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Formes et figures de l’ascétisme (XIXe-XXe siècle)

Formes et figures de l’ascétisme (XIXe-XXe siècle)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Stéphanie Bertrand)

Formes et figures de l’ascétisme (XIXe-XXe siècle)
 

            Une des facettes du phénomène de transformation du christianisme en esthétique qui a pu être identifiée notamment par Michel de Certeau[1] et dont la source se situe au tournant des XVIIIe et XIXe siècles concerne la diffusion d’un idéal ascétique. Telle que définie au sein du monde religieux, l’ascèse – héritée des philosophies antiques – est avant tout une pratique : par des actions de retranchements successifs, de privations notamment physiques, elle vise à amener le sujet pratiquant à un stade d’évolution spirituelle supérieur. Elle s’inscrit dans un temps long, du retour, de la régularité quotidienne et dans un rapport au corps qui est de l’ordre de la suppression, ou plutôt de la sublimation. En somme, dépassant le matériel, elle désigne « l’effort héroïque de la volonté qu’on s’impose à soi-même en vue d’acquérir l’énergie morale, la force et la fermeté du caractère[2] ».

            Dans une pensée toute dichotomique, le XIXe siècle a pu être fasciné par cette pratique. Cette fascination est d’abord une répulsion. Au sein du monde catholique même, tout comme le mystique, l’ascète propose un chemin de foi qui s’inscrit en faux avec ceux présentés par un certain catholicisme plus mesuré, plus réaliste qu’adopte volontiers la petite bourgeoisie. En ce sens, même s’il peut être récupéré par la légende hagiographique, l’ascète se situe déjà aux marges même de l’institution. Il est perçu comme une exception qui n’a pas nécessairement à être reproduite, une réalisation unique de l’apostolat. Son évaluation axiologique en est complexifiée. En dehors de cette aire, la figure convoque d’anciennes images chrétiennes désormais abhorrées par des auteurs non confessionnels ou laïques en raison de ce qui est perçu comme une haine contre la pulsion de vie et une emprise d’une vision dualiste de la matière (le corps doit être contrôlé par l’esprit).

           Repoussoir, elle peut également endosser un rôle de projection idéale. Et pour cause, la pratique ascétique entretient des liens forts avec la solitude et le dépouillement romantiques, avec une logique déiste du sacrifice qui reste très prégnante notamment chez les auteurs appartenant à ce que Roger Picard a pu appeler le romantisme social. Ce sacrifice n’est plus le scandale chrétien, mais il garde son résonnement provocateur. En effet, dans une économie et une société de choses, où l’objet acquiert un statut déterminant comme l’a montré Marta Caraion, où la réussite devient l’aiguillon des existences comme l’exemplifient les récits d’initiation d’alors, l’ascète prend le tour de l’original. Par leur opposition essentielle aux valeurs de la société bourgeoise qui prennent alors leur essor, les figures ou les formes littéraires de l’ascétisme deviennent des creusets de contestation : d’un siècle de rapidité (voir le récent thème du congrès de la SERD), d’intensité dans la jouissance, de consommation matérielle. Dans cette perspective, l’idéal ascétique a pu revêtir des significations politiques, être associé notamment à une figure moderne comme celle du travailleur (qu’on pense à ce que Pierre-Yves Kirschleger a appelé « l’ascétisme intramondain du capitalisme[3] » en lien avec la pensée protestante) mais aussi plus spécifiquement de l’ouvrier dans un but cette fois polémique, contestataire. En lien, certains modes de vie sont pensés avec, en toile de fond, un idéal de sobriété et de retenue (ainsi du végétarisme d’un anarchiste comme Elisée Reclus).

             Par ailleurs, c’est une certaine modification du lien au corps qui paraît également justifier la perpétuation d’un tel idéal. Par son attention minutieuse au quotidien, aux effets intérieurs des contraintes extérieures, à ce qui détermine les mouvements de l’âme, l’ascétisme a pu transiter dans une sphère quasi scientifique. Il y prend le tour de l’expérimentation. 

             D’un point de vue littéraire, les formes qui peuvent relever de cette pensée ont privilégié l’attention aux petites choses, la quotidienneté, des questions de focalisation également. De la même manière, l’idéal ascétique est venu nourrir des imaginaires linguistiques et stylistiques spécifiques : pauvreté lexicale, brièveté phrastique, simplicité du style, etc. Ainsi, l’origine spirituelle de l’ascétisme ne l’a pas empêché de côtoyer des pensées modernes de l’autoanalyse notamment. Dans quelle mesure peut-on retrouver dans les écritures « anthropographiques[4] » des réminiscences ascétiques ?

            Enfin, au XXe siècle, l’imaginaire ascétique a souvent été convoqué pour évoquer des réalités et épreuves insoutenables (les guerres mondiales, l’expérience des camps, mais aussi les épisodes épidémiques ou la famine). Chez les poètes comme chez les romanciers, le modèle ascétique est alors apparu comme une manière de rendre compte d’une expérience inhumaine, tandis que, dans des cas extrêmes, l’ascèse discursive a pu constituer une manière de dire l’ineffable.

Axes possibles dans lesquels peuvent s’inscrire les propositions pour ce collectif :
 
Ø  Réinventions de figures ascétiques historiques ou légendaires.

Ø  Déclinaisons de l’ascète à l’époque contemporaine (domaine de projection privilégié : travail, exercice physique et sport, etc.) ; figure de l’ermite, du reclus.

Ø  Le rapport au temps qu’implique l’idéal ascétique : répétition, quotidienneté versus intensité des privations imposées.

Ø  L’attention portée par la littérature à des idéaux ascétiques autres que chrétiens et/ou occidentaux, en lien notamment avec le succès qui est allé grandissant durant le XXe siècle de certaines pratiques se situant à la frontière entre corporel et spirituel comme le yoga (d’ailleurs mis à l’honneur récemment à l’occasion de l’exposition « Yoga. Ascètes, yogis, soufis » du musée Guimet de Paris).

Ø  Signification politique et éventuellement contestataire de la figure de l’ascète du XIXe au XXe siècle.

Ø  Les écritures et les consignations de l’ascétisme : journal, notes, etc.

Ø  Les pratiques d’écriture présentées comme ascétiques ; les imaginaires linguistiques et stylistique de l’ascétisme.

Ø  Transcriptions littéraires d’exercices ascétiques : représentation des exercices, traduction littéraire de l’effort ascétique, etc. 

 
Comité scientifique 

Carole Auroy, Professeur des Universités, Université d’Angers 
Stéphanie Bertrand, Maître de conférences, Université de Lorraine
Aude Bonord, Maître de conférences, Université d’Orléans
Magalie Myoupo, Maître de conférences, Université de Lorraine 
Émilie Pézard, Maître de conférences, Université de Poitiers
Esther Pinon, Maître de conférences, Université de Rennes 2
Élisabeth Pinto-Mathieu, Professeur des Universités, Université d’Angers
Aude Préta-de-Beaufort, Professeur des Universités, Université de Lorraine
Jean-Michel Wittmann, Professeur des Universités, Université de Lorraine

Calendrier prévisionnel

30 septembre 2022     Envoi des propositions (500 mots), assorties d’une notice bio-bibliographique aux deux adresses suivantes : stephanie.bertrand@univ-lorraine.fr, magalie.myoupo@univ-lorraine.fr

1er novembre 2022     Notification d’acceptation.

30 avril 2023                Envoi des articles.

30 juin 2023                Demandes de correction adressées aux auteurs.

1er septembre 2023    Envoi des articles dans leur forme définitive.

Courant 2024             Publication du volume dans la collection « Littératures et spiritualités », EDUL.

 
Bibliographie

Études littéraires (XIXe-XXe)

Bernier Frédérique, La Voix et l’os : imaginaire de l’ascèse chez Saint-Denys Garneau et Samuel Beckett, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2018.
Bonord Aude et Renoux Christian (éds.), François d’Assise, un poète dans la cité. Variations franciscaines en France (XIXe-XXe siècles), Paris, Classiques Garnier, 2019.
Brown Llewellyn (éd.), Samuel Beckett 1 : L’Ascèse du sujet, Caen, Lettres Modernes Minard, « La Revue des Lettres modernes », n° 46, 2010.
Girard René, « L’ascèse du héros », Mensonge romantique et vérité romanesque, Paris, Grasset, 1961, p. 159-180.
Pinto-Mathieu Élisabeth (éd.), Vertu du dénuement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
Stock Brian, Lire, une ascèse ?, Grenoble, Millon, 2008.

Ascèse et art
 
Guillamaud Patrice, L’Art et la renonciation, Paris, Cerf, 2016.
Long Olivier, L’Œuvre comme exercice spirituel. L’imaginaire stoïcien des artistes, Paris, Hermann, 2013.
 
Perspectives historiques sur l’ascèse 
 
Boulègue Laurence, Perrin Michel Jean-Louis, Veyrard-Cosme Christiane (éds.), Ascèse et ascétisme de l’Antiquité tardive à la Renaissance. Traditions et remises en cause, Paris, Classiques Garnier, 2021.
Pérez-Jean Brigitte avec la collaboration de Michel Fourcade, Pierre-Yves Kirschleger et Sabine Luciani (éds.), Les Dialectiques de l’ascèse, Paris, Classiques Garnier, 2011.

Études philosophiques
 
Foucault Michel, Les Aveux de la chair, Paris, Gallimard, 2018.
Przybylska Nelli, L’Ascèse de la parole dans les écrits de Simone Weil, thèse de doctorat soutenue à l’université Paris VII sous la direction de Miroslaw Loba et Éric Marty en 2009.

Dictionnaires

Bernard Ch. A., « Ascèse », dans Tullo Goffi (dir.), Dictionnaire de la vie spirituelle, Paris, Cerf, 1983.
Guibert Joseph de, « Ascèse, ascétisme », Dictionnaire de spiritualité mystique et ascétique, Paris Beauchesne, 1932-1995, t. I [col. 936-1010], disponible à l’URL : http://www.dictionnairedespiritualite.com/appli/article.php?id=5403.
Louth Andrew, « Ascèse », dans Jean-Yves Lacoste (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, P.U.F., 1998.


[1] Michel de Certeau, Jean-Marie Domenach, Le Christianisme éclaté, Paris, Editions du Seuil, 1974. Michel de Certeau évoque un christianisme devenu « fragment de la culture » (p. 10).
[2]  Vocabulaire de la Société française de Philosophie (t. I, p. 67, Paris, 1926), cité par J. de Guibert dans la notice correspondante du Dictionnaire de spiritualité.
[3]  Pierre-Yves Kirschleger, « L’ascétisme intramondain du capitalisme », dans Pérez-Jean Brigitte avec la collaboration de Michel Fourcade, Pierre-Yves Kirschleger et Sabine Luciani (éds.), Les Dialectiques de l’ascèse, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 67-84.
[4] Alain Boureau, « Les mutations contemporaines du récit de vie chrétien, De l’hagiographie à l’anthropographie », La Vie spirituelle, novembre-décembre 1989, no 687, t. cxliii, p. 727-737.