Appel à communications
L’épistolaire numérique : de l’encre au pixel
Journée d’Étude
Université de Limoges, 6 février 2026
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De la lettre au message numérique : écrire autrement
La lettre manuscrite est-elle une espèce en voie de disparition ? Benoît Melançon l’indique : « il est incontestable que sa pratique n’est plus aussi généralisée qu’elle l’a déjà été » (Melançon, 2025). « La lettre, ce petit rectangle de papier si commun et ordinaire » (Simonet-Tenant, 2004), laisse place aujourd’hui à d’autres formes bien plus variées. Entre les e-mails, les SMS et les réseaux sociaux, les manières de s’adresser à l’autre emploient de nouveaux médias, de nouveaux supports, de nouvelles temporalités. La lettre oscille donc entre le matériel et l’immatériel, le papier et le numérique. Cette « numéricité » récente marque-t-elle la fin d’un rapport à l’écriture manuscrite, et même à l’épistolarité tout court ? Ou au contraire n’est-elle qu’un jalon de plus dans l’évolution de l’écrit à travers les siècles et les supports ? À l’occasion de cette journée d’étude, nous aimerions aborder différents axes de réflexion, comme l’influence du numérique sur l’épistolarité, et vice-versa ; les tensions qui persistent entre ces deux pôles ; enfin la place de l’épistolaire numérique dans la littérature contemporaine et l’art.
Écrire avec des écrans
Les interfaces de communication évoluent et se multiplient. La matérialité de la lettre, soit le papier et l’encre, cède aujourd’hui la place aux écrans et aux pixels. Le geste même d’écrire engage de nouveaux mouvements : tenir une plume ou un stylo, ce n’est pas tapoter sur un portable ou un clavier. Ces évolutions sont autant de choix qui apparaissent dans les nouvelles pratiques de l’épistolarité. L’existence de l’alternative numérique donne une profondeur inédite à l’usage du papier : le recours à la plume plutôt qu’au clavier est en lui-même chargé de sens. La lettre peut être signe de gravité – ainsi, la déclaration de guerre ou d’adieu (Cauchie et al., 2017) ; mais aussi d’intimité (Simonet-Tenant, 2022) – dans la « déclaration » tout court. Elle incarne également un besoin de lenteur, découle d’une contrainte physique comme celle de la prison (Delugeard, 2016) ou de l’éloignement radical. Quels potentiels, quels gestes, quelles limites et quels plaisirs pour l’un et pour l’autre ?
Par cette multiplication des supports possibles, c'est tout notre rapport au temps qui est modifié. En effet, guetter à la fenêtre le passage du facteur n’est plus une fatalité. C’est en secondes que se compte aujourd’hui la réception des réponses numériques : messages rédigés, « remis » « vu[s] », accusés de réception numériques lourds de sens. Notre approche en termes de communication diffère : à l’ère des réseaux sociaux, l’instantanéité régit nos échanges. « La demande ne peut plus supporter l’absence ou le retard de réponse, créant une frustration insoutenable » (Germanos Besson, 2019). Ce rapport au temps renouvelle notre façon d'écrire et de lire, soulevant de nouvelles questions.
Quelles évolutions dans le plaisir d’écrire, d’attendre, de répondre ? Conserve-t-on des SMS comme on conserve des lettres ? Quelle matérialité pour cette nouvelle épistolarité ? En effet, le numérique est souvent qualifié d’ « immatériel », mais qu’en est-il de la matérialité des nouveaux supports, du clavier sur lequel on tape, de l’écran que l’on fixe, de l’appareil que l’on tient ? Il est important de se questionner sur les conséquences sensorielles, voire sensuelles, mais aussi environnementales de ces nouvelles technologies. Les messages numériques reposent sur une infrastructure énergétique invisible, mais massive. C’est en effet toute une chaîne internationale qui est mobilisée, pour des composants rares et une main d'œuvre exploitée. Quelles sont les différentes conséquences (environnementales, sociales, culturelles) de ces nouvelles formes de communication ? Comment concilier le besoin universel d’échange et la conscience écologique de ces nouvelles modalités ?
Littérature et numérique
Depuis quelques années, voire décennies, certain.e.s auteur.ice.s jouent avec les nouvelles formes d’épistolarité numérique. Des écrivain.e.s s’emparent de ces nouvelles manières de converser, les intégrant dans un récit, une trame romanesque, une mise en page influençant leur style et/ou leur narration. Cela implique un nouveau rapport au temps : l’insertion des e-mails et des textos, des SMS produit un rythme toujours plus rapide, à la limite de l’immédiateté, et une forme toujours plus concise. En effet l’épistolarité numérique tend à la rapidité mais également à la brièveté ; le support et sa temporalité influencent le format et le style de nos communications, modifiant notre appréhension du langage.
De nouveaux langages
L’ère de la communication numérique appporte un ensemble de nouvelles contraintes, tendances et perspectives. Recherche voire exigence de brièveté par la limitation à 280 caractères sur Twitter/X ou 2200 caractères sur Instagram, recours à un nouveau langage non-verbal fait d’un tissu d’émojis, de kaomoji et de gifs, popularisation de ces unités de mémoire nommées communément « mèmes » dont Wagener (2020) souligne « [la] capacité relativement inédite à combiner transmission virale extrême et mécanismes à la fois discursifs, graphiques et vidéomédiatiques ». Dès lors, quel formatage de la pensée, mais aussi quels nouveaux horizons créatifs dans ces langages numériques inédits ? D’où viennent ces émojis que les logiciels de discussion instantanée mettent à notre disposition, ces abréviations que nous utilisons parfois même à l’oral, ces mèmes et ces gifs dont nous raffolons ? Limitent-ils notre communication par l’intermédiaire de motifs préconçus, identiques pour tout le monde ? Marquent-ils l’apparition d’un mode universel de communication au-delà des mots, d’une sorte d’esperanto contemporain ? Et que dire des vocaux, plus proches de la « lettre orale » que de la conversation, format hybride dont Glikman et al. (2022) écrivent : « il s’agit de monologues et la coopération communicative est faible [...], il n’y a pas coprésence spatiale, ni a priori temporelle. Ainsi, ils partagent les caractéristiques des SMS écrits, tout en relevant du code oral » ?
Sensations et sentiments
Au cours de cette journée d’étude, nous aimerions interroger la récente et florissante diversité des supports et pratiques épistolaires. Quelle différence, quelle complémentarité entre le tourniquet de cartes postales portant nos souvenirs ensoleillés et les cartes de vœux virtuelles personnalisables à l'envi ? Entre la manière dont l’encre s’attarde sur la courbe d’un caractère, s'interrompt au pied d’un autre, et les divers silences d’un message vocal ? Entre le soin mis à trouver la série adéquate d’émojis, et le choix d’un joli timbre ? Envoyer ou recevoir un message, numérique ou non, peut susciter joie, frustration, attente, agacement, panique, plaisir, l'œil rivé à la boîte aux lettres ou vissé sur l’écran, le portable à la main, dans les transports, en marchant, à vélo, voire sous l’eau… Nous souhaiterions que toutes ces sensations et sentiments trouvent place au cours de notre journée d’étude, lors de communications, d’ateliers ou de performances artistiques. Qu’elle soit numérique ou non, en effet, « une lettre peut parfois changer une vie » (Melançon, 2025).
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Mode de soumission
La journée d’étude aura lieu le 6 février 2026 à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Limoges. Les propositions de communication (1500 signes environ) ainsi qu’une courte notice bibliographique (CV) sont à envoyer jusqu’au 5 janvier 2026 aux adresses suivantes : j.etude.limoges@gmail.com ; flsh-master2-fabli@unilim.fr ; odile.richard@unilim.fr
La langue de la journée d’étude sera le français.
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Comité d’organisation
Master FABLI (Fabrique de la littérature, Université de Limoges) ; DSAA Design Éco-responsable, Lycée La Souterraine Raymond Loewy-Université de Limoges ; Odile RICHARD (Université de Limoges) et l’équipe de recherche EHIC, Espaces Humains et Interactions Culturelles (UR 13334).
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Comité scientifique
Sonia ANTON, MCF (Université du Havre, GRIC)
Vivien BESSIÈRES, MCF HDR (Université de Limoges, EHIC)
Antoinette GIMARET, MCF (Université de Limoges, EHIC)
Sylvie LORENZO, MCF (Université de Limoges, EHIC)
Benoît MELANÇON, PR émérite (Université de Montréal)
Chloé OUAKED, MCF (Université de Limoges, EHIC)
Odile RICHARD, PR des universités (Université de Limoges, EHIC)
Nelly SANCHEZ, Chargée de cours, membre associée (Université de Limoges, EHIC)
Et les membres de la Revue ÉPISTOLAIRE (epistolaire.org)
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Bibliographie indicative
Boiarsky, Carolyn, “The Impact of Emailing and Texting on Effective Written Communication: Changes in Reading Patterns, Convergence of Subgenres, Confusion Between Social and Business Communication”, Purdue University Calumet, Indiana, USA, [en ligne], 2015.
Cauchie, Jean-François ; Corriveau, Patrice ; Hamel, Bryan, «“Croyez surtout pas que j’ai perdu la tête” : quand les lettres d’adieu de suicidés québécois défient les verdicts du coroner», Frontières 29, n°1, [en ligne], 2017.
Delugeard, Stéphanie, Les supports de l’écriture et de la communication en milieu carcéral, Thèse de doctorat en sémiotique, Limoges, Université de Limoges, 2016.
Fogel, Jean-François, Patino Bruno, La condition numérique, essai, Paris, Grasset, 2005.
Germanos Besson, Dina, « Pour une nouvelle poétique : de la lettre aux SMS », Topique, n°147, 2019, p. 53-62, [en ligne].
Glikman, Julie ; Fauth, Camille, « Un nouvel accès à la parole spontanée : les vocaux », Journées d’Étude sur la Parole, Île de Noirmoutier, France, 13 - 17 juin 2022.
Lacroix, Michel, « Traces et trame d’une littérature dans le siècle : réseaux et archives », Tangence, n° 78, 2005, p.91-110, [en ligne].
Lawrence, Gary, « Comment les médias sociaux ont tué la carte postale », L’Actualité, [en ligne], 2013.
Lescouet, Emmanuelle, « Texto et clavardage : l’épistolaire numérique », Colloque des cycles supérieurs du département des littératures de langue française, Échange, Montréal, Canada, [en ligne], mars 2022.
Lorenz, Paulina, Michot Nicolas, « Dictionnaires et répertoires SMS: approches Descriptive et lexicographique », Verbum, Vol. 3, Vilnius University Press, [en ligne], 2012.
Magnard Éditions, “Le genre épistolaire : de la communication à la fiction”, Dossier pédagogique, [en ligne], 2012.
Martin, Lisa, « Le compte Instagram Amours solitaires, quand l’écriture numérique sublime les échanges amoureux », Le Monde des livres, [en ligne], 2020.
Mechoulan, Éric, Vitali-Rosati, Marcello, « L’espace numérique : négociations d’adresse », Sens public (mai), [en ligne], 2018.
Melançon, Benoît, « Le cabinet des curiosités épistolaires », Épistolaire. Revue de l’AIRE n°40, Paris, Champion, 2014, p. 257-259.
Melançon, Benoît, « L’annonce de la mort de la lettre est tout à fait exagérée » dans Stéphanie Bernier et Michel Biron (éd.), Une écriture en mouvement. Les correspondances d’écrivains francophones au Canada, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, coll. « Archives des lettres canadiennes », XVIII, p. 503-517, 2025.
Richard, Odile, « La carte de vœux électronique : aux limites du bon goût », Épistolaire, n°30, 2004, p. 173-175.
Serres, Michel, Petite Poucette, Essai de philosophie, réflexion sur les humanités numériques, Paris, Éditions Le Pommier, 2012.
Simonet-Tenant, Françoise. « Aperçu historique de l'écriture épistolaire : du social à l'intime », Le Français aujourd'hui, n°147, 2004, p. 35-42, [en ligne].
Simonet-Tenant, Françoise, Introduction : « Les lettres et le ʺsecret de vieʺ », Dossier « Épistolaire et biographie », Épistolaire, n°48, 2022, p. 9-18.
Valenti, Gianluca, « Circulation de lettres, circulation de savoirs », Humanistica [en ligne], 2023.
Wagener, Albin, « Mèmes, gifs et communication cognitivo-affective sur Internet », Communication, vol. 37/1, [en ligne], 2020.
Wyett, Jodi L., "Embodying Character, Adapting Communication; or, the Senses and Sensibilities of Epistolarity and New Media in the Classroom", in ABO: Interactive Journal for Women in the Arts, 1640-1830, vol.7, Iss.1, Article 8, [en ligne].