Fixxion n° 25:
Modes d’autorisation du récit contemporain
Coordonné par Jonas Hock, Estelle Mouton-Rovira et Kai Nonnenmacher
Depuis maintenant près d’un demi-siècle, le récit s’est développé entre mise à distance des formalismes, inscription dans une mémoire longue de la littérature et maintien d’un souci réflexif. Comment la manière dont le récit contemporain fait autorité s’est-elle déplacée ou reconfigurée dans la littérature des deux premières décennies du XXIe siècle ? Comment revendique-t-il aujourd’hui sa légitimité ? Nous nous proposons d’étudier les modes d’autorisation internes au récit ; c’est-à-dire ce qui, dans les textes, contribue à construire ou à exprimer leur autorité, in statu nascendi, en lien avec leur présent.
La modernité a remplacé les arts poétiques, normatifs, par ce qu’on pourrait appeler des « poétiques d’atelier » : singulières, elles constituent une forme d’auto-justification, par laquelle la littérature produit ses propres normes. Nous souhaitons ainsi interroger les renouvellements des modes d’autorisation du récit au début du XXIe siècle, afin de comprendre comment le récit s’inscrit dans un contexte culturel, social, politique tout en se faisant force d’interprétation. Les modifications actuelles du lectorat entre reconduction du « capital symbolique » et mouvements de démocratisation de la lecture, l’instabilité du vrai et du faux, ou encore les reconfigurations des médias, à l’ère numérique, engagent la littérature à négocier sa place dans ces écosystèmes discursifs et à défendre sa puissance heuristique.
Le récit actuel réinterroge son autorité, par son rapport aux modèles littéraires, à la critique, aux sciences humaines, aux divers savoirs. L’objectif de ce numéro de fixxion sera donc de réfléchir aux procédés d’autorisation implicites et explicites des formes narratives (roman, récit mais aussi, plus largement, fiction). Afin d’esquisser cette poétique romanesque de l’autorisation, nous proposons deux perspectives qui ne s’excluent pas et par lesquelles le récit, s’autorisant, ou s’auto-instituant, affirme sa pertinence à l’égard du présent.
Au XXIe siècle, les effets d’autorité cherchés ou créés par le rapport au modèle littéraire ont changé. Le récit contemporain s'écarte du pastiche comme des jeux postmodernes, pour privilégier des pratiques intertextuelles quitte à profiter de cette l’autorité sans pourtant s’enfermer dans les cadres formels ou thématiques qu’il pose. En témoignent les tentatives de politisation du geste intertextuel par la réécriture, ainsi que les hybridations génériques, qui peuvent se lire comme autant de revendications d’autorité.
Alors que l’hétéronomie de la littérature actuelle est communément affirmée, les manières dont le récit justifie sa littérarité se transforment. La fiction peut-elle autoriser son propre discours sur de grandes questions politiques et sociales (écologie, genre, féminisme, monde du travail, etc.) et par quelles stratégies poétiques le fait-elle ? On pourra interroger les dispositifs énonciatifs qui produisent un effet d'attestation, le ré-emploi d'un répertoire réaliste, les recours interdisciplinaires aux sciences humaines, ou encore la mise en avant d'une expérience individuelle à valeur de témoignage.
Quelques pistes de réflexion
- Le recours à l’épique, ou à d’autres modèles génériques, constitue-t-il une manière spécifique de renouveler la légitimité du genre romanesque, ou non (Maylis de Kerangal, Céline Minard, Laurent Gaudé, Mathias Enard ou encore Frédéric Werst…) ? La réécriture comme geste politique, comme décentrement de l’autorité littéraire et de la légitimité des modèles (Boualem Sansal, Kamel Daoud).
- Le recours à des formes de réflexivité est-il toujours une stratégie d’autorisation, visant à remettre en jeu l’autorité des instances narratives (Éric Chevillard, Hervé Le Tellier, Tanguy Viel, Olivia Rosenthal…) ?
- Quels modes de discours, quelles formes énonciatives emportent l’adhésion lectorale ? Les formes du récit de soi, par leur proximité avec le geste du témoignage, constituent-elles des formes d’autorisation d’un discours littéraire sur le présent ?
- Comment le récit affronte-t-il de grandes questions de société ; prend-il part aux luttes qu’elles engagent ? L’écologie (Emmanuelle Pagano, Pierre Ducrozet), de la question du genre (Emmanuelle Bayamack-Tam, Edouard Louis), du féminisme (Virginie Despentes, Chloé Delaume, Scholastique Mukasonga) ou des conflits sociaux (Arno Bertina, Sandra Lucbert), sont autant de territoires discursifs que le récit explore, entre autres à travers l’utopie ou la dystopie.
Ces quelques aspects non-exhaustifs ne sont pas à lire comme des stratégies isolées, mais constituent autant de prismes par lesquels observer la pertinence du récit contemporain, sa capacité à faire autorité au sein d’un ensemble de formes, de savoirs et de discours.
La question de la légitimation externe du contemporain (dans une perspective plus sociologique ou institutionnelle), pourra pourtant être intégrée, en lien avec une approche interne. Les contributions seront de préférence centrées sur plusieurs textes, issus d’un corpus narratif français et francophone. Les perspectives comparatistes seront également bienvenues.
Échéance : 1 décembre 2021. Les propositions de contribution (environ 300 mots), portant sur les littératures françaises et francophones doivent être envoyées en français ou en anglais, à fixxion21@gmail.com (un rédacteur vous inscrira comme auteur et vous enverra le gabarit MSWord de la revue).
Après notification de la validation, le texte de l’article définitif (saisi dans le gabarit Word et respectant les styles et consignes du Protocole rédactionnel) est à envoyer à fixxion21@gmail.com avant le 15 juin 2022 pour évaluation et relecture par les membres de la Revue critique de fixxion française contemporaine.