
On connaissait le Mascolo "politique" – celui de la Résistance, de la lutte contre la guerre d’Algérie, contre le coup d’État de de Gaulle en 1958 et ses répliques jusqu’en mai 68 – et le Mascolo "de Duras". Le livre qui paraît ces jours-ci à la Fabrique sous le titre Je suis ce qui me manque. Fragments d'âme, 1938-1993 avec une présentation signée par Đỗ Văn Nghĩa et Julien Coupat, nous fait découvrir un autre Mascolo : celui des carnets où il a tenu son journal sa vie durant. Un homme s’y confronte, mois après mois, à un monde qui, dans sa sanglante aberration, ne diffère en rien du nôtre : une civilisation faillie, mais qui entend se maintenir par tous les moyens, d’abord les plus féroces. Il y est donc question d’amour et de musique, d’ennui et de dégoût, de révolution et du désir de mourir, du lever du jour, de Stendhal et des années 1980. Du face-à-face avec le nihilisme, Mascolo ne tire pas seulement des aphorismes ciselés, des pépites de pensée, des perceptions fulgurées, des descriptions exemplaires. Il en tire un art de vivre. Il dessine très exactement ce qui nous manque : une voie de sortie hors du capital, hors de l’idéologie, hors de la mauvaise conscience, hors de la politique – la possibilité vécue d’un communisme inouï.