Première séance du séminaire Balzac (GIRB, Paris) : « Des filles d'Ève. Balzac et la question-femme » (José-Luis Diaz, Céline Duverne, Jacques-David Ebguy et Lucie Nizard) : « "Des livres mâles et des livres femelles" : genre des genres et transgénéricité dans La Comédie humaine » (Céline Duverne)
Première séance du séminaire Balzac (GIRB, Paris) : « Des filles d'Ève. Balzac et la question-femme »
Université de Paris, Grands Moulins, 5-7, rue Thomas Mann, Bibliothèque Jacques Seebacher, Bât A, 2e étage, 75013 Paris
21 octobre 2022, 14h
Introduction. Jacques-David Ebguy et Lucie Nizard
Céline Duverne, « "Des livres mâles et des livres femelles" : genre des genres et transgénéricité dans La Comédie humaine »
En France, l’accueil parfois frileux réservé aux gender studies peut s’expliquer par les difficultés de traduction que pose le concept de genre. De cette confusion sémantique, Christine Planté a su faire un atout en questionnant « le genre des genres », approche qui « prend en considération la coïncidence historique de leur redéfinition au début du XIXe siècle, lorsque après la Révolution, on assiste à une redéfinition simultanée des rôles et rapports sociaux des sexes d’une part, de la littérature et de ses fonctions d’autre part1. »
Au moment où Balzac s’en empare, l’écriture et la destination du roman s’accordent au féminin selon la doxa critique ; c’est donc en infléchissant son gender qu’il peut espérer en défendre la respectabilité. Il y réussira : contre le romance, ce vecteur de corruption du beau sexe, le novel s’imposera dans l’histoire comme « la forme de la maturité virile2 ». Pourtant, c’est au lectorat féminin que l’auteur de La Femme de trente ans doit bon nombre de ses succès. Comment, dès lors, écrire sur voire pour l’autre sexe tout en défendant l’imaginaire « viril3 » d’un démiurge laborieux, vent debout contre « ces pleurards qui veulent se noyer à tout propos en vers et en prose » ?
En marge de libelles tonnantes contre l’effémination romantique de l’acte créateur, Balzac se prend à rêver d’un livre « androgyne », d’une écriture hybride qui ne serait ni mâle, ni femelle, à moins qu’elle ne relève des deux modèles, à l’image de cet esprit bifron dont se réclame le chantre de l’éclectisme littéraire. En se faisant l’écho de ces assignations genrées et d’une essentialisation du « masculin » et du « féminin », Balzac – parfois malgré lui – montre avant tout son aptitude à les transcender au profit d’un nouveau modèle, doublement transgénérique, de la création romanesque.
[1] Christine Planté, « Le genre en littérature : difficultés, fondements et usages d’un concept » dans GenERe, Épistémologies du genre. Croisements des disciplines, intersections des rapports de domination, ENS Éditions, 2018, p. 52.
[2] Georg Lukács, La Théorie du roman, Gallimard, « Tel », 1989, p. 71.
[3] Préface de septembre 1833 d’Eugénie Grandet, La Comédie humaine, Gallimard, Pléiade, t. III, p. 1026.
Biobibliographie :
Normalienne et agrégée de lettres modernes, ATER à l’Université Reims-Champagne Ardenne, Céline Duverne est l’autrice d’une thèse Poètes, poésie et poéticité dans l’œuvre d’Honoré de Balzac, soutenue en 2021 à l’Université Lyon 2, et de l’étude universitaire Le Cousin Pons d’Honoré de Balzac (éditions Atlande, 2018). Ses autres travaux portent sur la littérature romantique, la poétique des genres littéraires au dix-neuvième siècle, la représentation du personnage féminin et l’iconographie des écrivains.
Argumentaire du séminaire et de la journée d'études finale :