
Écrire la frontière : entre littérature, formes esthétiques, migrations et créations interculturelles (revue
Appel à contributions
Revue Langues, Littératures et Arts, numéro 8 :
Écrire la frontière : entre littérature, formes esthétiques, migrations et créations interculturelles
ISSN : 2665-8674 — Indexée au portail SNRST (Maroc)
Date limite de réception des articles : 30 novembre 2025
Normes bibliographiques : APA 7e éd.
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La Revue Langues Littératures et Arts est une revue semestrielle qui se donne comme ligne éditoriale de rassembler toutes contributions qui permettraient d’interroger les articulations entre langue, littérature et les arts au regard de leurs pratiques actuelles dans une mise en perspective avec le passé et l’avenir. Objet de débat sur leurs champs de recherche et leurs identités légitimes, ce projet ambitionne d’ouvrir des dialogues interdisciplinaires et multiculturels à partir de leurs interconnexions avec les disciplines en question, leur relation et leur croisement.
Éditée par la Faculté des Lettres et de Sciences Humaines, Université Ibn Zohr Agadir.
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Argumentaire
« La frontière n’est pas une ligne : c’est un espace », nous disait encore Étienne Balibar (Nous, citoyens d’Europe ?, 2001). Aborder aujourd’hui la question de la frontière ne doit pas se limiter à une approche géopolitique figée car celle-ci s’avère souvent un lieu de passages, de frictions et de métissages, où s’élaborent des identités plurielles, s’entrecroisent les mémoires et se reconfigurent les imaginaires. Michel Foucher nous rappelle dans ce sillage que « la frontière est d’abord une construction sociale et politique » (L’obsession des frontières, 2007), qui doit être considérée moins comme une barrière inerte que comme un espace dynamique, empreint d’échanges, de conflits et d’hybridations. Écrire la frontière, serait donc une démarche visant étudier l’épaisseur d’un lieu où se recoupent et s’interpénètrent les langues, les cultures et les formes esthétiques.
Dans cette approche ouverte par Michel Foucault, la frontière se conçoit d’autant plus comme un espace discursif où les savoirs se transforment et se redéfinissent au contact de l’altérité. Julia Kristeva (Séméiotikè, 1969) nous rappelle, dans cette optique sémiotique que tout texte est « une mosaïque de citations », transférées et réévaluées, ainsi comme le confirme Roland Barthes, « tout texte est un intertexte.» (Le Bruissement de la langue, 1984)
Ces orientations trouvent, par ailleurs, une résonance toute particulière dans La Poétique de la Relation d’Édouard Glissant (1990), œuvre animée en filigrane par un souffle poétique faisant de l’écriture le lieu ultime où se tissent les différences, celles des identités qui s’émeuvent dans l’échange et le respect de l’altérité. Nous touchons ici à une approche similaire à celle développée par Umberto Eco, lequel appréhende l’œuvre comme un espace sempiternellement ouvert à la pluralité interprétative (L’Œuvre ouverte, 1965). Dans le prolongement de cette perspective, Abdelkébir Khatibi (Maghreb pluriel, 1983) place ce processus herméneutique au cœur même de l’expérience maghrébine, où la « double écriture » articule héritages culturel arabe, berbère et français. Mohamed Arkoun (Humanisme et islam, 2006) poursuit pour sa part cette réflexion en se focalisant sur la nécessité de surmonter les « frontières mentales » héritées de l’histoire coloniale, dans l’espoir de réinventer un espace critique universel et humaniste par l’entremise duquel les savoirs peuvent se partager loin des stéréotypes mortifères. Tout bien considéré, Edward W. Saïd (Culture and Imperialism, 1993), mettra en évidence la façon dont la littérature participe à dessiner des frontières symboliques entre Orient et Occident. Son approche est ainsi inscrite, comme celle d’ailleurs de Dérida, dans la déconstruction. (De la grammatologie, 1967). On peut donc voir comment le concept de frontière associe en même temps approche esthétique, enjeu éthique et espace politique, d’autant plus dans les sociétés marquées par l’histoire coloniale, les mouvements migratoires et par conséquent, les hybridations culturelles.
L’autre thématique majeure qui pourrait configurer cette lecture de l’espace relèverait davantage de l’immigration, envisagée comme phénomène historique, social et esthétique. En effet, les récits de migration et d’exil, qu’ils soient autobiographiques, fictionnels ou poétiques, racontent souvent la traversée des espaces inhérents à la refondation des appartenances et la réinvention des langues. Des auteurs tels que Leïla Sebbar (La Seine était rouge, 1999), Tahar Ben Jelloun (L’écrivain public, 1982) ou encore Azouz Begag (Le gone du Chaâba, 1986), révèlent dans leur fiction cette tension féconde entre mémoire des origines et ancrage dans un nouvel espace culturel. La littérature issue des migrations translingues, de surcroît, est ainsi tributaire d’une esthétique de l’entre-deux, laquelle montre jusqu’à quel point la frontière n’est plus seulement une composante thématique nécessaire à la production littéraire, elle devient à partir de cette approche le lieu même d’une réflexion herméneutique sur l’altérité et se donne, tout compte fait , pour tache la traduction, par l’écriture, d’une expérience humaine marquée par le déplacement et la pluralité culturelle.
Écrire la frontière, ce serait, sans aucun doute, écrire en rupture avec l’évidence et à rebours de l’univocité. Ainsi que le rappelle Paul Ricœur (Temps et récit, 1983), « tout discours véritable porte en lui un autre monde possible ». Dans cet esprit, le huitième numéro de Langue, Littérature et Art invite à scruter les formes textuelles, linguistiques, artistiques et critiques qui interrogent les frontières, lesquelles reconfigurent les rapports entre espace et identité. Inscrit dans le sillage de la critique postcoloniale d’Edward W. Saïd, et nourri des réflexions théoriques de Julia Kristeva, Roland Barthes, Umberto Eco et Gilles Deleuze, ce numéro ambitionne de réunir, comme c’est la tradition, des chercheurs venus d’horizon divers et disparates autour de la diversité des productions discursives à travers les langues et les cultures, qu’elle soient médiatiques, littéraires, artistiques ou liées aux formes transmédiatiques et numériques. Nous aurons, par conséquent, à questionner les lignes de partage établies entre langue et forme, texte et contexte, centre et périphérie, de manière à ouvrir un espace de réflexion sur l’altérité, appréhendée comme autant de lieux d’échange et de recomposition symbolique. Au final, il s’agira d’interroger la manière dont l’écriture, qu’elle soit tributaire du récit de voyage, de l’imaginaire diasporique ou encore de la mémoire coloniale ou de l’esthétique de la relation, dessine de nouveaux possibles pour dire, penser et transformer les mondes contemporains.
On l’aura compris, ce numéro souhaite interroger la façon dont les créations littéraires, artistiques et médiatiques représentent, déplacent et transforment ces frontières, dans une perspective ouverte, critique, transversale et interdisciplinaire.
Axes de réflexion proposés
1-Langues, traductions et passages culturels
-Écriture multilingue, traduction, alternance codique, auto-traduction et reconfiguration de l’espace frontalier.
-La traduction comme médiation interculturelle et comme acte de recréation littéraire.
2-Poétiques de l’interculturalité et de l’hospitalité
-Intégration de voix et de traditions hétérogènes dans les récits et les poèmes.
-Dialogues entre formes narratives issues de contextes culturels différents.
-Hospitalité textuelle et ouverture aux imaginaires de l’Autre.
3-Littératures francophones et altérités plurielles
-Représentations de l’Autre dans la littérature francophone du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne, de la Caraïbe et de la diaspora.
-Dynamiques d’hybridation culturelle et linguistique dans les écritures francophones contemporaines.
-Littératures migrantes et exilées : entre mémoire, identité et création.
4-Géopoétique et mémoire postcoloniale
-Réinvestissement des frontières héritées de l’histoire coloniale, des exils et des déplacements forcés.
-Écritures de la mémoire blessée, de la dépossession et de la recomposition identitaire.
-L’espace méditerranéen comme carrefour géopoétique et lieu de tensions interculturelles.
5-Frontières médiatiques et arts contemporains
-Reconfiguration des imaginaires frontaliers dans les arts visuels, le cinéma, la photographie, le théâtre et les arts numériques.
Esthétiques du montage, de la polyphonie et du métissage dans les pratiques artistiques contemporaines.
6-Figures, imaginaires et mythologies de la frontière
-Archétypes et symboles frontaliers dans la littérature, les arts et les médias.
-Mythes, légendes et représentations de l’Orient et du Maghreb dans l’imaginaire occidental, et réciproquement.
7-Discours critiques et théories de la frontière
-Perspectives postcoloniales, décoloniales et interculturelles.
-Lectures croisées mobilisant la sémiotique, l’anthropologie, la narratologie et la philosophie du langage.
-Approches comparatistes et interdisciplinaires de l’écriture frontalière.
8-Frontières et expériences migratoires
-Les récits de vie et témoignages d’exil comme espaces de résistance et de mémoire.
-L’écriture diasporique et la reconstruction identitaire.
-La frontière comme expérience vécue : trajectoires, passages et zones d’attente.
9. Représentations culturelles et artistiques de la migration
-L’immigration dans la littérature francophone et postcoloniale.
-La représentation des migrants dans le cinéma, les arts visuels et les formes transmédiatiques.
-Les imaginaires frontaliers et la poétique de l’exil
10- Récits de voyage, orientalisme critique et reconfiguration des identités
– Analyse des formes narratives et poétiques du déplacement dans la littérature francophone et postcoloniale.
– Représentations et déconstruction de l’Orient dans une perspective interculturelle.
– Hybridité discursive et dialogues entre mémoire historique, imaginaires migratoires et esthétique de la relation.
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Modalités de soumission
• Langue des articles : français ou anglais
• Date limite de réception : 30 novembre 2025
• Format : article complet, entre 5 000 et 7 000 mots (bibliographie incluse), conforme aux normes APA 7ème édition.
• Évaluation : double expertise en double aveugle.
• Contribution : 70 € (700 MAD) au titre des frais de publication, à régler après acceptation de l’article.
• Envoi : par courriel à : lacadldl2023@gmail.com
avec pour objet « Soumission – Numéro 8, Août 2025 ».
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Bibliographie indicative
Bibliographie
-Balibar, Étienne. Nous, citoyens d’Europe ? Paris : La Découverte, 2001.
-Barthes, Roland. Le bruissement de la langue. Paris : Seuil, 1984.
-Begag, Azouz. Le gone du Chaâba. Paris : Seuil, 1986.
-Ben Jelloun, Tahar. La nuit sacrée. Paris : Seuil, 1987.
-Eco, Umberto. L’Œuvre ouverte. Paris : Seuil, 1965.
-Foucher, Michel. L’obsession des frontières. Paris : Perrin, 2007.
-Foucault, Michel. L’archéologie du savoir. Paris : Gallimard, 1969.
-Glissant, Édouard. Poétique de la Relation. Paris : Gallimard, 1990.
-Jullien, François. L’écart et l’entre. Paris : Galilée, 2012.
-Khatibi, Abdelkébir. Maghreb pluriel. Paris : Denoël, 1983.
-Kristeva, Julia. Séméiotikè. Paris : Seuil, 1969.
-Mignolo, Walter. La désobéissance épistémique. Paris : L’Harmattan, 2015.
-Ricœur, Paul. Temps et récit. Paris : Seuil, 1983.
-Said, Edward W. Culture and Imperialism. New York : Knopf, 1993.
-Said, Edward W. L’Orientalisme. Paris : Seuil, 1980.
-Santos, Boaventura de Sousa. Épistémologies du Sud. Paris : Desclée de Brouwer, 2016.
-Sayad, Abdelmalek. La double absence. Paris : Seuil, 1999.
-Sebbar, Leïla. La Seine était rouge. Paris : Thierry Magnier, 1999.
-Arkoun, Mohamed. Humanisme et islam. Paris : Vrin, 2006.