
On connaissait Alexandre Kojève comme l’un des introducteurs de la pensée hégélienne en France par l’enseignement qu’il avait dispensé à l’École pratique des hautes études dans les années 1930. Un enseignement qui allait exercer une influence cruciale sur la philosophie d’après-guerre en raison de l’auditoire de choix qui le suivait, de Raymond Aron à Jacques Lacan en passant par Georges Bataille, Raymond Queneau ou Maurice Merleau-Ponty. On connaissait les grandes lignes de cette lecture de la Phénoménologie de l’esprit par le compte rendu qu’en avait donné Queneau en 1947 sous le titre d’Introduction à la lecture de Hegel. Mais c’est un Kojève bien différent que révèle le manuscrit de Sophia, dont Nicolas Rambert vient de traduire le premier tome pour les éditions Gallimard. Livre au destin compliqué, écrit fiévreusement entre novembre 1940 et juin 1941 et laissé inachevé qui révèle un Kojève profondément enraciné dans la philosophie russe. Un Kojève, ensuite et surtout, qui donne à sa lecture de Hegel un tour résolument politique, si ce n’est propagandiste, en la plaçant sous le signe du "marxisme-léninisme-stalinisme". C’est une justification de l’URSS qu’il entreprend, en conceptualisant le rôle de l’Empire russe aux prises avec l’histoire universelle, c’est-à-dire contre l’Occident et la social-démocratie bourgeoise. Fabula vous invite à feuilleter quelques pages de ce premier volume…
Nicolas Rambert accompagne sa traduction d'un essai : La Conscience de Staline. Kojève et la philosophie russe (Gallimard), qui analyse la lutte entre la philosophie religieuse russe fondée par Soloviev dans le dernier tiers du XIXe siècle et la philosophie athée soviétique construite par Kojève : deux façons de penser la "parole" que la Russie devait lancer à la face du monde pour le transfigurer. Fabula vous propose d'en découvrir également un extrait…