Claude Simon, sur la route des Flandres : peintre et écrivain (Roubaix, Saint Jans-Cappel, Dunkerque)
« Les violacés sombres à côté des verts baryte, les noirs d’arbres derrière lesdernières broussailles et feuilles ocre jaune » (carnet, 29 octobre 1939), « les bois touffus mauve pâle » (23 décembre), « l’ombre violette comme celle qui tombe des vitraux d’une crypte » (12 octobre).
1939. Claude Simon, mobilisé le 27 août, est à la guerre en Flandre où son Régiment de Cavalerie le 31ème Dragons a été envoyé dès la déclaration du Second conflit mondial. Bientôt rare survivant de son escadron tombé dans une embuscade, cavalier erratique sur la meurtrière route des Flandres où son colonel est abattu devant lui, il est fait prisonnier en Allemagne, s’évade, apporte jusqu’à la Libération son soutien à la Résistance.
Il vient d’avoir 26 ans à l’armée. Il est peintre et photographe, se partageant entre Paris et Collioure, il a commencé l’écriture d’un premier roman que les événements ont interrompu, et c’est en coloriste qu’il s’attache à noter dans ses « carnets de guerre » la fulgurance des impressions qui le traversent, telles les touches d’un tableau.
« Regarde ! Regarde ! » : dans les moments de danger extrême, la ressourceémotionnelle des sensations aura été le viatique de Claude Simon. Et son génie artistique.
Le tragique vécu en Flandre qui a fait voler en éclats les certitudes irradie désormais l’œuvre entier. Tout en poursuivant peintures, dessins, collages, assemblages, où la plasticité des couleurs et des formes émancipe le geste de la représentation, Claude Simon cherchera pendant vingt ans la forme narrative capable de raconter le désastre – la fin d’un monde. Une fin du monde. La Route des Flandres, roman publié en 1960, est son premier chef-d’œuvre.
L’écrivain a pris ses leçons à la peinture et mis au point un récit fondé sur l’esthétique de la fragmentation et le travail des harmoniques, privilégiant les processus de composition par tableaux détachés, analogies et variations, partitions, repentirs, reprises. Le plasticien passe la main à l’écrivain qui n’écrira plus désormais que des chefs d’œuvre, couronné par le prix Nobel de Littérature (1985).
La Piscine Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix offre un somptueux panorama des œuvres de Claude Simon plasticien, dont certaines, récemment découvertes, sont exposées pour la première fois. Sont réunis les tableaux disséminés dans des collections particulières ; les carnets de dessins et croquis préparatoires ; certaines photographies argentiques de scènes intimistes ou d’objets composés dont les tirages ont été faits par l’auteur ; l’affichage séquencé d’Album d’un amateur où se conjuguent écriture et images ; les assemblages de papiers découpés sur paravents qui faisaient partie du mobilier de la maison de Claude Simon, et ses collages qui sont accompagnés des collages de ceux qui les ont inspirés : son ami Jacques Prévert ; sa seconde épouse, peintre et sculptrice, Yvonne Ducuing.
Mireille Calle-Gruber
Commissariat scientifique
Mireille Calle-Gruber, écrivaine et professeure de littérature et esthétique à La Sorbonne Nouvelle
Commissariat général
Au musée La Piscine de Roubaix : Pauline Dubouclez
À la villa Marguerite Yourcenar : Marianne Petit, directrice de la Villa Yourcenar
Au Château Coquelle : Paul Leroux, directeur du Château Coquelle.
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On peut lire sur Diacritik.com un entretien avec M. Calle-Gruber…
(Illustr. : Autoportrait de Claude Simon)