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"Amitiés vives". Littérature et amitié dans les correspondances d’écrivain.e.s (Mulhouse)

Publié le par Marc Escola (Source : Nikol Dziub)

« Amitiés vives » : Littérature et amitié dans les correspondances d’écrivain.e.s

Colloque international et pluridisciplinaire

14-15 mai 2020

Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes (ILLE)

Université de Haute-Alsace, Mulhouse

 

« La Psyché entre amis, la naissance de la pensée, dans la conversation et la correspondance, est nécessaire aux artistes », écrit Hölderlin dans une lettre à Casimir Böhlendorff. Située (comme d’ailleurs l’amitié elle-même) entre intimité et socialité, la correspondance d’écrivain.e.s est en effet un exercice bienfaisant dans la mesure où elle donne la parole à la fois au moi social et au moi profond des épistolier.ères. La lettre, de plus, dans la mesure où elle suppose une forme de communication fondée sur l’absence de l’interlocuteur.trice, cultive tout en la contrariant la solitude du.de la créateur.trice… On songera ici à la sentence cruelle d’Ibsen citée par André Gide dans la préface à l’édition 1920 de Corydon : « Les amis, dit Ibsen, sont dangereux non point tant par ce qu’ils vous font faire, que par ce qu’ils vous empêchent de faire. » Ou encore à telle lettre de Proust à Emmanuel Berl, où l’auteur de la Recherche évoque l’amitié étrange qui le lie à Anna de Noailles : « Je la connais depuis très longtemps, je l’ai connue jeune fille. Je n’admire aucun écrivain plus qu’elle, j’ai pour elle une profonde amitié […]. Pourtant […] depuis quinze ans, je n’ai pas essayé de la voir trois fois »… Ce qui ne l’empêcha pas d’avoir une influence profonde sur son interlocutrice – témoin cet extrait de la préface que cette dernière écrit en 1931 au moment de publier leur correspondance : « Sans Marcel Proust, sans ses hymnes du matin, ses angélus du soir, qui me parvenaient en des enveloppes surchargées de taxes supplémentaires […] je n’eusse pas écrit les poèmes que la prédilection de Marcel Proust réclamait. Son éblouissante amitié m’a influencée, modifiée, comme seul en est capable un noble amour du verbe. » On pourra penser également à l’amitié qui lia (un temps) Sigmund Freud à Carl Gustav Jung, et qui fut, pour chacun des deux hommes, l’occasion de développer une sorte de monologue autoanalytique devant témoin : « Excusez cette longue lettre ; c’est en l’écrivant seulement que je suis parvenu à la conscience de moi », écrit ainsi Freud à Jung. L’objet de ce colloque est donc de répondre aux deux questions suivantes : quel rôle la correspondance (genre par excellence du dialogue et de la négociation) joue-t-elle dans la formation d’une amitié d’écrivain.e.s ? Et dans le même temps, quelles répercussions la formation de cette amitié peut-elle avoir sur l’œuvre des écrivain.e.s qu’elle unit ? Voici quelques pistes de réflexion que nous voudrions explorer :

L’objet de ce colloque est donc de répondre aux deux questions suivantes : quel rôle la correspondance (genre par excellence du dialogue et de la négociation) joue-t-elle dans la formation d’une amitié d’écrivain.e.s ? Et dans le même temps, quelles répercussions la formation de cette amitié peut-elle avoir sur l’œuvre des écrivain.e.s qu’elle unit ? Voici quelques pistes de réflexion que nous voudrions explorer :

1) Une amitié d’écrivain.e.s implique-t-elle nécessairement une dimension littéraire ? Et quand c’est le cas, quelles sont les modalités de cette amitié si particulière ? Du duo au cénacle, au cercle ou à la guilde (Bloomsbury Group, Harlem Writers Guild, etc.), les groupes d’ami.e.s sont de dimensions variables. En outre, les amitiés d’écrivain.e.s ne sont pas toutes de même nature. Il convient de distinguer entre les amitiés durables et les amitiés éphémères, entre les amitiés précoces et les amitiés tardives, entre les amitiés stables et les amitiés intermittentes. Sans compter que certaines amitiés (entre maître et élève notamment – William Dean Howells et Stephen Crane, ou Jack London et Sinclair Lewis, pour ne citer que deux exemples parmi tant d’autres –, mais aussi parfois entre auteur.e et éditeur.rice, entre écrivain.e et critique, ou encore entre un.e écrivain.e et son.sa traducteur.trice) comportent une dimension hiérarchique, et d’autres une dimension érotique (on pensera, par exemple, à celle qui unit André Gide à son neveu, disciple et amant Marc Allégret). Il est en effet des amitiés qui se métamorphosent en passion (on pensera à Dorothy Bussy, l’impétueuse traductrice de Gide, qui se mit à aimer ce dernier d’amour), ou qui débouchent sur la formation de véritables fraternités ou sororités (voir l’essai d’Emily Midorikawa et Emma Claire Sweeney, A Secret Sisterhood : The Hidden Friendships of Austen, Bronte, Eliot and Woolf).

2) Comment, d’un point de vue rhétorique, stylistique et énonciatif, les amitiés d’écrivain.e.s se développent-elles et se manifestent-elles ? C’est tout un lexique (souvent laudatif) de l’amitié qui mérite d’être parcouru (on pensera au titre choisi par les éditeurs de la correspondance Georges Perec-Jacques Lederer, Cher, très cher, admirable et charmant ami… – mais aussi, pour remonter les siècles, aux hyperboles de Cicéron dans sa correspondance avec P. Cornelius Lentulus Spinther, et plus largement à la rhétorique antique de l’amicitia).

3) Quel rôle, par ailleurs, la réflexion sur l’amitié elle-même joue-t-elle dans la naissance d’une amitié – ou dans son dépérissement au contraire ? Dans une lettre à André Gide de 1894, Eugène Rouart écrit : « mon amitié doute pour être plus nette, pour enlever tout malentendu ». Ce à quoi Gide répond : « Je voudrais que tu m’estimes aussi ; car j’ai besoin également dans l’amitié d’estimer qui j’aime et d’être estimé par qui j’aime. » Hélas, les doutes ne sont pas toujours si vite levés. On pensera ici au beau texte de Giorgio Agamben, L’Amitié, qui s’ouvre sur l’évocation d’un échange de lettres avec Jean-Luc Nancy sur le thème de l’amitié. Paradoxalement, c’est la réflexion qu’ils mènent de concert sur l’amitié qui finit par faire obstacle à l’amitié des deux philosophes. Selon Agamben, il y a donc un vrai malaise dans l’amitié, cette posture ou cette pratique que la tradition associe à la fois à l’amour platonicien (philia) et à une certaine éthique judéo-chrétienne (« Deux hommes associés valent mieux qu’un seul. À deux, ils obtiennent un meilleur résultat pour leur travail. Si l’un des deux tombe, l’autre le relève. », Ecclésiaste 4 : 9-12). Double ambiguïté donc – l’amour et l’intérêt étant les Charybde et Scylla de l’amitié – que seul un silence relevant de l’aveuglement volontaire pourrait, peut-être, permettre d’ignorer. Agamben, d’ailleurs, est loin d’être le seul à se défier ouvertement de l’amitié : Jacques Derrida, ainsi, détruisit sa correspondance, et surtout, il plaça ses Politiques de l’amitié sous le signe de la prétérition dubitative, avec le fameux « Mes amis, il n’y a pas d’amis » attribué à Aristote par Montaigne.

4) D’où cette question : quelle place la reconnaissance de l’altérité tient-elle dans la constitution d’une amitié ? Le sujet est particulièrement complexe en une époque où se développent les queer studies et les gender studies. L’amitié, en effet, se situe dans l’espace de l’inter, entre alter et ego, entre same et self, entre idem et ipse. Nous aimerions aborder cet aspect de notre sujet selon trois axes (non exclusifs) : amitiés interculturelles (ou comment accueillir l’étranger.ère en littérature) ; amitiés intermédiales (écrivain.e.s et artistes) ; amitiés intergenres (hommes, femmes : quel statut pour quel genre dans l’histoire des amitiés littéraires ?). Un accent particulier sera mis sur les amitiés hommes/femmes (avec les exemples fameux de Diderot/Sophie Volland, Flaubert/Louise Colet, Balzac/George Sand, mais aussi, entre autres cas intéressants, Christa Wolf et ses nombreux amis – dont Franz Fühmann, Jürgen Habermas, Günter Grass ou encore Max Frisch).

Bref, c’est l’amitié en train de se faire, l’amitié vive, vivante, mouvante, que nous voulons mettre au centre de ce colloque. 

 

Comité scientifique :

Felipe Aparicio (Maître de Conférences, Université de Haute-Alsace)

Régine Battiston (Professeure, Université de Haute-Alsace)

Laurent Curelly (Professeur, Université de Haute-Alsace)

Hélène Dachez (Professeure, Université Toulouse Jean-Jaurès)

Nikol Dziub (Chercheuse post-doctorale, Université de Haute-Alsace)

Sonia Goldblum (Maître de conférences, Université de Haute-Alsace)

Christine Hammann (Maître de Conférences, Université de Haute-Alsace)

Marie Laniel (Maître de Conférences, Université de Picardie Jules-Verne)

Guyonne Leduc (Professeure, Université de Lille)

Maxime Leroy (Maître de Conférences, Université de Haute-Alsace)

Augustin Voegele (Chercheur post-doctoral, Université de Haute-Alsace)

 

Modalité de soumission des propositions :

les propositions (1/2 page environ), accompagnées d’une brève notice biobibliographique, seront à envoyer à Régine Battiston (regine.battiston@uha.fr) et à Nikol Dziub (nikol.dziub@uha.fr) avant le 1 décembre 2019. Le colloque donnera lieu à une publication avec évaluation en double-aveugle.