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"(Re)penser la communauté" (Paris 3)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Apolline Weibel)

Appel à communication

JE de l’ED 625 : « (Re)penser la communauté »

Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

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Le sujet choisi pour cette première JE de l’ED 625 invite à réfléchir aux façons dont les institutions, les discours publics, médiatiques, politiques, philosophiques et juridiques, mais aussi les représentations littéraires, culturelles et artistiques conçoivent et réinventent la notion de « communauté ».

Au cours des dernières décennies, dans le contexte d’une réorganisation des équilibres mondiaux à la suite de la chute du mur de Berlin, de l’entrée dans une nouvelle phase de la mondialisation ou des attentats du 11 septembre 2001, la notion de communauté a suscité de vifs débats idéologiques, philosophiques et juridiques, a donné lieu à des productions culturelles et artistiques multiples et souvent inattendues, et s’est incarnée dans des mouvements sociaux et politiques inédits[1]. Dès 1983, dans La communauté désœuvrée, Jean-Luc Nancy appelait à repenser le sens de la communauté à l’ère post-communiste : une fois le projet communiste discrédité, la communauté ne saurait plus se fonder sur un projet, mais sur une ontologie : la communauté, c’est le fait d’être-avec, la condition qui fait de nous non des individus isolés et souverains, mais des êtres toujours coprésents à d’autres, unis par une commune conscience de notre condition de mortels[2]. De nombreux textes de Nancy reviennent ensuite sur cette conception de la communauté qui postule qu’« avec est le premier trait de l’être[3] ».

Judith Butler propose une interprétation plus politique de cette pensée, qui fonde la communauté sur l’interdépendance et sur la prise en compte de la vulnérabilité des corps, à concevoir par conséquent comme étant toujours inscrits dans des réseaux de relations et de soutiens (historiquement spécifiques). Dans son livre Rassemblement. Pluralité, performativité et politique, elle critique l’idéal néo-libéral d’autosuffisance et de « responsabilisation », et plaide pour une reconnaissance éthique de l’interdépendance, qui s’incarne de façon performative dans des rassemblements publics organisés par les mouvements tels que les Indignados en Espagne ou Occupy Wall Street aux États-Unis. De tels rassemblements repensent sur le mode performatif la notion même de communauté, en la fondant sur l’idée d’une « démocratie sensible » et sur un principe égalitaire : « Pour participer au politique, pour faire partie de l’action collective et concertée, il ne suffit pas d’affirmer et de revendiquer l’égalité […] : il faut aussi agir et réclamer dans les termes de l’égalité, comme un acteur de statut égal aux autres acteurs. C’est ainsi que les communautés qui se rassemblent dans la rue peuvent commencer à mettre en acte une autre idée de l’égalité, de la liberté et de la justice que celle à laquelle elles s’opposent[4] ».

Articulant les domaines politique et esthétique, l’œuvre de Jacques Rancière pense pour sa part la communauté comme le produit d’un consensus : nous percevons le monde selon un système d’inclusions et d’exclusions auquel nous consentons, et qui détermine nos parts respectives dans ce monde. Ce consensus peut être remis en cause lorsque s’inscrit dans l’espace du commun « la part des sans-part[5] ». Ce « dissensus », qui peut advenir par l’art, constitue pour Rancière l’essence même de la politique.  La communauté a donc vocation à se réinventer selon une visée égalitaire qui redessinera le tracé du « partage du sensible[6] ».

A rebours de la conception de la communauté comme espace du partage, de l’expérience vécue du commun, la communauté peut aussi être comprise comme lieu de l’entre‑soi, voire du repli sur soi agressif. La linguistique moderne permet à cet égard de décrire les ressorts discursifs, mais également matériels, médiatiques, voire cognitifs des formes de mise en commun comme des formes de rejet de l’Autre. La communauté naît en effet d’un partage de pratiques de toutes sortes qui ont une dimension communicative[7]. La communication verbale, gestuelle, multimodale, rituelle peut alors être vue comme le fondement et le reflet de communautés diverses : privées et publiques, professionnelles et de loisir, géographiques et sociales, linguistiques, etc.

Pour les détracteurs du « communautarisme », la communauté (ethnique, linguistique, religieuse, etc.) se constituerait toujours au détriment d’un commun plus large et plus légitime, de la nation, voire de l’universel. Comme l’indique le vocable qui la nomme, l’« Université » est partie prenante de cette querelle, qui oppose les défenseurs de l’universalisme de la Renaissance et des Lumières aux partisans d’une approche catégorielle ou intersectionnelle des phénomènes sociaux et de leurs représentations artistiques et littéraires, née des nouveaux champs disciplinaires (« studies ») qui ont bouleversé le paysage universitaire mondial. Penser la communauté, c’est donc aussi, pour tout chercheur dans le champ des humanités, s’interroger sur sa pratique épistémologique.

Les propositions de communication venant de disciplines diverses sont invitées à explorer les différentes facettes de la notion de « communauté » dans sa dimension sociale, politique, philosophique, esthétique, linguistique, juridique, etc. Les sujets suivants constituent des exemples de pistes possibles :

  • Communauté(s) et identité(s) : intégration, intersectionnalités, exclusions
  • Communauté, communautarisme, vivre-ensemble : bâtir le consensus
  • Dissensus et dissidences : fractures de la communauté, mise en danger ou reconstruction ?
  • Communauté, communs, collectifs : problématiques économiques et sociales, juridiques et législatives
  • Communauté(s) européenne(s), communauté mondiale
  • Représentations non-contemporaines de la communauté
  • Communautés virtuelles et nouvelles technologies 
  • La communauté dans le langage : discursivité, linguistique, traduction
  • Éducation et transmission : vers une communauté d’apprenants ?

La journée d’étude se déroulera à la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 les 12 et 13 juin 2020. Les présentations, d’une durée de 20 minutes, pourront avoir lieu en français ou en anglais.

Les propositions de 300 mots maximum, accompagnées d’une courte notice biographique, devront être envoyées au plus tard le 30 novembre 2019, à l’adresse suivante :  je.communaute@mailo.com

La sélection des propositions sera effectuée par les membres du comité scientifique avant le 15 janvier 2020.

Le comité organisateur et scientifique :

  • Inès Bigot (EA 4398 – PRISMES)
  • Anne-Morgane Devriendt (EA 2291 – ICEE)
  • Daniel Meharg (EA 4398 – PRISMES)
  • Gildas Riant (EA 4223 – CEREG)
  • Apolline Weibel (EA 4398 – PRISMES)
  • Lou Tina Nicole Nelly Youan (EA 2291 – ICEE)

Le comité pourra si nécessaire (en fonction du nombre et de la nature des propositions de communications reçues) avoir recours à des expert.e.s extérieur.e.s pour avis sur la constitution du programme.

Une publication issue de cette manifestation scientifique est envisagée.

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[1] Pierre-Philippe Jandin, Alain David (dir.), Penser la communauté, Revue des Sciences Humaines, n°213, 1989.

[2] Jean-Luc Nancy, La communauté désoeuvrée. Christian Bourgois, 1999 (Nouvelle édition revue et augmentée).

[3] Jean-Luc Nancy, Être singulier pluriel, Galilée, 1996, p. 78. Voir aussi la réponse de Maurice Blanchot à J-L Nancy, La communauté inavouable (Minuit, 1986) et le commentaire qu’en livre Nancy dans La communauté désavouée (Galilée, 2014).

[4] Judith Butler, Rassemblement. Pluralité, performativité et politique, trad. Christophe Jaquet, Fayard, 2016, p. 258 et p. 68-69. Citation originelle : “To be a participant in politics, to become part of concerted and collective action, one needs not only to make the claim for equality (equal rights, equal treatment), but to act and petition within the terms of equality, as an actor on equal standing with others. In that way communities that assemble on the street start to enact another idea of equality, freedom, and justice than the one that they oppose."

[5] Jacques Rancière, La Mésentente. Politique et philosophie, Galilée, 1995, p. 31.

[6] Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique, Galilée, 2004, p. 38-39. Pour une introduction éclairante à l’œuvre de Jacques Rancière, on pourra consulter « Le partage du sensible : Interview » (Multitude, 2007) : https://blogs.mediapart.fr/segesta3756/blog/150915/jacques-ranciere-le-partage-du-sensible-interview-multitude-2007 (consulté le 21 avril 2019).

[7] Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de la communication, Editions du Seuil, 1972 pour la traduction française (Titre original : Pragmatics of Human Communication, 1967, W.W. Norton & Company)