Essai
Nouvelle parution
Guillaume Peureux, Poèmes dans la rue. Après les tueries du 13 novembre 2015

Guillaume Peureux, Poèmes dans la rue. Après les tueries du 13 novembre 2015

Publié le par Université de Lausanne

À la suite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis, de nombreuses personnes ont déposé à proximité des différents lieux de massacres des objets, des images et des textes. Les écrits exposés en ces lieux sont le plus souvent très brefs. Les plus complexes d’entre eux sont des poèmes. On en décompte plus de deux cents.

Ces écrits participent à un effort collectif de symbolisation des événements et des sentiments qu’ils ont produits, afin de les fixer pour la mémoire collective ; ils permettent de s’approprier le temps et les événements. Cette irruption de poèmes fugitifs dans l’espace urbain interroge : la poésie n’est pas, pour ainsi dire, à sa place, la rue n’en favorise guère la consommation.

Cet ensemble de poèmes produits dans l’urgence des circonstances s’inscrit en fait dans une histoire des formes et des pratiques de l’écriture poétique qui remonte aux siècles classiques et qui s’origine dans les usages les plus anciens de la poésie.

Lire sur Fabula un extrait de l'introduction…

Guillaume Peureux est professeur de littérature française à l’université de Paris Nanterre. Spécialiste de poésie, il est l’auteur de La Muse satyrique (1600-1622) (Droz, 2014), de La Fabrique du vers (Seuil, coll. "Poétique", 2009) et de De main en main. Poèmes, poètes et lecteurs au xviie siècle (Hermann, 2021), dont Fabula a proposé des extraits ou donné des comptes rendus.

Sommaire

Introduction. Poésie urbaine en temps de crise

Une intention poétique

Pourquoi des poèmes ?

Chapitre I. La poésie visible

Travail de la visualité

Des poèmes exposés

Une lisibilité augmentée

Une symbolique nationale

Le lecteur spectateur

Chapitre II. Poésie en urgence

Entre appropriations et anomalies signifiantes

L’ombre de la poésie classique

Faire sens par l’anomalie

Le domaine du vers libre

Donner forme aux affects

Raconter

Mettre en partage les émotions

Dire les choses

Une poésie attendue

Chapitre III. Poésie de la tribu

Solennité du poème

Des vers pour des rites

Les pouvoirs de la poésie

Une expérience transnationale

Hymne et devise nationales

Aux couleurs du drapeau, au son de « La Marseillaise »

L’oubli de l’égalité et le récit commun

La poésie comme lieu commun

Des références scolaires

Des références populaires et commerciales

Sous l’injonction de la situation

Chapitre IV. « Qu’importe qui parle »

Une énonciation collective

Dilution de la figure de l’auteur

Du « je » au « nous »

Anaphores

Lister l’ordinaire

Porte-parole

Dissociation énonciative

Se dire par la typographie

Reconstituer des espaces publics ?

Le mémorial comme espace de publication

Arrêter les passants : c’est ici que cela s’est passé

Gommer le temps qui passe

Poésie des anonymes

Conclusion. La poésie qui advient

Une poésie chorale

Actions poétiques

Circonstance, commande et engagement

Une poésie officielle et sans mandat

Extrait :

La poésie des tueries du 13 novembre 2015 fait ressortir les caractéristiques fondamentales de ce que peut être une écriture de circonstance : sa proximité avec l’événement ; sa puissance performative espérée ainsi que les vertus sociales et politiques qui lui sont reconnues ; et enfin la posture dans laquelle se trouve alors le poète, qui parle en son nom et en celui d’une communauté – un quartier, une ville, une nation, l’humanité. Un poème intitulé « Ma France ma liberté chérie » est daté du 13 novembre 2015, le jour même des tueries. Son auteur y invente une victime emblématique (jeune et française) qui porte une parole pour chaque victime et qui s’adresse notamment à la France :

Comme tu es belle aujourd’hui

Dans ce brouillard du matin

Au loin je te vois encore

Je t’entends tu es ma force

Même si je ne suis plus là.

Adieu ma France toi qui m’a tout appris

Je te souris, je t’aime je te caresse du regard

Je ne t’oublierai jamais. […]

Dans ma Vie courte j’ai tout donné de ma

Jeunesse, le chemin s’arrête là maintenant, j’aurais

Aimé vous dire plus longtemps combien je vous aime.

Je vous quitte, je vous aime, promettez-moi

De ne pas m’oublier.

Adieu papa, adieu maman, adieu mes petits Frères et sœurs

Mes Amis, Adieu ma France tant aimée.