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Ecriture(s) épistolaire(s) de Sade

Ecriture(s) épistolaire(s) de Sade

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Stéphanie Genand)

Écriture(s) épistolaire(s) de Sade

Colloque Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle - Université de Bourgogne

Vendredi 15 Mai 2020 (Université de Bourgogne)

Vendredi 29 mai 2020 (Université Paris 3 Sorbonne nouvelle)

Organisation : Stéphanie Genand (Université de Bourgogne), Marc Hersant (Université Paris 3 Sorbonne  nouvelle), Mladen Kozul (Université du Montana)

 

Appel à contribution

Les dernières décennies ont vu la parution de plusieurs recueils de lettres de Sade, destinés aux spécialistes ou au grand public[1]. Ces volumes ont contribué, et contribuent sans doute toujours, à la normalisation des écrits de Sade initiée par la parution de ses œuvres dans la collection de la Pléiade dans les années 1990 grâce au travail d’édition de Michel Delon[2].

Force est pourtant de constater que dans ce nouveau contexte, qui plus est marqué par une recherche sadienne dynamique[3], la correspondance de Sade n’a suscité que des études ponctuelles[4]. Alors que la recherche sur la pratique de la lettre est elle aussi particulièrement active[5], il n’existe à ce jour aucun ouvrage d’ensemble consacré à cette question chez Sade. Elle l’intéresse pourtant à plus d’un titre : d’abord parce que vingt-sept ans de réclusion font de lui un épistolier majeur, la séparation déclenchant l’écriture d’une correspondance aussi abondante qu’indispensable au prisonnier ; ensuite parce que le modèle de la lettre inspire plusieurs pans de son œuvre : Aline et Valcour à l’évidence, puisqu’il s’agit d’un vaste roman épistolaire, mais aussi les récits de voyage puisque le séjour en Hollande, premier opus sadien – non publié – se présente sous la forme de lettres fictives adressées à une marquise. Les Cahiers de Charenton évoquent quant à eux, en 1812, le projet d’une imitation des Liaisons dangereuses. Ces passerelles invitent dès lors à privilégier une conception extensive de l’épistolaire chez Sade : comment la lettre authentique rejoint-elle ou nourrit-elle l’œuvre de fiction ? Et existe-t-il même une frontière réelle entre la correspondance sadienne et l’œuvre proprement dite ?

Dans cette perspective, et de manière non restrictive, on pourrait envisager les axes de réflexion suivants :

La question du découpage, de l’organisation et de l’analyse du corpus épistolaire. Dans l’état actuel de nos connaissances, la correspondance de Sade parait fragmentaire et hétéroclite. Selon quels principes arranger et agencer les textes ? Quelles perspectives analytiques, quels critères d’ordonnancement permettraient d’identifier des ensembles plus ou moins distincts ou pertinents ? Faudrait-il se contenter de la simple diachronie ? Fonder la classification sur le type ou le nom du destinataire ? Ou, à l’instar d’Armelle St Martin, classer les lettres, sinon les pans entiers de la correspondance, selon leurs sujets ou fonctions discursives afin de penser ensemble les récits de voyage et les lettres, en tant que textes polémiques non-fictionnels ?

 

Les éléments de l’écriture épistolaire sadienne liés à la situation d’énonciation carcérale. Certes, dans les lettres que Sade écrit depuis ses prisons, les lieux communs de l’épistolarité carcérale de l’Ancien Régime abondent, qu’il est possible de recenser et d’observer. Sade pratique notamment une écriture de la justification et donne à certaines de ses plus célèbres lettres le caractère d’autobiographies partielles, orientées vers un procès réel ou imaginaire. Mais dans l’écriture épistolaire de Sade, la plupart des éléments stylistiques et énonciatifs des lettres conventionnelles sont à l’occasion, et de plus en plus souvent, profondément perturbés ou déréglés. Entre virtuosité conversationnelle et rhétorique et parasitages énonciatifs et stylistiques, l’écriture épistolaire sadienne semble vivre constamment un grand écart entre ordre et désordre, maîtrise et effervescence incontrôlée, effet programmé sur le destinataire et mise en question de toute stabilité dans l’image de ce dernier.

 

Les rapports entre écriture épistolaire et écriture fictionnelle. Certaines des lettres authentiques du jeune Sade, jugées par lui plus réussies que d’autres, ont été intégrées aux premiers recueils de ses œuvres qu’il a lui-même constitués, ce qui fragilise la frontière entre lettre authentique et lettre littéraire. Une lecture innocente de la correspondance de Sade, comme si on la lisait sans projeter sur elle notre connaissance de l’œuvre, est d’ailleurs difficile à envisager. Bien des aspects de ses lettres authentiques sont en outre imprégnés de modèles littéraires : fureurs tragiques, éclats émotionnels dignes des « Portugaises », énumérations quasi-rabelaisiennes, traits d’humour insolites, semblent produire, parmi beaucoup d’autres traits, au sein d’ « énoncés de réalité » (Hamburger), l’amorce d’une écriture fictionnelle ou poétique. Un « jeu » peut être observé chez Sade entre fiction et non-fiction dans l’ordre de l’écriture épistolaire. Entre l’écriture épistolaire de l’homme Sade et Aline et Valcour, roman épistolaire. Entre l’écriture épistolaire et roman-mémoires, fondement générique de la geste de Justine et Juliette, mais aussi dans celle de Sainville et de Léonore. Entre le texte des Cent-vingt journées de Sodome et les déferlements imaginaires des jours les plus noirs de la prison.

 

Les ressorts psychiques de l’écriture épistolaire. Au-delà des débats interprétatifs qui voient dans la correspondance carcérale de Sade, et notamment ses fameux « signaux », tantôt un symptôme de confusion mentale, tantôt au contraire un effort de rationalisation salutaire face à la folie d’une claustration arbitraire, la pratique de la lettre joue un rôle psychique majeur. Pourquoi ? Quelles seraient les propriétés de l’écriture épistolaire qui la rendent déterminante pour l’imaginaire sadien ? Cette question rejoint celle de la relation sadienne au réel. Au cœur des récits, mais aussi de sa troublante prédilection pour le théâtre, elle interroge la prolifération, sous sa plume, des scènes à distance : la séparation, non contente de déclencher l’écriture des lettres, constituerait alors l’un des ressorts profonds de sa création.

 

Les propositions (titre et résumé de 10 lignes) sont à adresser avant le 30 octobre 2019 aux trois adresses suivantes : stephanie.genand@u-bourgogne.fr, marc.hersant@sorbonne-nouvelle.fr et mladen.kozul@mso.umt.edu.

Indications bibliographiques

Jean-Christophe Abramovici et Patrick Graille (éd.) Cinquante lettres du Marquis de Sade à sa femme, préface de Pierre Leroy, texte de Cécile Guilbert, Paris, Flammarion, 2009.

Marc Buffat, « Préface », Lettres à sa femme, Arles, Actes Sud, 1997.

  • « Les raisons de M. de Sade », Benoît Mélançon (dir.), Penser par lettre, Montréal, Fides, 1998, p. 327-341.
  • « Mademoiselle de Rousset correspondante du marquis de Sade », Brigitte Diaz et Jürgen Diss (dir.), L’Épistolaire au féminin. Correspondances de femmes (XVIIIe-XXe), Caen, Presses Universitaires de Caen, 2006.
  • « Lire la correspondance de Sade », Épistolaire, n°34, 2008.
  • « Le vice au pouvoir. Critiques de la prison dans les lettres de Sade », Jean-Christophe Abramovici et Florence Lotterie (dir.), Sade en jeu, Fabula, Les colloques.

Haisoo , « Lectures de Sade, prisonnier à Vincennes et à la Bastille (1779-1789) », Lectures, livres et lecteurs au XVIIIe siècle, dir. Jean-Marie Goulemot, Cahiers d’histoire culturelle de l’université de Tours n° 12, 2003, p. 57-88.

Jean-Louis Cornille, La Lettre française. De Crébillon fils à Rousseau, Laclos, Sade, Leuven, Paris, Sterling, Virginia, Peeters, Vrin, 2001.

Anne Coudreuse, « Porc frais de mes pensées… Délire et destination dans les lettres à sa femme et le Journal de Charenton du marquis de Sade », Revue de l’Aire, 2006, p. 91-100.

Michel Delon et Catriona Seth (dir.) Sade en toutes lettres. Autour d’Aline et Valcour, Paris, Desjonquères, 2004.

Béatrice Fink, « Chiffres, chiffrage et déchiffrages sadiens », La Naissance du roman en France. Topique romanesque de l’ « Astrée » à « Justine », dir. Nicole Boursier et David Trott, Paris-Seattle-Tübingen, PFSCE, 1990,  p. 89-99.

Stéphanie Genand, « Lettres vitales », Sade, Paris, Gallimard, Folio biographie, 2018, p. 107-115.

Marc Hersant, « Les destinataires imaginaires de Sade dans ses lettres de prison », Écrits, images et pensées de la prison, dir. Régis Salado et Carine Trévisan, revue Textuel, 2019, à paraître au deuxième semestre 2019.

Vincent Jolivet, « Sade à Vincennes : l’épistolier dans la ménagerie », Dix-huitième siècle, n°45, 2013, p. 511-524.

Alice M. Laborde, Correspondances du marquis de Sade et de ses proches, enrichies de documents, notes et commentaires, Genève, Slatkine, 1991-1997.

Robert Lacombe, Sade et ses masques, Paris, Payot, 1974.

Gilbert Lely, Vie du marquis de Sade, Paris, Mercure de France, 1989.

Maurice Lever, Donatien Alphonse François, marquis de Sade, Paris, Fayard, 1991.

Guillaume Patin, « Les secrets commerces de Sade », Dix-huitième siècle, n°41, 2009, p. 655-667.

Jean-Jacques Pauvert, Sade vivant, Paris, Le Tripode, 2013 (édition complétée et mise à jour).

Philippe Roger, « Note conjointe sur Sade épistolier », Béatrice Didier et Jacques Neefs (dir.), La Fin de l’Ancien Régime. Sade, Rétif, Beaumarchais, Laclos, Vincennes, Presses Universitaires de Vincennes, 1991, p. 45-53.

Armelle St-Martin, « Sade, chroniqueur de son époque dans sa correspondance et le Voyage d’Italie », Cadernos de Etica e filosofia politica, n°26, 2015 p. 206-219.

 

 

[1] Voir notamment Marc Buffat (éd.), Marquis de Sade, Lettres à sa femme, Arles, Actes Sud, 1997, Jean-Christophe Abramovici et Patrick Graille (éd.) Cinquante lettres du Marquis de Sade à sa femme, préface de Pierre Leroy, texte de Cécile Guilbert, Paris, Flammarion, 2009, et plus récemment Marie-Paule Farina (éd.), Sade et ses femmes, Paris, éd. Françoise Bourin, 2016.

[2] Cette redécouverte se poursuit grâce à la récente réédition par Michel Delon du Voyage d’Italie de Sade, Paris, Flammarion, 2019.

[3] Voir, parmi les publications suscitées par le bicentenaire de 2014, Armelle St-Martin (dir.), Sade dans tous ses états, Rouen, PURH, 2017, Jean-Christophe Abramovici et Florence Lotterie (dir.), Sade en jeu, Fabula / Les colloques et Michel Delon (dir.), Sade, un athée en amour, Paris, Albin Michel, 2017. De nouvelles orientations scientifiques ont en outre récemment privilégié la question du féminin (Anne Coudreuse et Stéphanie Genand (dir.), « Sade et les femmes. Ailleurs et autrement », Itinéraires, 2014), la réception (Dominic Marion, Sade et ses lecteurs. Une historiographie critique, XVIIIe-XXIe siècle, Paris, Hermann, 2017), la place des sciences (Adrien Paschoud et Alexandre Wenger (dir.), Sade : science, savoirs et invention romanesque, Paris, Hermann, 2012), la trajectoire biographique (Stéphanie Genand, Sade, Paris, Gallimard, 2018) ou le théâtre et sa place dans l’œuvre (Catherine Ramond, « Mimesis dramatique, mimesis romanesque chez Sade : une œuvre à deux faces ? », Sade en jeu, en ligne).

[4] Voir la bibliographie ci-jointe.

[5] Voir la revue Épistolaire et, pour le cas exemplaire de Sévigné, les travaux de Laure Depretto : Informer et raconter dans la correspondance de Madame de Sévigné, Paris, Garnier, 2015 et « La correspondance comme feuilleton ? », Exercices de rhétorique, n°6, 2016, en ligne.