Habiller l'âme : métaphores vestimentaires du corps dans l'Antiquité
Vendredi 20 mai 2022 - ENS de Lyon
Appel à communications
Date limite d’envoi des propositions : 30 novembre 2021
Cette journée d’études s’adresse aux doctorants, jeunes chercheurs et enseignants-chercheurs.
Les métaphores du vêtement dans les textes antiques constituent le champ de recherche, pour deux ans, du laboratoire junior Himation (ENS de Lyon) qui regroupe de jeunes chercheurs en philosophie et littérature antiques. Au cours de ces dernières décennies, de nombreux travaux ont étudié le vêtement antique en tant que marqueur d’une identité – qu’elle soit sociale, ethnique, genrée – ou plus largement comme signe d’un degré de conformité ou d’écart vis-à-vis de normes socio-culturelles (1). Toutefois, l’emploi et la fonction des métaphores du vêtement, fréquentes dans les textes antiques de genres divers tant politiques que philosophiques, poétiques ou encore théologiques, ont été rarement examinés pour eux-mêmes. Forts de ce constat, il nous semble intéressant d’envisager la métaphore non pas simplement comme un ornement du style mais aussi comme un véritable outil participant à la conceptualisation d’une réalité abstraite qui est parfois difficilement exprimable autrement (2).
Cette journée sera consacrée à l’étude des métaphores du corps, nu ou paré, qui l’assimilent à un vêtement de l’âme, comprise tant comme siège personnel de l’activité psychique et émotive que comme entité immortelle. On se penchera sur les métaphores vestimentaires en s’interrogeant à la fois sur les motivations de cet emploi métaphorique et sur les manières dont la métaphore est employée. Dans la lignée des travaux métaphorologiques, ouverts par H. Blumenberg, on pourra se demander s’il existe une historicité de ces métaphores et comment leurs emplois peuvent différer au cours de l’Antiquité et révéler l’évolution des concepts auxquelles elles se rattachent. On s’interrogera ainsi sur ce que dit la métaphore vestimentaire de la conceptualisation du rapport entre le corps et l’âme à chaque fois qu’elle est employée. Quelle est la fonction didactique ou heuristique de cette métaphore ? Comment cette métaphore évolue-t-elle et prend-t-elle un sens différent dans des contextes philosophiques et littéraires variés d’Homère à Augustin d’Hippone ?
Trois principaux axes seront envisagés lors de cette journée :
Le corps, dans sa nudité ou couvert, comme représentation figurée d’une intériorité subjective. Nous voudrions envisager ici le vêtement sous son aspect symbolique en tant qu’expression figurée d’une abstraction psychique ou d’un concept émotionnel. Par exemple, Théophraste passe à plusieurs reprises par le vêtement pour conceptualiser le type général d’un caractère, qu’il s’agisse de la poltronnerie ou de la parcimonie. Les jeux de vêtement peuvent également représenter les mouvements de l’âme eux-mêmes : Douglas Cairns a exploré en particulier l’expression des émotions et de l’expérience de la mort au moyen de la métaphore vestimentaire dans la poésie grecque archaïque (3). Il nous semble intéressant de suivre la piste qu’il propose et d’interroger le rôle d’une telle métaphore dans la conceptualisation de l’intériorité et de la subjectivité dans les textes de l’Antiquité. Pourquoi le vêtement est-il un outil de choix pour exprimer l’intériorité ? Y-a-t-il une codification précise de ces emplois métaphoriques ? Quels aspects du vêtement, couleurs, emplois, fonction sociale, sont convoqués dans les métaphores vestimentaires qui parlent des émotions ? La métaphore du vêtement pour exprimer une conception dualiste de l’humain. En effet, l’image du vêtement est une métaphore privilégiée par les auteurs antiques pour défendre une vision anthropologiquement dualiste. C’est ainsi que le Socrate de Platon conçoit les rapports de l’âme et du corps dans le Phédon, sous l’influence des pensées orphiques et pythagoriciennes. Cette métaphore du χιτὼν τὸ σῶμα τῇ ψυχῇ ὅ ἠφίεσται, pour reprendre les mots de Porphyre, dans son De antro nympharum, était appelée à une grande postérité chez les néo-platoniciens mais aussi dans d’autres courants philosophiques puisqu’on la retrouve chez Sénèque dans les Lettres à Lucilius (4) et que les auteurs chrétiens n’ont pas hésité non plus à s’en emparer. Comment les traditions philosophiques non platoniciennes se réapproprient-elles cette métaphore et en quel sens ? Comment le néoplatonisme et ses avatars remotivent-t-ils l’antique métaphore du vêtement ? Comment cette métaphore infuse-t-elle l’inconscient collectif ? La métaphore du vêtement pour expliquer l’Incarnation et parler de la vie chrétienne. Les penseurs du christianisme réinvestissent cette métaphore vestimentaire pour expliquer le mode de l’Incarnation où le Fils de Dieu se revêt de la chair humaine (induere carnem), par exemple chez un Tertullien qui chérit particulièrement cette image. Néanmoins, cette métaphore fut finalement condamnée justement parce qu’elle tirait trop vers le dualisme. En parallèle, deux conceptions du vêtement, a priori opposées, coexistent pour parler du lien entre le croyant et Dieu : tantôt le fidèle, en particulier dans la tradition paulinienne, est invité à « revêtir le Christ » (Rm 13, 14), notamment en contexte baptismal où le vêtement blanc fait signe à la fois vers l’état originel en Eden et au vêtement glorieux du Jugement ; tantôt il est incité à se débarrasser des « tuniques de peau » (Gn 3, 21) pour retrouver une nudité adamique originelle sans péché qui est chemin vers la sainteté. Comment la métaphore vestimentaire est-elle utilisée dans les textes catéchétiques et polémiques ? A-t-elle toujours la même fonction ? Quelles sont les différentes exégèses vestimentaires de de Gn 3, 21 et Rm 13, 14 proposées par les auteurs chrétiens qu’ils soient grecs ou latins ? Y-a-t-il une exégèse unifiée du vêtement néotestamentaire ?*
Les communications, en français ou en anglais, n’excèderont pas 30 minutes et seront suivies d’un temps de discussion. Les propositions, sous forme d’un résumé (300 mots maximum) en français ou en anglais, sont à envoyer avant le 30 novembre 2021 à himationlabojunior@gmail.com.
(1) La bibliographie sur le vêtement dans les mondes antiques est très importante. Nous signalerons simplement ici les travaux récents menés par les laboratoires LAHM (Université Rennes 2) et de l’équipe Phéacie, aujourd’hui intégrée à ANHIMA. Pour une synthèse bibliographique, nous renvoyons à l’article de F. Gherchanoc et V. Huet, « Pratiques politiques et culturelles du vêtement. Essai historiographique », Revue historique, 2007, n°641, p. 3-30.
(2) Nous pensons notamment aux « métaphores absolues » telles que définies par H. Blumenberg dans Paradigmes pour une métaphorologie, (trad. D. Gammelin), Paris, Vrin, 2007 [1960], p. 9-11.
(3) Voir en particulier, D. Cairns, « Clothed in Shamelessness, Shrouded in Grief. The Role of “Garment” Metaphors in Ancient Greek Concepts of Emotion », in Spinning Fates and Song of the Loom: The Use of Textiles, Clothing and Cloth Production as Metaphor, Symbol and Narrative Device in Greek and Latin Literature (éds. M. L. Nosch, M. Harlow, G. Fanfani), Oxford, Oxbow Books, 2016, p. 25-41.
(4) Sen. Epist. 92. 13 : quod de ueste dixi, idem me dicere de corpore existima. nam hoc quoque natura ut quandam uestem animo circumdedit, uelamentum eius est.