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« Amitiés d’enfance. Littérature & cinéma (XIX-XXIe siècles) »

« Amitiés d’enfance. Littérature & cinéma (XIX-XXIe siècles) »

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Sylvie Servoise)

« Amitiés d’enfance. Littérature et cinéma (XIX-XXIe siècles) »

Le Mans-Université, 22-23 juin 2022

Colloque organisé par Sylvie Servoise et Delphine Letort

« Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais. Si je veux l’expliquer à qui me le demande, je ne le sais plus » s’interrogeait Saint-Augustin dans ses Confessions. À bien des égards, il en est de l’amitié comme du temps : tout le monde semble savoir plus ou moins ce qu’elle signifie, pour en faire et en avoir fait l’expérience directe, mais peine à la définir, tant paraissent poreuses les frontières avec d’autres types de relations humaines (à commencer par l’amour et la camaraderie) et épineuses les questions qu’elle soulève : que cherche-t-on chez l’ami/e, un miroir de soi ou un autre que soi ? L’amitié, que l’on présente souvent comme la rencontre élective entre deux êtres (« parce que c’était lui, parce que c’était moi… » pour reprendre la célèbre citation de Montaigne[1]) est-elle forcément exclusive et, inversement, la multiplication des amis est-elle nécessairement à comprendre comme un affadissement du lien amical ? Pourquoi d’ailleurs chercher et cultiver l’amitié : s’épancher, s’étendre hors de soi, ou au contraire trouver celui/celle qui vous comprendra, dans une logique de repli et de séparation d’avec le monde ? Vise-t-elle à assouvir certains de nos désirs ou besoins ou, au contraire, peut-on l’appréhender, à l’instar d’Aristote[2], comme une vertu fondamentalement altruiste, tournée vers le bien de l’ami/e ? On pourrait multiplier à l’envi ces questions, qui non seulement sont connues depuis longtemps – il suffit de songer à la longue tradition philosophique relative à la philia grecque et l’amitia latine[3] – mais qui font encore l’objet d’un regain d’intérêt depuis une vingtaine d’années, et tout particulièrement dans le champ des sciences humaines et sociales : philosophes, sociologues, psychanalystes, historiens, anthropologues, s’attachent à cerner les contours d’une notion qui est tout à la fois un concept philosophique, un sentiment, une valeur, mais aussi une pratique sociale, dont l’importance pour la construction psychique et l’intégration sociale de l’individu est de plus en plus étudiée[4].

Participant de cet intérêt renouvelé pour le thème de l’amitié, le présent colloque invite plus précisément à porter attention à un certain type d’amitié qui, bien qu’elle soit circonscrite à un âge de la vie spécifique, n’en est pas pour autant plus facilement cernable : les amitiés d’enfance et de jeunesse. Il invite également à aborder cette notion à partir d’un champ déterminé, qui est celui de l’art, et plus particulièrement la littérature et le cinéma. On ne saurait en effet négliger le fait qu’en plus d’être tout ce qu’elle est (une notion philosophique, une pratique sociale, etc.), l’amitié, et peut-être plus encore les amitiés d’enfance et de jeunesse, sont également un thème, littéraire et cinématographique, souvent exploré, manié et remanié au point de devenir, peut-être aussi, un topos : combien d’ouvrages et de films destinés à la jeunesse ou mettant en scène des personnages jeunes ont-ils pour titre le nom de l’ami/e des protagonistes, d’un couple ou d’un groupe d’amis (Mon ami Frédéric de Hans Peter Richter ; Ernest et Célestine, de Gabrielle Vincent, adapté au cinéma, le célèbre Club des Cinq d’Enid Blyton ou, dans un autre registre, Les révoltés de Sándor Márai ?). Il s’agira donc d’explorer la manière dont les amitiés d’enfance et de jeunesse sont, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, représentées dans la littérature et le cinéma, d’examiner de quels enjeux et de quelles valeurs elles sont, ou censées être, porteuses. On cherchera tout particulièrement à comprendre comment ces figurations artistiques peuvent contribuer d’une part à éclairer les contours de cette notion complexe qu’est l’amitié et, d’autre part, à repérer si les amitiés d’enfance et de jeunesse possèderaient quelque chose en propre, qui les distingue de l’amitié tout court. Que font l’enfance, mais aussi l’adolescence, à l’amitié ? Y a-t-il, dans ces relations nouées à l’âge dit tendre, mais qui peuvent s’avérer particulièrement éprouvantes et blessantes, des éléments singuliers de nature à en faire un type de relation interpersonnelle à part entière ? 

Essentielle au développement (cognitif comme affectif) de l’enfant, l’amitié constitue une étape fondamentale de l’apprentissage de la vie en société, au-delà du cercle familial. Intensément exclusives, ou au contraire plurielles quand les ami/e/s se retrouvent en « bandes » (de filles, de garçons ou mixtes), s’inscrivant dans un temps long ou inversement très resserré, ces amitiés ont sans aucun doute leurs spécificités, liées à l’âge de celles et ceux qu’elle engage. Lourdes d’enjeux identitaires, sociaux comme psychiques et affectifs, elles sont également génératrices de représentations durables dans l’imaginaire collectif, et que la littérature et le cinéma, du classique français qu’est devenu Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier au plus récent best-seller italien L’Amie prodigieuse d’Elsa Ferrante en passant par le films Jeux interdits de René Clément, ont du reste largement contribué à façonner : qui n’attribue pas aux amitiés d’enfance ou d’adolescence des qualités uniques – au sens neutre du terme, en bien ou en mal –, que les circonstances de la vie adulte ne rendent ensuite plus possibles ? Si l’on peut évoquer avec nostalgie le « vert paradis des amours enfantines » (Baudelaire) et les pleurer comme on pleure son enfance, pays perdu à jamais, on peut aussi ne pas regretter la vulnérabilité d’un âge exposé aux « mauvaises fréquentations » qui peuvent laisser des traces profondes. Mais si les amitiés d’enfance et de jeunesse possèdent certainement des enjeux, des inflexions, peut-être même une temporalité et un rythme qui leurs sont propres, et qu’il conviendrait du reste de distinguer l’une de l’autre (l’amitié entre enfants n’étant pas rabattable sur celle entre adolescents), elles ne sont pas pour autant délivrées des tensions qui traversent toute relation amicale et dont il a été fait mention plus haut : la question de l’exclusivité ; du rapport à l’ami/e comme autre soi ou autre que soi ; du désintéressement ou de l’utilitarisme… Peut-être en sont-elles comme le miroir grossissant, l’état d’enfance se voyant doté alors, comme souvent du reste, d’un pouvoir démystificateur – à moins que les amitiés plus tardives ne se définissent précisément par ce qu’elles cherchent à reproduire des expériences passées.

On privilégiera les communications qui inscrivent l’analyse de textes littéraires, de littérature générale comme pour la jeunesse, et/ou de films, films d’animation ou éventuellement de séries, français comme étrangers, dans une perspective conceptuelle, d’ordre esthétique, philosophique, historique, sociologique ou psychosociologique. Plusieurs axes sont envisageables, dont on ne donnera ici que quelques exemples :

1) Une approche comparée des représentations des amitiés d’enfance : l’amitié d’enfance, comme l’amitié en général, n’a pas toujours revêtu le même sens, ne s’est pas toujours manifestée sous les mêmes modalités et n’a pas toujours été perçue de la même manière selon les lieux et les époques, les cultures et les sensibilités. Si le colloque se concentre principalement sur la période du XIX au XXIe siècle, des interventions portant sur une période plus ancienne ne sont pas exclues, pour peu qu’elles fassent un lien avec l’époque contemporaine. On pourra aussi interroger la persistance de certaines amitiés de jeunesse paradigmatiques, d’origine parfois ancienne (Achille et Patrocle, Oreste et Pylade…)
2) Amitiés de jeunesse et construction de soi. Si elles ne renouent pas forcément avec le genre du récit d’apprentissage, les œuvres littéraires et cinématographiques mettant en scène les amitiés d’enfance ou d’adolescence attribuent souvent à celles-ci un rôle essentiel dans l’histoire du ou des protagonistes. Les ami/e/s que l’on quitte, les nouvelles amitiés que l’on noue représentent souvent des étapes dans la trajectoire d’une vie (« Moi, je catalogue ma vie par amis. Chaque période a été dominée par la figure d’un ami », affirmait Jean Renoir[5]), quand ils ne sont pas eux-mêmes l’occasion d’une mise à l’épreuve qui nous font passer d’un âge à l’autre. 
Cette amitié entre individus en pleine évolution est, du reste, particulièrement évolutive, l’instabilité caractérisant souvent les amitiés de jeunesse, complexifiant encore la question, toujours mystérieuse de ce qui fait qu’une histoire d’amitié commence et se brise (question qui est notamment au cœur du roman de Tahar Ben Jelloun, Le dernier ami).
3) L’amitié de jeunesse, un topos littéraire et cinématographique ? On pourrait interroger les enjeux de la récurrence de la figure de l’ami/e dans certains récits ou films mettant en scène l’enfance et/ou à destination des enfants, ou de certaines situations amicales qui semblent répondre à des schémas narratifs bien identifiés : l’ami/e de cœur, l’amie jalouse, l’ami qui trahit, le faux ennemi qui devient un vrai ami… la valorisation, voire l’idéalisation des amitiés d’enfance, telle que la promeuvent ou au contraire la nuancent littérature et cinéma, serait également à interroger. 
On pourrait aussi, plus fondamentalement, interroger le statut des amitiés d’enfance dans bien des histoires de et pour la jeunesse : sont-elles l’objet du récit ? Ou bien un élément de contexte obligé dès lors que l’on évoque l’enfance ? Ou encore une manière efficace de rendre plus sensible au jeune protagoniste (et au jeune lecteur) une réalité difficile ? Le recours au personnage de l’ami malheureux se retrouve par exemple dans bien des romans pour la jeunesse soucieux de sensibiliser le lectorat aux pages les plus sombres de l’histoire (pensons à L’ami retrouvé de Fred Uhlman) ou aux questions sociétales plus délicates (le handicap, la maladie, le racisme, etc.) 
4) Les nouveaux visages de l’amitié à l’ère des réseaux sociaux. Aux complexités des rapports avec les amis que l’on se fait à l’école, au club de sport ou en bas de chez soi, s’ajoutent celles des amitiés « virtuelles », mais aux effets parfois bien réels, favorisées par les réseaux sociaux. De nouvelles pratiques, de nouveaux modes d’être ensemble se font jour depuis les années 2000, dont on peut interroger la portée dès lors qu’ils sont mis en mots ou en images : quelle différence entre le correspondant anonyme sur Internet et le confident des romans épistolaires du XVIIIème siècle pour le jeune protagoniste qui s’épanche ? 
5) Amitiés de jeunesse et genres. Comme le notait Jacques Derrida dans Politiques de l’amitié, l’amitié est, dans la tradition occidentale, présentée essentiellement comme une vertu masculine. Les couples ou groupes d’amis célèbres – Oreste et Pylade, La Boétie et Montaigne, les Trois Mousquetaires qui en fait étaient quatre… – sont des hommes, comme si les relations d’affections féminines visibles en littérature ne pouvaient être que familiales (Les Quatre filles du Docteur March de Louisa May Alcott, Trois sœurs de Tchékhov…) ou que, plus fondamentalement encore, comme le suggère Virginia Woolf, c’est dans leur rapport aux hommes que les femmes sont le plus souvent montrées[6]. Dans quelle mesure la littérature et le cinéma plus récent (on pense aux films Bande de filles, de Céline Sciamma, ou encore Divines de Houda Benyamina) témoignent-ils d’un changement, ou cherchent-ils à l’actualiser ? 
 
Comité scientifique

-        Edwige Chirouter (Chaire UNESCO/Université de Nantes)
-        Aurélie Ledoux (Université Paris-Nanterre)
-        Delphine Letort (Le Mans-Université)
-        Mathilde Lévêque (Université Sorbonne Paris Nord)
-        Deborah Levy-Bertherat (Ens-Ulm)
-        Patricia Lojkine (Le Mans-Université)
-        Sarah Leperchey (Paris I Panthéon-Sorbonne)
-        José Moure (Paris I Panthéon-Sorbonne)
-        Brigitte Ouvry-Vial (Le Mans-Université)
-        Nathalie Prince (Le Mans-Université)
-        Sylvie Servoise (Le Mans-Université)

Les propositions de communication, de 1500 signes (espaces compris), assorties d’une brève présentation bio-bibliographique, sont à envoyer à Sylvie Servoise (sylvie.servoise@univ-lemans.fr) et Delphine Letort (delphine.letort@univ-lemans.fr) avant le 15 janvier 2022, sous format word ou odt. Elles seront examinées par les membres du comité scientifique et les réponses seront adressées courant février 2022.

 
 
[1] Montaigne, Essais, livre I, ch. XXVIII : « Si on me demande de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
[2] Aristote, Éthique à Nicomaque, livres VIII et IX.
[3] Voir notamment sur ce point J.-C. Fraisse, Philia, la notion de l’amitié dans la philosophie antique, Paris, Vrin, 1974 et D. Konstan, Friendship in the Classical World, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
[4] On peut citer, entre autres, dans une perspective philosophique : S. Jankélévtich et B. Ogilvie (dir.), L’amitié. Dans son harmonie, dans ses dissonances, Paris, Autrement, « Séries Morales », 1995 ; D. El Murr, L’Amitié [2001] Paris, GF Flammarion, 2018 ; dans une perspective historique : A. Vincent-Buffault, L’exercice de l’amitié. Pour une histoire des pratiques amicales aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, Seuil, 1998 ; dans une perspective pyscho-sociologique : Jean Maisonneuve, Psychologie de l’amitié, Paris, Que Sais-je, 2018 ; Cl. Bidart, L’amitié, un lien social, Paris, La Découverte, 1997. Plusieurs dossiers trandisciplinaires ont été consacrés à l’amitié, parmi lesquels : M.-C. Smyrnelis (dir.), « Amitiés », Transversalités, n°113 /2010 , Institut Catholique de Paris; J.-Cl. Cebula, D. Guilbert & J.-Ph. Raynaud (dir.), « Les copains : les liens d’amitié entre enfants et adolescents », Enfance & psy, n°31 /2006, éditions Eres.
[5] J. Renoir, Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, 1974.
[6]  V. Woolf, Un lieu à soi [1929], trad. M. Darrieussecq, Paris, Gallimard, « Folio », p. 130-131 : « Et j’essayai de me souvenir d’un cas, un seul, où dans le cours de mes lectures deux femmes auraient été représentées comme amies. […] C’est étrange de penser que toutes les grandes figures de femmes dans la fiction sont, jusqu’à Jane Austen, non seulement vues par l’autre sexe, mais vues seulement dans leur relation à l’autre sexe. »