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"Ecritures mélomanes : traduire les émotions musicales" (Gênes)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Marie Gaboriaud)

"Ecritures mélomanes : traduire les émotions musicales"

Colloque organisé par le groupe de travail “Intermédialité et intersémiose”  (Do.Ri.F) dirigé par Elisa Bricco et Licia Reggiani

Date et lieu du colloque : 29-30 juin 2020, Université de Gênes (Italie)

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Argumentaire :

Au sein de l’étude des interconnexions artistiques, l’étude des liens entre littérature et musique est souvent laissée de côté par les chercheurs car considérée comme trop technique, alors que chacun estime être à même de “lire” un tableau, une photographie ou un film. Pourtant, la musique est partie intégrante de notre existence et ses formes multiples, notamment la chanson, sont l’objet d’études bien développées. Nous proposons de nous tourner vers les écrits sur la musique qui, par leur diversité et par ce qu’ils nous disent du contexte qui les a vu naître, méritent aussi l’attention des critiques, des linguistes et des philologues. En France, ces travaux jouissent déjà d’un intérêt des chercheurs depuis plusieurs décennies. Une somme de plusieurs volumes doit notamment paraître prochainement aux Presses Universitaires de Rennes sur la critique musicale, fruit du programme international “La critique musicale au XXe siècle”. 

Notre projet vise l’étude des formes de la musicographie, et plus particulièrement la façon dont l’écriture traduit et transpose les émotions provoquées par la musique. En effet, la mélomanie et la question de l’émotion musicale forment le nœud d’un paradoxe : s’il semble évident que le désir d’écrire sur la musique découle d’un plaisir de l’écoute, et d’une mélomanie plus ou moins affirmée, la critique musicale, depuis le début du XXe siècle, s’est pourtant montrée très méfiante envers le langage des sentiments et des émotions subjectives. A cette méfiance institutionnelle s’ajoute une difficulté : la question de l’”émotion musicale” est complexe, car le rapport de la musique aux émotions s’est profondément modifié à travers le temps. Si la musique ancienne s’appuyait sur une grille pré-établie des liens entre formes musicales et affects, le romantisme a au contraire élargi le spectre à toutes les émotions individuelles, les rendant fluides et impossibles à cartographier. Le XXe siècle moderniste, quant à lui, a souvent tenté d’éliminer la possibilité de l’empathie des œuvres, au profit d’une attention accrue à la forme.  

Ici, la notion d’écoute s’avère indispensable à intégrer et à étudier, pour être “à l’écoute de l’écoute”. En quoi consiste l’expérience auditive et pourquoi déclenche-t-elle chez les mélomanes un désir d’écriture? Cette écriture se pense-t-elle sur le mode de la transposition, de la transformation? Quel lien le texte produit entretient-il avec la musique qui l’a provoqué? Par ailleurs, les émotions produites par la musique sont-elles assimilables aux émotions communes, ou parle-t-on d’un type d’émotion particulier, qui ne pourrait être provoqué que par elle? 

Enfin, la fonction sociale que revêtent la mélomanie et l’expression de l’émotion musicale serait tout aussi intéressante à étudier. Un essai américain qui vient d’être traduit et publié en France, Anatomie de la folle lyrique (Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, 1993), interroge le présupposé lien privilégié entre les homosexuels et la mélomanie, et plus largement les mécanismes particuliers de l’amour fou pour l’opéra – dans sa dimension personnelle, charnelle, ou identitaire. Une réflexion analogue, sur d’autres types de mélomanie, serait à mener. Qu’en est-il également des “émotions collectives” provoquées par un hymne patriotique, un chant partisan, une marche, etc., et relevant de l'ethos d'un peuple, d'une communauté, ou d'un groupe social? Comment ces émotions se disent-elles dans les discours sur la musique?

Le projet est interdisciplinaire et les propositions de différentes disciplines sont les bienvenues, notamment la littérature, la musicologie, la linguistique, la traductologie, l’histoire, la philosophie, les sciences cognitives. Toutefois, l’accent doit porter sur la réception de - et les discours sur - la musique, et non sur la façon dont la musique elle-même tente de transmettre les émotions.

Outre les questionnements suggérés dans l’argumentaire, on pourra par exemple s’attacher aux axes d’études suivants :

  • diversité d’expression (langagière, générique, formelle) de l’émotion musicale et de la mélomanie;
  • étude linguistique du langage des émotions musicales tel qu’il s’exprime dans les textes musicographiques;
  • phénoménologie de l’écoute: que se passe-t-il entre l’expérience auditive et sa transcription littéraire ou langagière? 
  • modalités de transformations linguistiques et littéraires de l’écoute musicale, et notamment de l’écoute intérieure: comment l’écriture reconfigure-t-elle l’expérience auditive, comment reconstruit-elle l’émotion ressentie? 
  • étude de la position de l’auteur “musicographe” dans le champ musical (praticiens, critiques et dilettantes de la musique). Cette position ne va presque jamais de soi, le musicographe étant sans cesse accusé de trop de technicité ou de trop de “littérarité”, que ce reproche recouvre la tendance à la métaphore, l’utilisation d’un lexique des émotions, ou autre ; 
  • articulation entre mélomanie et mélophobie;
  • place de l’émotion dans le lexique musical;
  • traductologie des textes musicographiques.

Différents corpus sont envisageables : critique (presse, radio, web), fiction (roman, récit, autobiographie, autofiction), essais (monographies, biographies) mais seront privilégiées les approches non-monographiques et fortement contextualisées. 

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Calendrier :

Les propositions de communication (300 mots), accompagnées d’une brève bio-bibliographie, doivent être envoyées avant le 15 décembre 2019 simultanément à elisa.bricco@unige.it et marie.gaboriaud@gmail.com.

Les réponses seront notifiées aux participants à partir du 1er février 2020.

Le colloque aura lieu à Gênes les 29 et 30 juin 2020.

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Comité organisateur :

Elisa Bricco (Università degli studi di Genova)
Serena Cello (Università degli studi di Genova)
Giulia D'Andrea (Università del Salento)
Bruna Donatelli (Università Roma Tre)
Nicola Ferrari (Università degli studi di Genova)
Marie Gaboriaud (Università degli studi di Genova)
Licia Reggiani (Università di Bologna)
Chiara Rolla (Università degli studi di Genova)
Laura Santone (Università Roma Tre)
Loredana Trovato (Università degli Studi di Enna "Kore")

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Bibliographie :

AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane, Buch, Esteban, Chimènes, Myriam et Durosoir, Georgie (dir.), La Grande Guerre des musiciens, Lyon, Symétrie, 2009 

BACKES, Jean-Louis, Musique et littérature. Essai de poétique comparée, Paris, P.U.F., 1994.  

BAILBE, Joseph-Marc (dir.), La Critique artistique, un genre littéraire, Centre d'art esthétique et littérature, Paris, P.U.F., Publications de l'université de Rouen, 1983 

BANVILLE, Théodore de, Critique littéraire, artistique et musicale choisie, Tome 1, Paris, Champion, 2003. 

DONATELLI, Bruna (dir.), Flaubert en musique, revue Flaubert [En ligne], n°21, 2019, URL : https://journals.openedition.org/flaubert/3419 

CARON, Sylvain, et Duchesneau, Michel (dir), Musique, art et religion dans l'entre-deux-guerres, Lyon, Symétries, 2009.

D’ANDREA, Giulia, “Allegro, octave, ton : termini polisemici nel linguaggio musicale settecentesco », in Jacqueline Lillo (dir.), D’hier à aujourd’hui. Réception du lexique français de spécialité, Monza, Polimetrica International Scientific Publisher, 2011, p. 107-119.

  • « Le Dictionnaire de Rousseau, un outil toujours actuel pour la traduction spécialisée », in Emmanuel REIBEL (dir.), Regards sur le Dictionnaire de musique de Rousseau, Paris, Vrin, 2016, p. 249-259.

ERGAL, Yves-Michel, et Finck, Michèle (dir.), Écriture et silence au xxe siècle, Strasbourg, P.U. de Strasbourg, 2010. 

ESCAL, Françoise, Contrepoints. Musique et littérature, Paris, Méridiens Klincksieck, 1990. 

GABORIAUD Marie, « Le discours musical, un objet en soi ? », Le Comparatisme comme approche critique. Littérature, arts, sciences humaines et sociales, Tome 2, Anne Tomiche (dir.), Classiques Garnier, 2017, p. 409-423. 

KELLY Barbara L. (ed.), French Music, Culture, and National Identity, 1870-1939, Rochester (NY) University of Rochester Press, 2008  

LANDI, Michela, Il mare e la cattedrale. Il pensiero musicale nel discorso poetico di Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Milano, ETS, 2002. 

LOCATELLI, Aude, et Landerouin, Yves (dir.), Musique et roman, Paris, Éditions Le Manuscrit, 2008. 

PICARD, Timothée, Sur les traces d’un fantôme : la civilisation de l’opéra, Paris, Fayard, 2016 

  •  Verdi – Wagner, imaginaire de l’opéra et identités nationales, Arles, Actes Sud, 2013
  • Âge d’or – décadence – régénération, un modèle fondateur pour l’imaginaire musical européen, Paris, Classiques Garnier, 2013 
  • Opéra et cinéma (avec Aude Ameille, Pascal Lécroart et Emmanuel Reibel), Rennes, PUR, coll. « Le Spectaculaire », 2017. 

REIBEL, Emmanuel, « Musique et littérature : plaidoyer pour la création d’un champ disciplinaire par-delà les disciplines », Fabula-LhT, n° 8, Le partage des disciplines, mai 2011, URL : http://www.fabula.org/lht/8/index.php?id=238, page consultée le 11 juillet 2013.  

  • L'Écriture de la critique musicale au temps de Berlioz, Paris, H. Champion, 2005. 

SCHER, Steven Paul, Word and Music Studies 5. Essays on Literature and Music (1967-2004), Walter Bernhart and Werner Wolf (ed.), Amsterdam, New York, Rodopi, 2004. 

SCHLOEZER, Boris de, Comprendre la musique. Contributions à "La nouvelle revue française" et à "La revue musicale", 1921-1956, Timothée Picard (éd.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011. 

SOUNAC, Frédéric (dir.), La Mélophobie littéraire. Revue littératures n°66, Toulouse, P.U. du Mirail, 2012.

SZENDY, Pierre, Écoute : une histoire de nos oreilles, Paris, Éditions de Minuit, 2001.

  •  « Un roi à l'écoute », Vacarme 2006/2, n° 35 [en ligne], p. 68-69.

WOJCIECHOWSKA, Barbara (dir.), De la musique avant toute chose. Notes linguistiques et littéraires, Paris, L’Harmattan, 2014 (textes réunis par Giulia D’ANDREA , Alessandra ROLLO, Maria SPAGNA, et Maria MASIELLO).