », dont la première traduction par Dominique Noguez a été publiée en 1978 dans la Revue d’esthétique), il entre d’emblée en conversation avec un discours français qui, lui aussi, établit l’importance du cinéma et lui confère une légitimité en prenant au sérieux ses manifestations ordinaires. À partir de la traduction en 1993 du livre consacré à la comédie du remariage, ce discours va gagner en intensité et, par-delà les critiques et les philosophes, devenir une ressource commune pour les amateurs, les cinéphiles et jusqu’aux cinéastes (les frères Dardenne et Arnaud Desplechin témoigneront de leur dette).
Si le plafond de verre a cédé et si une juste notoriété a consacré le travail inlassable de Cavell, il serait quelque peu périlleux de s’en tenir au seul cinéma et au moment de cette première célébrité hexagonale. Le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne ont montré à des degrés divers un intérêt particulier à tous les aspects d’une philosophie aux multiples facettes : le Wittgenstein des Recherches philosophiques, la philosophie du langage ordinaire, le transcendantalisme américain, la littérature, la musique, l’opéra… Le dialogue transatlantique a gagné du terrain en extension comme en compréhension, en n’oubliant jamais la dimension initialement esthétique d’un propos : Dire et vouloir dire, le premier livre publié par Cavell en 1969 (sous le titre Must We Mean What We Say ?), réunissait des textes consacrés à Wittgenstein ou à Austin, mais tout aussi bien à la musique contemporaine, à Samuel Beckett ou au Kant de la Critique de la faculté de juger. L’ensemble de ces relations mérite d’autant plus une évaluation que de nouveaux enjeux (la relation à la philosophie de Gilles Deleuze, pour ne citer que le plus spectaculaire) ont désormais fait évoluer la réception de Cavell des deux côtés de l’Atlantique. Le numéro « Transatlantique Cavell » de la Nouvelle Revue d’Esthétique donnera ainsi dans son sommaire la priorité aux sujets suivants :
– Problèmes topiques : relations franco-américaines à partir de la pensée de Cavell ; importance du cinéma américain dans la critique et la philosophie françaises ; reconnaissance des nouveaux enjeux du transcendantalisme américain dans leur réception française et européenne (politique, société, littérature, poésie, arts) ; importance de la pensée de Cavell dans différents pays européens ; traduire Cavell.
– Questions esthétiques : Cavell et le cinéma ; Cavell et les séries ; importance de Panofsky dans la structuration de la pensée du cinéma de Cavell ; dialogue Cavell-Deleuze en philosophie du cinéma ; Cavell et la littérature européenne ; Cavell et Shakespeare ; la voix (cinéma, opéra) ; musique populaire/musique savante ; thématiques de l’ordinaire et de la perte ; l’ordinaire et les arts
– Déploiement philosophique : Situation de l’Amérique ; Cavell et l’Europe ; agôn Europe-États-Unis dans la philosophie cavellienne ; les formes du bonheur ; les enjeux philosophiques de la conversation ; la « vérité du scepticisme ».
Ces indications ne fournissent en aucune manière le plan du sommaire ; et les frontières se révèlent d’évidence poreuses entre les trois champs présentés ; la seule contrainte réside dans la nécessité d’aborder le dialogue transatlantique.
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Les propositions d’article pour ce n° 38 de la Nouvelle Revue d’Esthétique seront envoyées par mail au format Word avant le 15 mai 2026 à :
Marc Cerisuelo (mcerise@wanadoo.fr) et Dominique Chateau (chateaudominique@mac.com)
Pour tout renseignement complémentaire sur l’appel s’adresser à Marc Cerisuelo.
Plus précisément, l’envoi comprendra :
· le texte d’un article de (environ) 25000 signes, espaces compris, sans compter les notes – en nombre le plus restreint possible, limitées à l’indication des références ;
· un résumé de 300 mots maximum en français et en anglais ;
· une présentation succincte de l’auteur(e) ou des auteur(e)s de 100 mots maximum.
Les articles reçus pour cette rubrique « Études » seront anonymés en vue d’une double évaluation par le comité de rédaction de la Nouvelle Revue d’Esthétique. À l’issue de cette expertise, les auteur(e)s des propositions recevront l’avis du comité éventuellement assorti de remarques.
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Composition du comité de rédaction :
Céline Bonicco-Donato, Marc Cerisuelo, Dominique Chateau, Alexandre Gefen, Marianne
Massin, Jacques Morizot, Pauline Nadrigny, Audrey Rieber, Jean-Marie Schaeffer, Bernard
Sève, Carole Talon-Hugon, Bernard Vouilloux.