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Ginette Herry (1933-2025)

Ginette Herry (1933-2025)

Publié le par Marc Escola (Source : Françoise Decroisette)

Ginette Herry (1933-2025)

Ginette Herry s’est éteinte le 12 août dernier, à Saint-Dié, dans ces Vosges qui l’avaient vu naître et auxquelles elle était si attachée.

Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud, agrégée en littérature comparée, docteure d’Etat dans cette même discipline, Ginette Herry a développé, à partir de ce socle d’excellence ouvert au dialogue des langues, des littératures et des cultures, une intense activité polymorphe d’enseignante-chercheuse, de traductrice et de dramaturge, à l’université de Strasbourg et au T.N.S., où elle enseignait l’histoire du théâtre et l’analyse dramaturgique, affirmant dans chacun de ces domaines ses qualités de pédagogue et de passeuse de savoir, infatigable et passionnée. 

Son domaine de prédilection était le théâtre, dans sa double dimension textuelle et scénique, et dans sa diversité, mais plus particulièrement le théâtre italien. Ses recherches doctorales, centrées sur l’activité parisienne de Carlo Goldoni, se sont inscrites de façon décisive dans le renouveau des études goldoniennes en France, au cours des années 1965-1975. Poursuivies avec passion durant toute sa longue carrière, elles ont été couronnées par la publication chez l’éditeur Marsilio de Venise de quatre volumes d’une richissime Biografia ragionata de Goldoni (malheureusement arrêtée à l’année 1755), qui fait date dans les études goldoniennes. Les multiples ouvrages, articles, essais, traductions et pièces de théâtre qu’elle a consacrés au dramaturge vénitien expatrié en France font d’elle incontestablement la meilleure spécialiste française de son œuvre, internationalement reconnue. On retiendra, pour ne citer que deux autres contributions qui à elles seules résument toutes les facettes de son engagement, sa belle synthèse intitulée Goldoni à Venise. La passion du poète (Champion, 2002), et sa traduction d’une trilogie méconnue de Goldoni, Zelinda e Lindoro (Imprimerie Nationale, 1993) qu’elle adapte ensuite pour la scène avec Jean Claude Berutti, sous le titre de Zelinda et Lindoro. Fantaisie théâtrale en trois journées (2006). 

Nombreux sont celles et ceux qui se souviendront de l’énergie avec laquelle elle a orchestré entre 1991 et 1994 les célébrations françaises du Bicentenaire de la mort du dramaturge vénitien (1793), en liaison étroite avec les universités italiennes et au-delà, établissant un dialogue constructif et inédit entre universitaires, metteurs en scène, acteurs, traducteurs, éditeurs, réunis dans une structure plurielle, associative, qu’elle avait justement baptisée « Goldoni Européen ». Le bilan, impossible à détailler ici tant il est vaste – 5 colloques internationaux tenus en France, 40 traductions nouvelles parues dans cinq maisons d’édition, de très nombreuses mises en scène à Paris et en Province, des publications scientifiques et des fictions théâtrales - a été décisif pour une approche renouvelée et raisonnée de l’œuvre immense du Vénitien, enfin débarrassée des nombreux stéréotypes qui entravaient sa transmission. 

Son apport a également été fondamental pour la réflexion théorique et pratique sur la spécificité de la traduction théâtrale, qu’elle voulait interroger tout à la fois sur la page et sur les scènes, avec raison et obstination. « Traduire est une nécessité », écrivait-elle encore en 2017, en se demandant pourquoi elle continuait à traduire Goldoni aujourd’hui. Goldoni certes, mais aussi Vittorio Alfieri, Luigi Pirandello, Italo Svevo, Carmelo Bene, Dario Fo, Rocco D’Onghia, Furio Bordon, Fortunato Seminara, tous auteurs de premier plan qu’elle a si bien su défendre et faire passer auprès des lecteurs et du public français, ainsi qu’auprès des praticiens de la scène avec lesquels elle a collaboré étroitement, en tant que traductrice ou dramaturge, et ce depuis 1976. Citons Luca Ronconi, Massimo Castri, Jean-Claude Penchenat, Claude Stratz, Jacques Lassalle, Jean Claude Berutti, Stéphane Braunchweig, Muriel Mayette-Holtz … la liste est trop longue pour être exhaustive. 

Peut-être plus encore que les nombreux prix et distinctions honorifiques que lui ont valu, des deux côtés des Alpes, ses travaux universitaires et ses traductions, comme le Prix international Diego Valeri (Monselice, 1993) et sa nomination à l’Ordre des Arts et des Lettres (Paris, 1994), ce sont ces collaborations suivies et les spectacles auxquels elle a été étroitement associée, qui témoignent de l’originalité et de l’efficacité de son approche des textes de théâtre et de sa « méthode » traductive, attentive aux nuances de la langue et de l’écriture sans être jamais coupée de la scène, de ses respirations et de ses mouvements. Une méthode longuement réfléchie et expérimentée, qui confère aux auteurs qu’elle a servis une manière d’éternité : en témoigne la reprise de sa traduction de La Serva amorosa, qui a triomphé récemment dans une nouvelle mise en scène de l’actrice qui avait créé le rôle à la Comédie-Française, Catherine Hiegel, dans la belle mise en scène de Jacques Lassalle –. Cette « méthode », qu’elle nous a léguée, assure aussi dans nos mémoires, la présence toujours vivante de notre amie.  — Lucie Comparini et Françoise Decroisette

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