
Colloque international organisé par l'Équipe de Recherche : Traverses 19-21, EA 3748 – et Composante E-cri-re, Université Stendhal-Grenoble 3.
Après l’écriture inachevée de La Défense de l’infini, Aragon s’engage pleinement dans la forme romanesque avec Les Cloches de Bâle (1934). C’est à ce moment aussi, après avoir rencontré Elsa Triolet, qu’il fréquente directement et indirectement des linguistes – dont Jakobson – et se familiarise avec la pensée des « formalistes russes ». Dès lors, la réflexion sur la fiction en prose ne se démentira jamais – après 1960, son questionnement sera même réactivé par la place de la pensée linguistique au coeur des débats critiques, comme en témoignent La Mise à mort (1965), Blanche ou l’oubli (1967), ou l’objet complexe que constitue Henri Matisse, roman (1971).
Le roman aragonien s’inscrit dans une perspective politique et poétique qui, jusqu’à présent, n’a été que fort peu étudiée dans sa dimension langagière. Il y a pourtant là un ensemble d’enjeux majeurs pour comprendre la fabrique de l’oeuvre : la singulière « conscience linguistique » de l’auteur est, de fait, indissociable des problématiques littéraires et fictionnelles. Elle se traduit par le réinvestissement de certains modèles, par des phénomènes de réemplois et de reprises ; elle intéresse les processus de genèse et réécriture ; elle implique certains modes de textualisation.
Le colloque Aragon romancier : genèses, modèles, réemplois réunira ainsi littéraires et linguistes, pour aborder ces questions, qui touchent à l’interaction sociale des discours et à l’historicité des poétiques. Il s’agira ainsi de renouveler la réflexion sur le roman aragonien – oeuvre d’une remarquable fécondité, esthétique, critique et théorique – en cette année 2012 qui marque les trente ans de la disparition de son auteur.
Trois axes permettront d’organiser la réflexion
la question de la (ou des) genèse(s) devrait permettre d’élucider les notables variantes et variations qui marquent les romans aragoniens depuis les hypotextes disponibles, jusqu’aux réécritures pour éditions successives. Mais le détour par l’étude génétique, champ quasi vierge des études aragoniennes, peut aussi jouer à un autre niveau : celui des modèles, notion présente au sens de « modèle grammatical » et de « modèle linguistique », sous la plume de l’auteur, et associée à la création d’un « style ». L’attention à la langue d’Aragon permettra dès lors de mieux penser l’inscription de l’oeuvre dans l’histoire de la langue littéraire : depuis la fin du xixe siècle, la littérature a progressivement associé à des faisceaux de traits langagiers des effets de sens particuliers, en une série de « patrons stylistiques » qu’Aragon ne cesse de reprendre et de retravailler – on songe par exemple à la transcription de la voix ou de la pensée en cours d’élaboration.
la question des processus de textualisation visera à évaluer, d’une part, comment ces processus, repérables dans les avant-textes, sont informés et infléchis par l’existence de ces « modèles », et, d’autre part, comment ils sont redéployés. Replacer la pratique aragonienne au sein de telles configurations permettra dès lors de mieux saisir sa situation dans les imaginaires du temps : romanesques – celui, notamment, de l’écriture de la subjectivité – et linguistiques – telle la prégnance, dans cette prose, des questions énonciatives.
la question des réemplois rendrait enfin compte d’une généricité mouvante et insisterait sur une approche dynamique de l’emprunt. L’attention pourra être portée sur le « renouvellement » à l’oeuvre dans le roman aragonien. La recherche s’attachera à préciser la question de l’intertextualité, pensée comme « entre-texte » et comme « intertextualité ouverte » caractéristique de l’interaction sociale des discours et de l’historicité des poétiques, dans une perspective relevant du dialogisme bakhtinien. La catégorie de « prédiscours » se révèlera aussi productive pour situer l’écriture romanesque d’Aragon vis-à-vis de ces « cadres prédiscursifs collectifs qui ont un rôle instructionnel pour la production et l’interprétation du sens en discours ». Le colloque visera notamment à retrouver les « savoirs, […] croyances et […] pratiques » permettant de ré-historiciser une culture et une imagination parmi les plus fécondes de son temps.
Programme détaillé
Aragon : genèses, modèles, réemplois
Mercredi 23 mai 2012
Amphithéâtre Maison des Sciences de l’Homme-Alpes
14h — Ouverture du colloque
Du surréalisme aux voix du roman
Présidente de séance : Jacqueline Bernard
14h30 — Michel MURAT (Paris IV/ENS), « L’image stupéfiante »
15h — Pascale ROUX (Grenoble 3), « Défamiliarisation poétique et langue surréaliste dans les énonciations fictionnelles d’Aurélien »
15h30 — Pause
16h — Jacqueline BERNARD (Grenoble 3), « Du collage mémoriel à la construction romanesque : les éclats de voix(es) dans la fiction aragonienne »
16h30 — Nelly WOLF (Lille 3) : « Malgré son style, Aurélien s’est fait battre »
Discussion
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18h30
Table ronde : Présences d’Aragon, 30 ans après.
Jean RISTAT, Daniel BOUGNOUX, Pierre JUQUIN,
Bernard VASSEUR
Bibliothèque municipale du centre-ville
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Dîner du colloque
Caffè Forte
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Jeudi 24 mai 2012
Amphithéâtre Maison des Sciences de l’Homme-Alpes
Aragon linguiste et poète
Présidente de séance : Christelle Reggiani
10h — Julien PIAT (Grenoble 3), « La phrase chez Aragon : modèle linguistique ou épilinguistique ? »
10h30 — Marie-Albane WATINE (Nice) : « Référence nominale et référence déictique dans Blanche ou l’oubli : un double modèle, linguistique et littéraire »
11h — Pause
11h30 — Josette PINTUELES-LEFAURE (Paris 7) : « L’Oeuvre Poétique, dernier roman inachevé »
12h — Khedidja KHELLADI (Université d’Alger) : « Poésie(s) courtoise(s) dans Le Fou d’Elsa »
Discussion
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Buffet
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Aragon romancier réaliste
Présidente de séance : Nathalie Piégay-Gros
14h30 — Olivier BARBARANT (Paris) : « Sous-bassements poétiques d'un roman réaliste : pour une relecture des Beaux quartiers »
15h — Nathalie PIEGAY-GROS (Paris 7) « Le fait divers dans le roman »
15h30 — Christelle REGGIANI (Lille 3), « L’engagement formel d'Aragon : le Monde réel comme “roman à thèse” ? »
Discussion et conclusions
Présentation du colloque et de sa spécificité
Aragon n’a jamais cessé de commenter son oeuvre, voire de la réécrire – mais rares sont les travaux qui, jusqu’à présent, ont tenté de lier cette poétique romanesque à l’observation de phénomènes langagiers. On a prêté assez peu d’attention à la connaissance très précoce qu’Aragon avait des débats linguistiques du siècle ou à l’influence que ces derniers ont pu avoir sur l’écriture de ses romans – et c’est bien la part linguistique des phénomènes de réemplois, que l’on voudrait étudier ici, en tant qu’ils participent à modeler la genèse de l’oeuvre. On souhaite ainsi explorer un champ encore neuf : où une singulière « conscience linguistique » rencontre les enjeux de la mise en fiction, ancrant l’écriture aragonienne dans un moment de l’histoire de la langue littéraire. Loin d’oublier la dimension politique et historique de l’oeuvre d’Aragon, une telle perspective essaie d’en comprendre les modalités d’inscription littéraire. La présence, parmi les participants et au sein du comité scientifique, de spécialistes de linguistique et de spécialistes de littérature dit clairement notre ambition : faire dialoguer des communautés qui, trop souvent, ne se rencontrent pas ; enrichir la recherche littéraire par l’apport d’études linguistiques – et réciproquement.