
Porté par trois médiévistes, Nathalie Koble (ENS-PSL, ITEM), Amandine Mussou (Université Paris Cité), et Marion Uhlig (Université de Fribourg), en partenariat avec l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs-PSL et le Musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge, le colloque international « Soft Matters. Poésies textiles, jadis et aujourd’hui » fera dialoguer pendant trois journées complètes des chercheur.es d’horizons scientifiques variés, ainsi que des poètes et des artistes textiles. Deux figures majeures de la création contemporaine ouvriront et clôtureront notamment l’événement : la poétesse et sinologue Michèle Métail, spécialiste de poésie sur tissus et rouleaux, proposera une conférence plénière d’ouverture et l’artiste textile Sheila Hicks, à laquelle une exposition sera consacrée à partir du 30 septembre 2025 au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, donnera un entretien en clôture de notre manifestation.
Le colloque explorera dans une perspective matérielle et transmédiale les relations entre poésie et pratiques textiles, des périodes les plus anciennes jusqu’à l’extrême contemporain, et dans diverses aires géographiques et culturelles[1]. Techniques ancestrales que l’on retrouve dans toutes les cultures, la tapisserie et les travaux d’aiguilles entretiennent en effet avec la composition poétique des relations étroites. De la figure mythologique de Pénélope aux proverbes brodés d’Annette Messager (« Il faut craindre la femme et le tonnerre », « Femmes et brebis doivent être rentrées avant la nuit »…), de la poésie combinatoire sur brocart de soie de la poétesse chinoise du IVe siècle Su Hui aux Silk Poems contemporains de Jen Bervin, en passant par l’héritage des quipus incas ou les poèmes hindis de Kabîr le tisserand, les poèmes textiles redessinent, chacun dans son contexte propre, les contours de la poésie en déplaçant ses modalités d’expression, ses techniques, ses supports, ses conditions de production et de diffusion.
Entre pratique artisanale traditionnelle et poésie d’avant-garde, figuration et abstraction, poésie muette ou chantée en tissant et geste politique émancipateur, activité privée, confinée dans l’espace domestique, et production collective liée à l’exercice d’un métier, pratique contrainte ou méditation cadrée, les poèmes au fil font de la poésie un art hybride, qui mobilise le corps et sollicite la mémoire, à l’écart du livre. Poèmes visuels, mais aussi tactiles, tissés, brodés ou tricotés, ils sont liés à des objets uniques, ce sont en quelque sorte des manuscrits d’un genre spécifique. Les supports utilisés (tissus ou peaux) engagent par ailleurs une composante animale ou végétale qu’on retrouve dans les figures mythologiques associées à l’invention des arts textiles : araignées, chauves-souris, rossignols, vers à soie… Le poème se fabrique ainsi en mobilisant le vivant dans sa diversité. Enfin, inscrit dans des pratiques qui en contextualisent les usages, il est motivé par des enjeux multiples, qui conditionnent son rapport à l’espace, par sa circulation, sa taille (du poème au microscope à l’œuvre monumentale), son lieu d’exposition (chambres, musées, espaces publics, mais aussi corps, vêtements, boîtes en tous genres) : poésie de circonstance accompagnant un rituel festif, formules magiques, objets ornementaux ou symboliques, dons ou signes de reconnaissance, œuvres expérimentales, slogans politiques pouvant être rapidement déployés, poèmes militants… Tous mettent toutefois en lumière le pouvoir suggestif de cette écriture visuelle sur matériau souple, jouant de plis et de replis, langage codé et concret qui se confronte à la douceur et garde en mémoire aiguilles, épingles et fuseaux – invite à la rêverie ou pousse à la révolte. Soft matters…
Les communications entrecroiseront les disciplines et les approches du texte poétique et des œuvres textiles. Elles porteront en priorité sur les textiles qui contiennent ou renvoient à un texte poétique et se définissent comme des poèmes (haiku d’Anni Albers, glossolalia de Sheila Hicks, ode à l’oubli de Louise Bourgeois…), ou bien à l’inverse, sur des œuvres poétiques qui réfléchissent la pratique et la signification des arts du textile et inscrivent la poésie dans une histoire du craftivism. Pour appréhender la signification de ces œuvres hybrides, il sera nécessaire de diversifier les savoirs et les pratiques : des spécialistes en histoire des textiles, philologie et histoire des corpus poétiques, esthétique, anthropologie et sociologie, archéologie, mais aussi études de genre et histoire du féminisme, écopoétique, subaltern studies seront invité.es à partager leurs perspectives autour de ce sujet transdisciplinaire.
Les poésies textiles d’hier et d’aujourd’hui seront également incarnées au cours du colloque grâce à des performances (des chansons de toile médiévales seront interprétées, des lectures seront proposées à l’écoute grâce à QR codes brodés…), à des entretiens (avec des artistes émergentes ou confirmées) et à une visite au Musée national du Moyen Âge à Paris.
Ce colloque bénéficie du soutien de l’ITEM, du Département Littératures et langage de l’ENS-PSL, du Cérilac et de la Cité du genre de l’Université Paris Cité, et de l’Université de Fribourg (Suisse). Il s’inscrit dans l’axe de recherche « Humanités écologiques » de l’ENS-PSL. https://philofr.hypotheses.org/category/axe-humanites-ecologiques-ens
[1] Cette réflexion se situe dans le prolongement de plusieurs livres collectifs sur la poésie visuelle au Moyen Âge et aujourd’hui (notamment une récente publication soutenue par le CERILAC, Nathalie Koble et Amandine Mussou (dir.), « Ut musica poesis ». Poésie visuelle et sonore au Moyen Âge et aujourd’hui, Paris, Macula, 2024).