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Le drame après le tournant narratif (Paris)

Le drame après le tournant narratif (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Isabelle Barbéris)

APPEL A COMMUNICATIONS

 Colloque international – Projet « BRIO »

"Le drame après le tournant narratif. Enjeux théoriques et dramaturgiques"

Université Paris Cité, Institut hongrois (Paris)

26-28 novembre 2026

Organisation :

Isabelle Barbéris (Université Paris Cité) ; Mozhdeh Sameti (université de Szeged)

En partenariat avec : Institut hongrois de Paris

 Depuis plus d’un demi-siècle, la réflexion sur le drame moderne se poursuit depuis un diagnostic inaugural : celui de la « crise » de la forme dramatique. C’est à Peter Szondi (1956) qu’il revient d’en avoir proposé la formulation décisive, en définissant le processus d’épicisation par lequel le drame, autrefois adossé à l’immanence de l’action et à la coïncidence du dialogue avec le présent scénique, se fissure et s’ouvre à des insertions narratives, à des commentaires, à des médiations de toutes sortes. Loin de n’être qu’une altération superficielle, ce déplacement révèle une véritable rupture phénoménologique : le sujet n’habite plus le monde de l’action dans la transparence, il se trouve projeté dans une distance qui transforme de fond en comble les conditions d’intelligibilité de l’expérience dramatique. L’épicisation n’est pas une simple technique de composition : elle désigne à la fois une mutation formelle et un symptôme historique et anthropologique, signalant que le drame ne saurait plus être la pure scène d’un présent autosuffisant, mais devient l’espace instable où se nouent distance, mémoire et récit.

Cette intuition d’une opacité phénoménologique croissante, Szondi la partage avec une constellation critique qui gravite autour de l’« École de Lille », Jean et Mayotte Bollack, Heinz Wismann, Pierre Judet de La Combe, qui ont su conjuguer une philologie rigoureuse et une herméneutique de la forme (Bollack, 1995 ; Judet de la Combe, 2010). À travers la lecture serrée des tragiques, ils ont montré comment se logent dans le tissu même du texte des décrochages de voix, des effets de dédoublement, des micro-ruptures d’énonciation : autant de manifestations d’une épicisation immanente, travaillant le langage de l’intérieur. Ce dialogue entre philologie et théorie, chez Szondi héritière de l’idéalisme allemand tardif (Hebbel, Simmel) et de la pensée de Lukács, ancre la crise du drame dans une expérience de la forme qui excède toute détermination générique. Les travaux de Nikolaus Müller-Schöll prolongent directement cet héritage szondien, en proposant des outils conceptuels qui renouvellent l’analyse des régimes du dramatique.

La crise de la forme dramatique s’articule désormais avec une réflexion plus générale sur la médiation. La notion de « démédiation » (comprise comme l’illusion d’une suppression de la médiation) ne désigne pas une disparition des filtres symboliques, mais plutôt un déplacement de leur fonction, au profit d’un imaginaire de l’accès direct. Cette transformation affecte en profondeur le narrative turn : les récits se fragmentent, s’individualisent ou s’articulent sous des formes discontinues. Ainsi, certaines dramaturgies contemporaines, comme celles d’Anja Hilling ou Tim Crouch, explorent les tensions entre cohésion narrative et éclatement, entre continuité de la fable et dispositifs qui mettent en avant la médiation technique ou l’hétérogénéité des voix.

Les théories postérieures n’ont cessé de prolonger et de déplacer ce socle. Avec le postdramatique (1999), Hans-Thies Lehmann ne décrit pas seulement l’éclatement d’un modèle canonique : il met en lumière un changement de régime esthétique. Parallèlement, Jean-Pierre Sarrazac (1981, 1999) a réhabilité la parabole comme une forme oblique du dramatique : ni fable au sens strict ni allégorie transparente, elle introduit une narrativité latérale, faite de détours et de montages rhapsodiques. Avec l’esthétique du performatif d’Erika Fischer-Lichte (2004), le théâtre est envisagé comme événement transformant la perception et l’expérience. Le conflit moderne entre drame et récit se voit alors déplacé : ce qui est en jeu n’est plus seulement la part de narration tolérée par la forme, mais la manière dont le dispositif scénique reconfigure la tension entre immédiation et médiation, entre présence et récit. À cette constellation s’ajoute l’apport décisif de Martin Puchner (2002, 2006, 2010), qui a montré combien la modernité littéraire et philosophique s’est constituée sous le signe de l’antithéâtralité. Dans Stage Fright, le théâtre apparaît à la fois comme objet de crainte et comme modèle de pensée : lieu de l’illusion et de la séduction, mais aussi scène privilégiée pour la confrontation des idées.

Dans ce champ, la distinction épique / diégétique acquiert une valeur opératoire. L’« épique » désigne les procédés qui introduisent de la distance — dédoublement, adresse, chœur, citation, montage — et qui fracturent l’illusion d’immanence. Le « diégétique » désigne les opérations de mise en récit, de configuration et d’intrigue, par lesquelles s’esquisse malgré tout une tentative de réorganisation. L’enjeu n’est pas d’opposer ces deux pôles, mais de comprendre les politiques de leurs agencements : comment les dramaturgies contemporaines combinent rupture et narration, fracture et recomposition.

Ces questions trouvent un terrain particulièrement vif dans certaines dramaturgies expérimentales actuelles. L’œuvre de Abbas Nalbandian, figure centrale du théâtre iranien moderne, met en crise la possibilité même de l’action dramatique : ses pièces fragmentées et polyphoniques organisent une dramaturgie de la mémoire et du commentaire. En Europe, des auteurs comme Tim Crouch, Chris Thorpe ou Anja Hilling explorent eux aussi la frontière entre récit et action, qu’ils fragmentent, diffractent ou rendent atmosphérique. Ailleurs, Béla Pintér en Hongrie ou Meng Jinghui en Chine montrent comment narration populaire ou montage critique peuvent déconstruire et réinventer les récits collectifs. Ces exemples, hétérogènes dans leurs contextes mais convergents dans leur logique, témoignent que la tension entre rupture épique et remise en récit diégétique demeure l’un des moteurs les plus féconds de l’invention théâtrale contemporaine.

Enfin, si le tournant narratif a constitué un moment décisif pour penser la crise et les métamorphoses du drame, il importe aujourd’hui d’ouvrir la réflexion à d’autres cadres qui en prolongent ou déplacent les enjeux. Les recherches récentes mettent en lumière des dimensions que la seule narrativité ne suffit pas à saisir : la performativité des actes et des situations, la matérialité et les réseaux hybrides qui associent humains et non-humains (Latour, Descola), l’intensité des affects et des atmosphères (Massumi), la logique propre aux environnements numériques et algorithmiques, ou encore le retour de spéculations philosophiques et métaphysiques (Meillassoux, Harman). En invitant à croiser ces perspectives, ce colloque souhaite dépasser la seule focale du narrative turn pour explorer la pluralité des approches contemporaines du drame et de la scène.

Axes de réflexion proposés 

1.      Axe historique : généalogie et héritages

 Relectures de Szondi et de l’épicisation ; héritages de Lukács ; prolongements critiques (Lehmann, Sarrazac, Fischer-Lichte, Müller-Schöll) ; relectures philologiques (École de Lille: Bollack, Wismann, Judet de La Combe) ; réinterprétations contemporaines de la poétique aristotélicienne.

2.    Axe théorique : narrativité, théâtralité et performativité

Diégèse et polyphonie dramatique ; dramaturgies paraboliques ; apports des théories de la fiction et de la performativité ; approches critiques (trauma studies, études féministes et postcoloniales, intermédialité, dispositifs numériques et IA) ; narratologie transposée et retravaillée par la scène. On peut faire l’hypothèse que l’épique agit comme force de fracture — introduisant distance, éclatement et disjonction — tandis que le diégétique travaillerait à recoudre, par le récit, une cohérence provisoire au sein même de cette déchirure. On pourra également envisager des propositions portant sur le corps, la voix et les techniques de jeu, dans leur rapport aux régimes narratifs et performatifs.

3.     Axe comparatiste : transferts, hybridations et expérimentations 

Circulations transnationales ; formes hybrides (stand-up, conte, danse, magie, performance narrative) ; dramaturgies extra-européennes (Iran, Chine, Brésil, Afrique) ; transferts médiatiques. Usages scéniques de langues étrangères non traduites, dans un contexte de globalisation et de traduction automatisée (IA).

4.     Axe prospectif : au-delà du narrative turn

 Explorations des paradigmes contemporains qui déplacent ou complètent la question narrative. On s’intéressera à la performativité des actes et des situations, aux nouvelles ontologies qui replacent objets et non-humains au centre de la réflexion, aux régimes affectifs et atmosphériques, aux écritures numériques et algorithmiques qui reconfigurent les formes du récit, ainsi qu’aux spéculations philosophiques récentes. Ces perspectives permettront d’interroger comment le drame contemporain se construit non seulement à travers la narrativité, mais aussi à partir de régimes de présence, de matérialité et d’affect qui en déplacent les cadres hérités. Une attention particulière sera accordée aux analyses de cas qui mettent en évidence la tension entre drame diégétique et démédiation : récits fragmentés, individualisation extrême des voix, impossibilité du présent scénique à l’ère des écrans. Il pourra également accueillir des analyses portant sur des formes où le script ou le verbatim fait office de matrice ou de protocole d’action, opérant un glissement du diégétique au déclaratif.

Modalités de soumission
 

Communications de 20 minutes. Propositions en français ou en anglais, comprenant : un titre, un résumé (≈ 3000 signes espaces comprises) explicitant le cadre théorique et le corpus, et une notice bio-bibliographique.

Échéance d’envoi : 28 février 2026 aux deux adresses suivantes: isa.barberis@gmail.com et mjd.sameti@gmail.com 
Les propositions seront évaluées par un comité scientifique international.

Les frais de déplacement et de logement sont à la charge de l'institution de rattachement de l'intervenant. L'organisation du colloque peut examiner des demandes de prise en charge au cas par cas.

Comité scientifique 


Florence Fix, Professeure des universités, Université de Rouen–Normandie

Timea Gyimisi, Professeure des universités, Université de Szeged

Françoise Lavocat, Professeure des universités, Université Paris Cité / Institut Universitaire de France

Catherine Naugrette, Professeure émérite, Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Martin Puchner, Professor of English and Comparative Literature, Harvard University

Julia Gros de Gasquet, Professeure des universités, ENS PSL 

Roy Sommer, Professor of English and Intercultural Communication, University of Wuppertal

Nikolaus Müller-Schöll, Professor of Theatre Studies, Goethe-Universität Frankfurt am Main

Sylvie Patron, Professeure des universités, Université Paris Cité

 

 

Call for Papers
 

International Conference – “BRIO” Project

"Drama after the Narrative Turn: Theoretical and Dramaturgical Stakes"

 

LOCATION: Université Paris Cité, Hungarian Institute of Paris (Paris)

26–28 November 2026


Organizers: Isabelle Barbéris (Université Paris Cité); Mozhdeh Sameti (University of Szeged)

 In partnership with : Hungarian Institute of Paris

 

For more than half a century, reflection on modern drama has developed from an initial diagnosis: the “crisis” of dramatic form. It was Peter Szondi (1956) who offered the decisive formulation by defining the process of epicization through which drama—once grounded in the immanence of action and in the coincidence of dialogue with scenic presentness—fractures, opening itself up to narrative insertions, commentary, and mediations of all kinds. Far from being a mere superficial alteration, this shift reveals a true phenomenological rupture: the subject no longer inhabits the world of action transparently, but is projected into a distance that radically transforms the conditions of intelligibility of dramatic experience. Epicization is not simply a compositional technique: it designates both a formal mutation and a historical-anthropological symptom, signaling that drama can no longer be the pure scene of a self-sufficient present, but rather the unstable space where distance, memory, and narration intertwine.

This intuition of growing phenomenological opacity was shared by a critical constellation surrounding the so-called “École de Lille”—Jean and Mayotte Bollack, Heinz Wismann, Pierre Judet de La Combe—who managed to combine rigorous philology with a hermeneutics of form (Bollack, 1995; Judet de La Combe, 2010). Through close readings of the tragic poets, they demonstrated how disjunctions of voice, effects of doubling, and micro-ruptures of enunciation are embedded in the very fabric of the text: manifestations of an immanent epicization working from within the language itself. The dialogue between philology and theory—drawing, in Szondi’s case, on late German idealism (Hebbel, Simmel) and on Lukács—anchors the crisis of drama in an experience of form that exceeds any generic determination. The work of Nikolaus Müller-Schöll extends this Szondian legacy by offering conceptual tools that renew the analysis of contemporary dramaturgical regimes.

The crisis of dramatic form is now intertwined with a broader reflection on mediation. The notion of “demediation” (understood as the illusion of suppressing mediation) does not refer to the disappearance of symbolic filters, but rather to a shift in their function, in favor of an imaginary of direct access. This transformation deeply affects the narrative turn: narratives become fragmented, individualized, or articulated in discontinuous forms. Accordingly, certain contemporary dramaturgies, such as those of Anja Hilling or Tim Crouch, explore the tensions between narrative cohesion and fragmentation, between the continuity of the plot and staging configurations that foreground technical mediation or the heterogeneity of voices.

Subsequent theories have continued to extend and displace this foundation. With Postdramatic Theatre (1999), Hans-Thies Lehmann not only describes the breakdown of a canonical model; he highlights a shift in the aesthetic regime. Meanwhile, Jean-Pierre Sarrazac (1981, 1999) rehabilitated the parable as an oblique dramatic form: neither fable in the strict sense nor transparent allegory, it introduces a lateral narrativity shaped by detours and rhapsodic montage. With Erika Fischer-Lichte’s The Transformative Power of Performance (2004, 2008), theatre is conceived as an event capable of transforming perception and experience. The modern conflict between drama and narrative is thus displaced: the issue is no longer the degree of narration permitted by form, but how the scenic configuration reconfigures the tension between immediation and mediation, between presence and narration. To this constellation must be added the decisive contribution of Martin Puchner (2002, 2006, 2010), who demonstrated how literary and philosophical modernity was constituted under the sign of antitheatricality. In Stage Fright, theatre appears both as an object of fear and a model of thought: a site of illusion and seduction, but also a privileged stage for the confrontation of ideas.

Within this field, the distinction between the epic and the diegetic becomes operational. The epic designates procedures that introduce distance—doubling, address, chorus, quotation, montage—that fracture the illusion of immanence. The diegetic refers to the operations of storytelling, configuration, and plotting through which a provisional reorganization nevertheless emerges. The challenge is not to oppose these poles but to understand the politics of their arrangements: how contemporary dramaturgies combine rupture and narration, fracture and recomposition.

These questions find a particularly vivid terrain in certain experimental dramaturgies today. The work of Abbas Nalbandian, a central figure of modern Iranian theatre, puts into crisis the very possibility of dramatic action: his fragmented and polyphonic plays develop a dramaturgy of memory and commentary. In Europe, authors such as Tim Crouch, Chris Thorpe, or Anja Hilling explore the frontier between narrative and action, which they fragment, refract, or render atmospheric. Elsewhere, Béla Pintér in Hungary or Meng Jinghui in China show how popular narration or critical montage can deconstruct and reinvent collective stories. Though heterogeneous in context, these examples converge to show that the tension between epic rupture and diegetic re-narration remains one of the most fruitful engines of contemporary theatrical invention.

Finally, although the narrative turn was a decisive moment for understanding the crisis and metamorphoses of drama, it is now important to broaden the reflection to frameworks that extend or displace its stakes. Recent research highlights dimensions that narrativity alone cannot capture: the performativity of acts and situations, the materiality and hybrid networks linking humans and non-humans, the intensity of affects and atmospheres, the logic of digital and algorithmic environments, and the return of speculative philosophical inquiry. By intersecting these perspectives, the conference aims to move beyond the narrative turn and explore the plurality of contemporary approaches to drama and performance.

 Suggested Areas of Inquiry

Historical Axis: Genealogy and Legacies

Re-readings of Szondi and epicization; the legacy of Lukács; critical extensions (Lehmann, Sarrazac, Fischer-Lichte, Müller-Schöll); philological approaches (École de Lille); contemporary reinterpretations of Aristotelian poetics.

Theoretical Axis: Narrativity, Theatricality, and Performativity

Diegesis and dramatic polyphony; parabolic dramaturgies; theories of fiction and performativity; critical approaches (trauma studies, feminist and postcolonial studies, intermediality, digital and AI-based configurations); narratology reworked by the stage; the hypothesis that the epic acts as a force of fracture—introducing distance, dispersion, and disjunction—while the diegetic works to stitch together a provisional coherence.
Proposals may also address the body, voice, and acting techniques in relation to narrative and performative regimes.

Comparative Axis: Transfers, Hybridizations, and Experimentations

Transnational circulations; hybrid forms (stand-up, storytelling, dance, magic, narrative performance); extra-European dramaturgies (Iran, China, Brazil, Africa); media transfers; scenic uses of untranslated languages in a context of globalization and AI-mediated automated translation.

Prospective Axis: Beyond the Narrative Turn

Explorations of contemporary paradigms that shift or complement the question of narrative: performativity; new ontologies repositioning objects and non-humans; affective and atmospheric regimes; digital and algorithmic writing; speculative philosophy. Case studies may highlight tensions between diegetic drama and demediation (fragmented narratives, radical individualization of voices, instability of stage presence in screen-based environments). This axis also includes forms in which scripts or verbatim materials function as matrices or protocols of action, marking a shift from diegetic to declarative regimes.

Submission Guidelines 

Presentations: 20 minutes. Proposals in French or English should include a title, an abstract (≈ 3,000 characters) outlining the theoretical framework and corpus, and a short bio-bibliographical note.


Submission deadline : 28 février 2026 both to isa.barberis@gmail.com and mjd.sameti@gmail.com 
Proposals will be reviewed by an international scientific committee.

Travel and accommodation expenses are to be covered by the speaker’s home institution. The conference organizers may consider requests for financial support on a case-by-case basis.

Scientific Committee

Florence Fix, Professor, University of Rouen Normandy

Timea Gyimisi, Professor, University of Szeged

Françoise Lavocat, Professor, Université Paris Cité / Institut Universitaire de France

Catherine Naugrette, Emeritus Professor, Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Martin Puchner, Professor of English and Comparative Literature, Harvard University

Julia Gros de Gasquet, Professor, ENS PSL

Roy Sommer, Professor, University of Wuppertal

Nikolaus Müller-Schöll, Professor, Goethe University Frankfurt am Main

Sylvie Patron, Professor, Université Paris Cité