Cacher, voiler, dissimuler au Moyen Âge
Journées d’études doctorales du CIHAM (UMR 5648)
27–28 octobre 2022
Cacher, voiler, dissimuler : ces trois termes ont en commun de désigner l’action consistant à rendre partiellement ou totalement inaccessible à la vue – ou plus globalement à la perception – une réalité qui continue cependant d’exister. En retenant ces trois termes, la présente journée d’étude entend s’intéresser à l’ensemble des processus qui contribuent ou aboutissent à l’occultation d’un objet historique, d’une idée ou d’un contenu littéraire et narratif, sans pour autant chercher à les détruire purement et simplement. Tout en retenant la proximité de ces concepts, on peut en souligner des variations de sens et des usages historiographiques différents. Si le terme « cacher » apparaît comme le plus englobant et le plus large, les connotations de « voiler » et de « dissimuler » doivent permettre d’affiner une réflexion épistémologique. Le voile peut s’inscrire dans une temporalité définie, et renvoie à un certain univers religieux et au mystère qui entretient le doute tout en insistant sur la réalité de l’objet. La dissimulation hérite en revanche d’une historiographie davantage inscrite dans le champ politique. Elle la met ainsi en relation avec la notion de simulation – désignant un processus conscient et organisé qui vise à feindre une réalité qui n’existe pas – alors que la dissimulation consiste à occulter une réalité qui est. Dans l’appréhension de ces processus, la question de l’intentionnalité occupe une place fondamentale. Le fait de cacher ou de se cacher est-il un choix conscient et assumé, une contrainte imposée et subie, ou bien encore une conséquence accidentelle et involontaire ? Est-il seulement possible de prouver une volonté de dissimulation et d’en établir les motivations ?
Au-delà de cette question, l’appréhension de ces phénomènes pose un défi de taille aux chercheurs. La thématique de la dissimulation soulève par définition un certain nombre d’enjeux méthodologiques, relatifs notamment aux conditions matérielles de son étude. Face au silence ou à la rareté des sources, comment faire la part entre ce qui a été volontairement omis et ce qui a disparu ? Peut-on voir dans l’action de cacher, voiler et dissimuler un fait social total ? Ces processus semblent en tout cas pouvoir s’observer à tous les niveaux de la société médiévale, selon divers degrés et modalités. La dissimulation recouvre par exemple une part conséquente des pratiques de gouvernement et plus largement des usages politiques. Cacher ou se cacher peut également s’entendre à l’aune des normes établies par les institutions et pouvoirs dominants : soit ceux-ci cherchent à occulter les objets, groupes et comportements jugés déviants (on peut penser à des phénomènes comme la censure), soit l’action dissimulatrice vise, précisément, à se protéger ou à transgresser ces normes. On peut par exemple comprendre le corps comme objet caché, qu’il s’agisse de contrôler ce qu’il est possible d’en montrer, ou que le corps devienne un terrain de subversion des normes et des identités par le travestissement et le déguisement. La tension entre ce qui est caché et ce qui est montré recouvre également de nombreux enjeux intellectuels et esthétiques. C’est le cas notamment des procédés visant à dissimuler des sens cachés au sein de productions littéraires, par le recours à des figures allégoriques ou à d’autres procédés stéganographiques. Le voilement quant à lui renvoie aussi bien à des réalités humaines, du vêtement en particulier, que sacrées : les traditions juives, chrétiennes ou musulmanes usent du voile comme symbole de l’inconnaissable pour manifester la divinité.
Les travaux du CIHAM concernent en premier lieu les mondes chrétiens et musulmans, mais les propositions portant sur d’autres espaces géographiques seront appréciées. Toutes les études liées à l’histoire, à l’archéologie ou à la littérature seront étudiées avec le plus grand intérêt.
Axes
Où et Quand ?
Cet axe thématique interroge les espaces et les temporalités où l’on dissimule, volontairement ou involontairement. D’abord, il s’agit de penser les lieux où l’on cache les objets pour penser la continuité de telles pratiques dans la période médiévale. Quels sont les lieux propices à la dissimulation ? Permettent-ils de mettre en évidence des pratiques individuelles ou collectives ? Que nous disent-ils des objets qui sont cachés ? Les trésors de fondation, la thésaurisation en temps de crises (guerre, pandémies, etc.) ou les caches plus individuelles et spontanées peuvent évoquer cet aspect. Au-delà de l’artefact, le fait de dissimuler ou de cacher renvoie aussi à certains modes de structurations domestiques, politiques ou religieux. En effet, il semble possible de mettre en évidence les lieux qui sont cachés et qui renvoient à certaines spécificités culturelles ou religieuses. C’est le cas par exemple des patios des maisons musulmanes qui sont masqués par un vestibule afin de protéger les espaces privés.
Enfin, ces perspectives spatiales et même territoriales sont à mettre en regard avec des problématiques temporelles : quels sont les moments où l’on cache les objets ? Y a-t-il des temps ou des périodes spécifiquement dédiés à la dissimulation ? Ces pratiques évoluent-elles sur le temps long ou sur des temporalités courtes, renvoyant par exemple à des moments de crise et de rupture ? Certains moments de la vie sont-ils davantage propices ou marqués que d’autres par la dissimulation, notamment le temps cérémoniel, à l’image de la prise de voile symbolisant l’entrée dans la vie conventuelle ?
Quoi ?
Les objets ciblés relèvent de différents champs. Il s’agit en premier lieu de la matérialité, que celle-ci soit décrite par des sources, accessibles ou non via l’archéologie, la conservation dans des musées, bibliothèques ou archives (trésors, preuves, images). Il peut s’agir également de l’individu social (enfants ou mariages cachés, clandestinité), comme de l’individu dans sa corporéité (genre, travestissement). Dans le champ politique, cela peut concerner des groupes sociaux, des minorités, des ressources économiques, mais aussi l’espionnage ou la censure. Ainsi, des idées peuvent être dissimulées : idées déviantes, telles les hérésies religieuses, ou pensées politiques subversives. Ces idées sont portées par la parole, mais aussi par le livre, dans sa matérialité comme dans son contenu. La littérature est ainsi un objet de recherche à part entière dans ce champ, à travers les procédés rhétoriques, le contenu narratif (tel le Graal), mais aussi les rébus, les messages cryptés ou les différents niveaux de lecture, cachés à la compréhension de ceux qui ne les maîtriseraient pas. Une réflexion peut également être menée sur le plan historiographique, où certains corpus et sources peuvent ne pas être pris en considération, sciemment ou inconsciemment dissimulés, orientant ainsi le récit qui est fait de l’histoire.
Qui ?
Deux groupes d’acteurs peuvent être distingués : ceux qui dissimulent et ceux qui sont dissimulés. Pour les premiers, il peut être intéressant d’identifier différents profils, formations intellectuelles, politiques ou religieuses ou encore origines sociales. Ces acteurs peuvent se trouver à tous les échelons de la transmission des textes (auteur, copiste, collectionneur ou archiviste plus récent) ou des objets (artisan, nouveau propriétaire, collectionneur, autorité chargée de son entretien). Il ne faut pas non plus écarter ceux qui se cachent eux-mêmes dans les sources médiévales : les espions, les traîtres, ceux considérés comme indésirables ou celles et ceux qui n’ont pas accès à l’espace public peuvent aussi être au cœur des réflexions.
Pourquoi ?
Il convient de s’interroger sur les ressorts, les motivations de celles ou ceux qui cachent, ou au contraire, montrer comment cet état de fait est une conséquence involontaire. Une même dissimulation, une même façon de (se) dissimuler peut renvoyer, en fonction des sociétés, des groupes sociaux, ou des personnes considérées, à différentes explications ou motivations. Sans doute, les causes peuvent relever d’une pression (décision théologique, changement politique), d’une contrainte externe (menace militaire), que les acteurs peuvent chercher à contourner, ou doivent au contraire suivre. La volonté de cacher peut également procéder d’une intention d’assurer son pouvoir (secret d’État) ou d’une volonté de valorisation (cacher l’apparence de Dieu). Mais ces raisons mêmes ne sont pas non plus toujours avouées ni avouables, et sont à ce titre également dissimulées.
Comment ?
Les manières de cacher un objet sont multiples : le déguisement comme la censure en relèvent. Ainsi, se donner officiellement le droit de conserver des informations ou des documents constitue l’affirmation d’un pouvoir.
Les processus de la dissimulation informent ainsi sur les conceptions du pouvoir et ses moyens d’action. L’archéologie, en exhumant méthodiquement les vestiges, rend compréhensible la façon dont l’action du temps a recouvert et caché à nos yeux les traces des sociétés passées. La maîtrise fine des études stratigraphiques permet donc de connaître l’enfouissement ainsi que de percevoir les perturbations qui pourraient indiquer une volonté des médiévaux de dissimuler intentionnellement un objet, qu’il s’agisse par exemple d’un objet enterré ou dissimulé dans un mur. La question du « comment » recouvre un vaste champ, dont relèvent aussi bien l’institutionnalisation de la censure que l’étude des textiles utilisés pour voiler les corps, ou encore les jeux littéraires fondés sur une connivence au sein d’une communauté donnée. Les contributions portant sur des questions méthodologiques seront également appréciées.
Les propositions de communication, de 500 mots maximum (résumé et titre de la présentation), accompagnées de renseignements pratiques (statut, situation institutionnelle, domaine de recherche) sont à envoyer au format PDF avant le 20 mai 2022 à l’adresse suivante : cihamjournees@gmail.com
Comité d’organisation : Maureen Boyard, Léa Buttard, Baptiste Chopin, Pierre Fournier, Simon Rozanès, Valentin Sentis, Sébastien Villevieille
Comité scientifique : Maïté Billoré (Lyon 3), Caroline Chevalier-Royet (Lyon 3), Lahcen Daaif (Lyon 2), Sophie Gilotte (CNRS), Corinne Pierreville (Lyon 3).
Bibliographie indicative :
BILLORÉ, Maïté (dir.) et SORIA, Myriam (dir.). La trahison au Moyen Âge : De la monstruosité au crime politique (Ve-XVe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.
CARDON Thibault, Archéologie des dépôts monétaires, The Journal of Archæological Numismatics, vol. 10, 2021.
CAUCHIES Jean-Marie Cauchies et MARCHANDISSE Alain (éd.), L’envers du décor : espionnage, complot, trahison, vengeance et violence en pays bourguignons et liégeois, Neuchâtel, Centre européen d’études bourguignonnes, 2008.
COLLARD Franck, Le Crime de poison au Moyen Age, Paris, PUF, 2003.
DARBORD Bernard et DELAGE Agnès, Le partage du secret : Cultures du dévoilement et de l’occultation en Europe, du Moyen Âge à l’époque moderne, Paris, Armand Colin, 2013.
SANTAMARIA Jean-Baptiste, Le secret du prince : gouverner par le secret France-Bourgogne XIIIe-XVe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018.
Secret, public, privé, dossier Questes 2009.
THOMASSET Claude et PAGAN-DALARUN Martine (Dir.), Cacher, se cacher au Moyen Âge, Paris, PUPS, 2011.
WILD Francine (éd.), Le sens caché : usages de l’allégorie du Moyen Âge au XVIIe siècle, Arras, Artois Presses Université, 2013.
Actualité
Appels à contributions
Publié le par Perrine Coudurier (Source : Sébastien Villevieille)