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Les jeux de l'amour et de l'identité

Les jeux de l'amour et de l'identité

Publié le par Marc Escola

On le connaît surtout pour les Mémoires de d'Artagnan dont Alexandre Dumas a fait l'usage que l'on sait. Courtilz de Sandras (1644-1712) est toutefois l'auteur de bien d'autres mémoires apocryphes qui ont favorisé l'émergence du roman à la première personne, au tournant des XVIIe et XVIIIe s. Nicolas Fréry vient de donner une édition des Mémoires de M. de B***, Secrétaire de M. L. C. D. R. (Champion), qui associe selon la formule dont Courtilz est l’inventeur, le plaisir du romanesque – attaque de carrosse, enrôlement par des corsaires, récit d’une jeune Grecque qui se venge dans le sang de son amant – et l’examen sans complaisance d’une période politiquement troublée, marquée par la figure toute-puissante de Richelieu. Dans une société où l’on est ce que l’on naît, Courtilz donne la parole à un narrateur anonyme qu’un drame originaire, dont se souviendra Marivaux au seuil de La Vie de Marianne, condamne à ignorer son ascendance en dépit de son sentiment d’élection aristocratique. L’infructueuse quête d’identité de B*** aboutit, à mesure qu’il devient le serviteur dévoué de Richelieu, à une dissolution de l’individualité dans le fracas de l’histoire… Fabula donne à lire l'introduction de cette édition établie avec la complicité d'Érik Leborgne et préfacée par Emmanuelle Sempère.

Pour montrer qu'il n'est pas l'homme d'un seul genre ni le spécialiste d'un seul siècle, Nicolas Fréry signe aussi une nouvelle édition de La Surprise de l'amour suivie de La Seconde Surprise de l'amour (GF-Flammarion), deux pièces emblématiques de son esthétique théâtrale où "deux personnes qui, s’aimant et ne s’en doutant pas, laissent échapper par tous leurs discours ce sentiment ignoré d’eux seuls, mais très visible pour l’indifférent qui les observe", selon le mot de d’Alembert. Entre conflit temporaire entre les sexes (dans la pièce de 1722) et hantise provisoire de la perte (dans celle de 1727), ces comédies sœurs montrent des individus surpris par un penchant qui triomphe de leurs résistances. C’est avec un sens aigu de l’analyse des coeurs et une modernité qui ne cesse d’être reconnue que Marivaux explore les ruses de la mauvaise foi, les pièges du langage et le cheminement de l’opacité à soi vers la réconciliation avec la vie.