
Appel à contributions pour un colloque interdisciplinaire
« Écopoétiques de l’imaginaire (XIXe-XXIe siècles) »
Université de Lausanne (UNIL), les 29-31 octobre 2025
Co-organisation :
Romain Bionda, Dominique Kunz Westerhoff et Alicia Schmid (UNIL)
Comité scientifique :
Sara Buekens (Université libre de Bruxelles), Pierre Schoentjes (Université de Gand)
& le Centre interdisciplinaire d’étude des littératures (UNIL).
Ce colloque est consacré aux écopoétiques des « genres de l’imaginaire »[1] (conte, fantastique, fantasy, science-fiction, utopie/dystopie, uchronie, récit d’anticipation, récit post-apocalyptique…), de langue française ou de toute autre langue, du XIXe siècle à nos jours. Il portera en particulier sur les formes expressives et les enjeux de l’imaginaire environnemental au prisme d’une ontologie non réaliste : sémantique des mondes, éconarratologie et caractérisation de personnages, imagination allégorique et stylistique, configurations imageantes et incarnations de rapports au vivant, pragmatique de l’imaginaire et effets de réception… À partir des littératures de genre et à leurs entours, des phénomènes d’interculturalité, de transfictionnalité[2] ou d’intermédialité (cinéma, bande dessinée, roman graphique, jeu vidéo…) pourront également être observés.
Du roman Ignis (1883) de Didier de Chousy au film d’animation Flow (2024) de Gints Zilbaldis, en passant – pour les cinquante dernières années – par le roman Ecotopia (1975) d’Ernest Callenbach, le dessin animé FernGully: the Last Rainforest (1992), la Klimatrilogie (2017) théâtrale de Thomas Köck, la bande dessinée The End (2018) de Zep ou encore le jeu vidéo After us (2023) de Piccolo Studio, de très nombreuses œuvres ressortissant aux genres de l’imaginaire accordent une place importante à des enjeux écologiques. Les œuvres en question abordent ou évoquent des sujets en lien à la biodiversité, au climat, aux énergies, aux paysages, à la pollution, etc. Ces éléments servent parfois à nouer l’intrigue, lorsqu’il s’agit pour les personnages d’empêcher la survenue d’une catastrophe ou de résoudre un problème environnemental – ainsi du jeu vidéo Horizon Zero Dawn (2017) de Guerrilla Games –, ou de trouver un moyen de vivre avec le changement environnemental, comme dans la pièce Quand viendra la vague (2019) d’Alice Zeniter. Plus souvent, ils donnent un cadre narratif au récit ou apparaissent uniquement en toile de fond, lorsque les personnages évoluent dans un monde postapocalyptique compromettant leur survie – ainsi de la bande dessinée Le Transperceneige (1982-1983) de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette – ou, au contraire, dans un monde à l’abri de ses pressions mortifères les plus critiques, comme dans Always Coming Home (1985) d’Ursula K. Le Guin. Quoi qu’il en soit de leur degré d’élaboration, ces éléments constituent autant de propositions écopoétiques de l’imaginaire. Notre colloque vise à embrasser cette profusion, cette diversité, cette actualité multimédia, mais aussi à cerner des spécificités de genres, d’écritures et de supports, à étudier leurs points de contact, de translation ou d’hybridation, avec en point de mire une défense et illustration des genres de l’imaginaire dans le champ des green studies.
Questions de genres
Les historiographies de l’écocritique – qu’on doit notamment à l’Ecocriticism Reader (1996) dirigé par Cheryll Glotfelty et Harold Fromm – font généralement remonter le courant d’études à deux sources : un article de William Rueckert (1978), qui inventerait le mot, et un livre de Joseph W. Meeker (1974), souvent reconnu comme « le premier texte qui analyse les genres littéraires selon une perspective écologique » (Posthumus, 2017, § 2). L’approche se consolide dans les années 1990. Dans cette décennie, des deux côtés de l’Atlantique, l’écocritique américaine et l’écopoétique européenne se constituent à partir de processus de délimitation et de canonisation environnementale de certains genres littéraires, qui conduisent ensuite à un élargissement progressif à d’autres genres d’abord moins considérés. Elles se développent notamment autour de genres et d’auteurs déjà canoniques, fortement identitaires dans les cultures anglophones, de William Wordsworth en Angleterre à Henry David Thoreau aux États-Unis. Ces choix stratégiques sont caractéristiques d’une démarche manifestaire visant à faire advenir un tournant critique – et, en l’occurrence, une nouvelle forme d’engagement littéraire – à partir d’œuvres centrales et déjà légitimées. À cet étai culturel s’est également associé l’argument d’accointances formelles et structurelles entre ces genres élus et leur référent naturel. La poésie lyrique, selon Jonathan Bate, accorde le rythme du vers au battement du vivant et au « chant de la terre » (The Song of the Earth, 2000), tandis que pour Lawrence Buell, c’est le nature writing de non-fiction qui répond le mieux aux quatre « critères »[3] qu’il pose comme définitoires du « texte environnemental » (The Environmental Imagination, 1995). Par ses dimensions référentielles, historiques et culturelles, le genre réaliste serait le plus propice à la présence des composantes discursives, éthiques, idéologiques et politiques d’une « responsabilité » environnementale. Par la suite, l’écocritique américaine s’est rapidement développée en dépassant le nature writing, y compris chez Buell (2001), et à travers ses débats théoriques (sur l’écomimésis, notamment), pour s’étendre potentiellement à « tout texte [every text] » (Glotfelty, dans Glotfelty et Fromm, 1996, p. XXXII).
À partir du transfert de l’écocritique dans le champ francophone au tournant des années 2010, le curseur du canon générique se déplace vers le roman réaliste contemporain. Le premier « Essai d’écopoétique » de langue française, sous la plume de Pierre Schoentjes (Ce qui a lieu, 2015), se concentre sur un genre beaucoup plus marginal dans le canon français que ne l’était le livre culte de Thoreau dans « la formation de la culture américaine » (Buell, 1995) : le roman rural ou sylvestre du XXe siècle (Pierre Gascar, Claude Simon, Jean-Loup Trassard…), qu’il s’agit de désaffubler de l’étiquette régionaliste et de tout « prisme national ». Le geste fondateur de Pierre Schoentjes consiste à faire revenir le réel, les realia naturels et le réalisme dans la pensée littéraire à partir d’une « littérature oubliée » (p. 276), capable de « mettre en avant le monde naturel » et de « rapprocher la littérature d’une expérience concrète » (p. 28).
À la suite de cette première pierre de touche francophone, le méta-genre émergent du « roman environnemental » s’élargit à son tour à d’autres domaines. Dans Littérature et écologie (2020), Pierre Schoentjes s’intéresse à certains topoï des littératures de l’imaginaire, comme la fiction post-apocalyptique, mais dans des œuvres qui demeurent entées sur une ontologie réaliste et sur « le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui » (p. 288). Relevons encore qu’Anne Simon, en introduction à son Essai de zoopoétique (2021), avertit le lecteur que les genres « du conte, de la science-fiction » ou « de l’Heroic Fantasy » (p. 33) ne feront pas partie de son corpus, si varié par ailleurs – et ouvert à certains genres de l’imaginaire, à en juger par le chapitre sur les métamorphoses animales chez Marie Darrieussecq.
Vers des écopoétiques de l’imaginaire
Ces choix de genres réalistes chez les fondateurs et fondatrices de l’écocritique, de l’écopoétique et de la zoopoétique ne se veulent pas des exclusives et relèvent d’abord de spécialités personnelles : tous ces chercheurs et chercheuses suggèrent l’extension potentielle de leurs approches à d’autres genres et plaident parfois pour « leur insertion dans les corpus généraux de recherche » (Simon, 2021, p. 33). Dans Ce qui a lieu, Pierre Schoentjes mentionne à juste titre l’attention de la science-fiction aux problématiques environnementales. Toutefois, pour promouvoir l’écopoétique dans un contexte français de méfiance vis-à-vis des études culturelles (Posthumus, 2017b ; Finch-Race et Posthumus, 2017), sans doute fallait-il détacher la préoccupation écologique d’un mauvais genre, souvent soupçonné d’escapisme ou de technosolutionnisme. Un tel scepticisme sur la pertinence environnementale de la science-fiction paraît particulièrement marqué chez Amitav Ghosh. Dans son essai majeur, Le Grand Dérangement (2016), celui-ci scinde les représentations de l’humain et du non humain dans la modernité littéraire à travers une métaphore saisissante et particulièrement dépréciative pour les genres de l’imaginaire : d’une part, « le manoir de la fiction sérieuse [the mansion of serious fiction] » serait presque exclusivement consacré à l’humain ; d’autre part, la SF et la fantasy auraient été « bannies » dans des « resserres [outhouses] » où seraient reléguées leurs créatures non-humaines (p. 66, trad. 2021, p. 81). Selon l’auteur indien, la science-fiction, par ses conjectures sur des mondes futurs, participerait à sa manière au déni général des menaces pesant sur l’environnement : « l’ère du changement climatique résiste à la science-fiction [Anthropocene resists science fiction] » (p. 72, trad. p. 88).
Malgré ces réticences explicites, le canon des green studies poursuit son extension vers une réhabilitation des genres de l’imaginaire, sans doute parce que la présence croissante et la puissance critique des narrations environnementales y sont de plus en plus indéniables. Aux États-Unis, Ursula K. Heise a beaucoup contribué à replacer la fiction spéculative au cœur des enjeux de l’écocritique. Dans Sense of Place and Sense of Planet (2008), elle démontre avec éloquence que les représentations d’un monde « global » et des réseaux holistiques du vivant à l’échelle planétaire – deux concepts-clé de la pensée environnementale – impliquent nécessairement un imaginaire esthétique dégagé du cadre réaliste de la perception humaine, toujours située. À moins de se trouver dans un vaisseau spatial et de contempler la « planète bleue » à distance (une expérience scientifique qu’elle désigne comme l’un des points d’origine du mouvement écologiste), il faut presque « mécaniquement » (p. 64) passer par l’allégorie ou le collage – deux formes structurales de la poétique science-fictionnelle – pour articuler une dialectique littéraire du global et du local. L’autrice fait donc de la fiction spéculative un art exploratoire, susceptible de décentrer le lecteur du point de vue humain pour configurer un autre rapport à l’espace. Elle revient au storytelling planétaire et aux représentations conjecturales du temps géologique dans son essai Imagining Extinction (2016), où elle défend l’idée, à l’inverse d’Amitav Ghosh, de l’Anthropocène comme un trope culturel de terraformation spécifiquement science-fictionnel ; un trope qui peut être modulé sur le mode élégiaque, solastalgique, voire misanthropique, ou sur le mode heuristique de « nouvelles formes de nature [new kinds of nature] » (p. 211), d’une « écologie hybride [hybrid ecology] » et d’une « écologie imaginaire [imaginary ecology] » (p. 233), ou encore d’un « écocosmopolitisme [eco-cosmopolitanism] » orienté vers une « justice multispécifique [multispecies justice] » (p. 226).
En France, les auteurs et autrices de science-fiction ont défendu depuis longtemps le rôle pionnier du genre dans l’apparition d’une « préoccupation écologique ». C’est même « dans la science-fiction moderne qu’il faudrait rechercher les origines » de ce mouvement, selon Gérard Klein (1980, p. 6). Dans sa préface aux Histoires écologiques (La Grande Anthologie de la science-fiction, 1980), il décrit les fictions de voyages extraterrestres comme un « miroir du vide », renvoyant l’humain à la conscience « qu’il n’a qu’une demeure, limitée par suite épuisable et destructible » (p. 5-6), soit le contraire de ce que dira Amitav Ghosh. Un autre de ses arguments, la « précognition » (p. 7) ou les pouvoirs prophétiques de la SF concernant l’avenir de la Terre, est plus contesté. Aujourd’hui, la critique française et francophone de science-fiction ne retient pas ce concept daté pour présenter la contribution du genre à la pensée écologique (Atallah, 2015). Elle s’est d’abord intéressée aux « mythologies de fin du monde », dans les récits que Christian Chelebourg baptise du néologisme Les Écofictions (2012). À partir d’un corpus de SF mainstream (en majeure partie des films hollywoodiens), l’auteur pointe les biais prométhéens ou herculéens du technosolutionnisme et le voyeurisme des « hypotyposes » de la catastrophe, comme autant de maintiens d’une illusion de toute-puissance humaine. À l’inverse, Irène Langlet (2020a) soulève le potentiel heuristique de la SF, structurellement fondé sur une « fabrique de futur au temps du présentisme » : les « science-fictions ne sont pas des programmes politiques destinés à résoudre le problème de l’Anthropocène ; elles dénudent le principe de l’action politique, en donnant à penser le programme d’une révolution sans programme : un répertoire d’actions fondamentales, de modes de présence au monde et aux humains » (p. 206). Le politiste Yannick Rumpala (2018) décrit également la SF comme « une forme de problématisation » qui permet d’ « enclencher une expérience de pensée », « d’interroger les conditions de possibilité de telle que sorte que […] la représentation d’une question se trouve modifiée » (p. 23-24), notamment grâce à des conceptions « très plastiques du vivant et des écosystèmes » (p. 18).
Dans l’ensemble foisonnant des « littératures de l’imaginaire » (Besson, 2023), la science-fiction a donc particulièrement retenu l’attention des critiques pour sa critique souvent ironique et sa contre-modélisation de nos rapports à l’environnement, encore que la nature y occupe une présence très différente selon ses sous-genres, presque disparue dans le cyberpunk, centrale dans le solarpunk. Anne Besson fait un sort à l’accusation d’escapisme en conclusion de ses Constellations (2015), pour définir « le mode d’existence des possibles imaginés » comme celui du « presque réel », « à côté, tout près » du réel : « le récit lie la diversité du réel, et des communautés à leur tour se lient en lui » (p. 485 et 491). Dans Les Pouvoirs de l’enchantement (2021), elle démontre que non seulement les récits de l’imaginaire sont en prise avec les enjeux contemporains de la contre-culture, dont les luttes environnementales, l’écoféminisme, l’antispécisme…, mais qu’ils participent encore à la construction d’une conscience politique chez leur jeune public, servant de relais et de référence à des mouvements de contestation, notamment dans le fanactivisme, sans toutefois que les fictions se substituent aux instruments démocratiques et à l’action politique. Elle invite à ne pas « surinvestir la puissance transformative des fictions » (p. 150) émanant des industries culturelles occidentales, mais elle relève bel et bien des effets de mobilisation critique et de cristallisation affective exercés par « l’enchantement » de l’imaginaire, contre le « désenchantement » des grands récits.
Cette attention portée à la réception des fictions s’est particulièrement développée dans les courants récents de « l’éconarratologie », née sous la plume d’Erin James (2015) dans une perspective postcoloniale, puis largement reprise (Weik von Mossner, 2017 ; Herman, 2018 ; James et Morel, 2020 ; Caracciolo, 2021, 2022a et 2022b ; James, 2022), et de « l’écocritique empirique » américaines (Schneider-Mayerson, 2018 ; Schneider-Mayerson et al., 2023), qui visent à décrire et formaliser les récits environnementaux, mais aussi à évaluer et mesurer sur le lectorat leur influence et leur capacité à induire un changement social. Sans qu’un consensus se dégage nettement sur les genres les plus pragmatiquement efficaces, les « fictions contre-factuelles » sont au cœur de ces études. Elles permettent à la fois de produire une distance émotionnelle face aux menaces environnementales et d’engager le lecteur, tant affectivement que cognitivement, dans des simulations d’expériences « incarnées, contextualisées, actives et étendues [embodied, embedded, enactive and extended] » (Weik von Mossen, 2018, p. 4). Les genres non réalistes provoquent une défamiliarisation qui détacherait le lecteur des fausses évidences d’une culture fondée sur l’instrumentalisation de la nature. Ils l’amèneraient à vivre autrement, y compris sensoriellement et émotionnellement, l’espace, le temps, les processus naturels ou les comportements sociaux, non seulement fictivement par immersion, mais aussi dans le monde réel, grâce à la réflexivité critique et au parcours de réception du récit : « le processus de rencontre avec d’autres environnements dans des récits pourrait affecter dans le monde réel les attitudes et comportements du lecteur[4] » (James et Morel, 2020, p. 1).
Les genres de notre colloque
Les tropes des littératures de l’imaginaire ont donc si bien démontré leur pertinence environnementale, à divers niveaux (voir notamment Milner et Burgmann, 2020 ; Caracciolo, 2022a), ils se sont tellement diffusés au-delà de leur niche éditoriale, dans la création contemporaine des années 2020 et dans la pensée théorique, que des « méta-genres » se sont constitués, avec une nette tendance à la dissolution des critères mêmes de genres : ainsi, Jean-Paul Engélibert a commenté les fictions d’apocalypse dans et au-delà de la science-fiction (2013, 2019) ; les fictions climatiques (Chelebourg, 2019 ; Huz et Langlet, 2023) englobent de multiples formes d’ontologies romanesques, tandis que des romans dystopiques d’anticipation imminente se sont multipliés au confluent des littératures de genre et de la littérature blanche, dans une forme de « réalisme étendu » (Bréan et Bridet, 2024). L’écofiction est devenue en soi un supra-genre susceptible de les chapeauter tous. Ce colloque n’aura pas pour but de ramener la question environnementale dans des barrières génériques, mais d’explorer les processus écopoétiques au sein des littératures de l’imaginaire, et à leurs entours. Il s’agira notamment d’analyser des genres moins commentés que la SF sous cet angle, comme la fantasy ou l’uchronie, en dépit de leur prolifération éditoriale, et d’observer des phénomènes de vacillement du réalisme dans des récits où s’opèrent un retour du fantastique, un afflux du fabuleux, ou encore un affleurement du réalisme magique (Holgate, 2019), notamment dans une perspective postcoloniale (Huggan et Tiffin, 2007 et 2010 ; Buekens, 2025) ou décoloniale (Boizette, Garnier, Lefilleul et Riva, 2021).
Pour des imaginaires environnementaux
Les communications porteront plus particulièrement sur l’étude des multiples formes de l’imaginaire environnemental, qui sont aux sources mêmes des green studies. Dans Romantic Ecology (1991), Jonathan Bate a cherché à réhabiliter l’imagination romantique comme une puissance de relation avec le vivant, contre des conceptions subjectivistes de l’idéalisme lyrique. Dans The Environmental Imagination (1995), Lawrence Buell a soulevé la nécessité d’une « crise de l’imagination » pour répondre à la « crise de l’environnement[5] » (p. 2), c’est-à-dire d’une réforme de nos représentations culturelles de la nature. Dans Imagining Extinction (2016), Ursula K. Heise a appelé, pour mobiliser le public en faveur de la préservation des espèces menacées, à solliciter « les vastes structures de l’imagination [these broader structures of imagination] » (p. 5) et à élaborer des visions politiques « au-delà de ce qui existe actuellement [beyond what currently exists] » (p. 226). Pierre Schoentjes (2015) a souligné que « la littérature et l’imaginaire sont en interaction constante et déterminent aussi la manière dont nous nous comportons envers la nature » (p. 273). Enfin, comme l’ont relevé Pierre Boizette, Xavier Garnier, Alice Lefilleul et Silvia Riva (2021), « le défi de l’écopoétique décoloniale est de proposer un mode de planétarisation non impérial », ce qui « ne consiste pas renoncer à une ambition globale pour la lutte, mais à opérer des cristallisations locales où naîtront ces visions et d’où elles pourront se propager » (p. 76).
D’une manière transversale, il s’agit de dépasser un modèle de rationalité cartésienne, et plus généralement un réductionnisme occidental, qui ont fixé la dichotomie des humains comme « maîtres et possesseurs de la nature ». Sous l’angle d’une reconnaissance du rôle de l’imagination en général, et des genres de l’imaginaire en particulier, dans l’exercice d’expériences de pensée et d’écriture qui pourraient être mises au profit d’une redéfinition de notre rapport au vivant, ainsi que d’une transition écologique et sociale, notre colloque étudiera des fictions explicitement « environnementales » ou des fictions témoignant seulement d’un « inconscient environnemental » (Buell, 1995 et 2001), dans une perspective comparatiste, c’est-à-dire plurilingue, pluriculturelle, ou plurimédiale, des XIXe au XXIe siècles.
Axes du colloque
Quels sont les apports spécifiques des genres de l’imaginaire et de leurs ontologies à l’écopoétique ? En quoi l’imaginaire de mondes inactuels peut-il contribuer à inventer, modéliser, refigurer d’autres conceptions de l’environnement et d’autres manières d’être au monde, y compris à notre monde réel ? Comment écrire avec l’environnement, et pour l’environnement, sur le mode expérimental de l’imaginaire spéculatif, fantastique ou merveilleux ?
1. Imaginaires des mondes : l’écopoétique au prisme des genres de l’imaginaire et de leur worldbuilding. Écologies imaginaires repensant les rapports de cultures, de genres (féminin/masculin), d’espèces et de règnes au sein du vivant et des écosystèmes. Spécificités et hybridations génériques, au croisement des ontologies réalistes et imaginaires (spéculatives, fantastiques, fantasystes, fabuleuses…).
2. Éconarratologies de l’imaginaire : poétique des écofictions non-réalistes, ou aux frontières de l’imaginaire et du réalisme ; focalisations environnementales, biocentrées, écocentrées ; articulations narratives d’enjeux et de discours environnementaux (cadre narratif ou toile de fond ; nœud de l’intrigue ou processus d’apprentissage, initiatiques, survivalistes…) ; articulation de la fiction avec le manifeste environnemental ; caractérisation de personnages autres qu’humains, hybrides, mutants, ou à l’ontologie incertaine.
3. Configurations imageantes, intramédiatiques, plurimédiatiques, transmédiatiques : imaginaire allégorique ou stylistique, visualisations non anthropocentrées (stylistiques, graphiques, filmiques, vidéoludiques…) ; iconicité ou hypotyposes d’un environnement dégradé, préservé, transformé, ou alternatif, d’un médium l’autre.
4. Spécificités médiatiques et enjeux transmédiatiques des écopoétiques de l’imaginaire : différences des arts et des médias, spécificités de leurs supports, de leurs représentations et de l’histoire de leur production ; adaptations transmédiatiques mettant en évidence ces moyens particuliers d’expressions ; caractéristiques et tensions de leur production et de leur diffusion.
5. Transfictionnalités : filiations transgénériques ou transmédiatiques de mythes et de figures imaginaires chargés d’une valeur environnementale ; processus de resémantisation, de renversements critiques, de réactualisation.
6. Production et réception au prisme d’une pragmatique environnementale : stratégies narratives ou performatives d’implication et de mobilisation du public ; interaction des genres ou des médias avec leur réception (lecture différée ou participative par la performance ou l’écriture interactive ; intégration des espaces dans l’écodramaturgie…) ; postures environnementalistes d’auteurs et autrices ; articulation de la fiction à un activisme ; effets de réception sur les œuvres, engagements littéraires par la réception, fanactivisme…
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Délai de soumission des propositions de communication
Les communications dureront 30 minutes et pourront être présentées en français ou en anglais.
Les propositions comprenant un intitulé et cinq à dix lignes de descriptif seront adressées conjointement à
Romain.Bionda@unil.ch, Dominique.KunzWesterhoff@unil.ch et Alicia.Schmid@unil.ch, jusqu’au 1er juillet 2025.
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[1] Par « genres de l’imaginaire », on entend ici « l’imaginaire » non au sens large d’une fiction d’imagination, mais au sens spécifique et désormais bien identifié, dans la théorie littéraire et dans l’édition, d’une fiction à l’ontologie non-réaliste, que celle-ci soit conjecturale ou spéculative, merveilleuse, fantastique, etc., l’équivalent anglophone étant l’acronyme S.F.F. (pour science-fiction, fantastique / fantasy). Voir Anne Besson (2023).
[2] Selon la définition du concept forgé par Richard Saint-Gelais (2011) : « Par transfictionnalité, j’entends le phénomène par lequel au moins deux textes, du même auteur ou non, se rapportent conjointement à une même fiction, que ce soit par reprise de personnages, prolongement d’une intrigue préalable ou partage d’univers fictionnel » (p. 7). Le « texte » est à comprendre ici dans « une acception large qui couvre aussi le cinéma, la télévision, la bande dessinée, etc » (ibid.).
[3] Pour les rappeler brièvement, il s’agit : 1. de la présence du non-humain suggérant l’implication de l’histoire humaine dans une histoire naturelle ; 2. de la valorisation d’intérêts autres qu’humains ; 3. d’une responsabilité humaine vis-à-vis de l’environnement dans une orientation éthique du texte ; 4. d’une agentivité au moins implicite de l’environnement (Buell, 1995, p. 6-8).
[4] « […] the process of encountering different environments in narratives might affect real-world attitudes and behaviors of those readers ».
[5] « […] environmental crisis involves a crisis of the imagination the amelioration of which depends on finding better ways of imaging nature and humanity’s relation to it ».