Déchets et rebuts dans l'art contemporain
Appel à communications
Colloque les 21 et 22 mars 2022 à l'Université Lyon 2
Longtemps ignorée, pour ne pas dire méprisée, la question du déchet et de ses impacts écologiques, sanitaires, économiques et politiques suscite aujourd’hui un intérêt croissant de la part des artistes contemporains comme des chercheurs en sciences humaines et sociales, et plus largement du grand public. Ainsi, comme l’écrit Jean Gouhier (inventeur de la rudologie, discipline qui étudie les déchets, les biens et les espaces déclassés) : « de nouveaux enjeux sont apparus : réduction des consommations (énergie, matériaux, fluides), prévention, maîtrise et traitement des rejets, recyclage (énergie, chaleur, eau, matière)[1] ». Le développement d’une prise de conscience écologique a, semble-t-il, modifié l’attitude générale des milieux économiques, professionnels et culturels, quant à l’utilisation des ressources naturelles, à la protection de l’environnement, et par conséquent à la sauvegarde de notre cadre de vie.
Or, comme le souligne le sociologue Baptiste Monsaingeon, « il serait trompeur de réduire l’histoire récente du déchet à celle d’une prise de conscience d’un problème écologique liée aux phénomènes de mise au rebut[2] ». Et les récentes injonctions éco-citoyennes à « bien jeter », loin de réveiller les consciences, conduiraient paradoxalement à réactiver un processus d’oubli ou d’amnésie volontaire visant à occulter les processus de production qui en sont à l’origine et la possibilité de penser le rebut dans ses implications sociales et politiques[3].
Dans le champ de la création, on constate que dès le début du XXe siècle, l’art moderne s’empare de différents types de débris, de déchets, par l’intermédiaire du détournement : l’objet, quel qu’il soit, étant détourné de son usage quotidien utilitaire (qui ne l’est plus puisqu’il est abandonné), vers un nouvel usage : l’œuvre d’art. Il prend ici un nouveau statut et fonctionne en tant qu’œuvre et non plus en tant qu’objet. Les exemples sont nombreux : des papiers collés du cubisme synthétique (Picasso, Braque ou Juliette Roche) au mouvement dada ; des objets collés de Kurt Schwitters (ainsi que son fameux Merzbau) aux œuvres surréalistes ; puis des Nouveaux Réalistes (César, Arman, Spoerri, Tinguely, Niki de Saint Phalle) jusqu’aux œuvres de Louise Nevelson…
Dans les années 60, nombre d’artistes intègrent, détournent, recyclent, et valorisent tous types de produits abandonnés : matières organiques, papiers, cartons, bois, verre, métaux, plastiques, tissus… Comme le résume Michael Archer : « La peinture, le métal et la pierre ne bénéficient plus désormais, de leur statut privilégié d’uniques matériaux entrant dans la composition d’une œuvre d’art : l’air, la lumière, le son, les mots, les personnes, la nourriture, les détritus […] et bien d’autres choses encore en font maintenant partie[4] ».
Concernant plus spécifiquement l’art contemporain de ces dernières années, plusieurs œuvres s’élaborent grâce au réemploi de différentes sortes de matériaux laissés à l’abandon. Certains plasticiens créent en mettant en scène la décomposition organique (Claire Morgan, Michel Blazy), d’autres installent des tas de vêtements ou de pantoufles usagers (Christian Boltanski, Hassan Sharif), d’autres encore fabriquent de nouvelles images ou sculptures, à partir des déchets (Tony Cragg, Tatiana Trouvé, Sophie Hélène, Romuald Hazoumé) en faisant parfois intervenir les personnes qui vivent et survivent grâce aux décharges (Vik Muniz, Pictures of Garbage, 2008) ; sans compter les artistes qui transforment totalement les objets (Wim Delvoye, Esteban Richard, Jonathan Callan, Suzanne Husky, Agnès Varda) pour en faire des œuvres artistiques totalement iconoclastes. De la même façon, cette question des déchets et de leur devenir occupe une place de plus en plus centrale dans le champ de la littérature contemporaine, comme en témoignent les publications récentes de Guillaume Poix, Les fils conducteurs (2017) ou de Lucie Taïeb, Freshkills, Recycler la terre (2019).
Que nous disent ces différentes œuvres des rapports que nous (tant individuellement que collectivement) entretenons avec ces déchets tout à la fois omniprésents et invisibilisés, mais aussi avec celles et ceux qui les fabriquent, les récupèrent et les réemploient ? De quels types de déchets s’emparent les artistes ? Et comment les utilisent-ils à la fois comme un sujet de représentation, une source d’inspiration, un matériau à part entière dans le processus de création ? Le déchet ainsi ressaisi et mis en scène de façon plus ou moins spectaculaire fonctionne-t-il alors comme un vecteur de questionnement critique ou dévoile-t-il au contraire une nouvelle forme de « fétichisme de la rouille et des écaillures[5] » ?
Le présent colloque se propose d’interroger la manière dont – à l’ère du « Poubellocène[6] » – les artistes contemporains, qu’ils soient photographes, plasticiens, peintres, sculpteurs, graveurs, écrivains ou musiciens, s’emparent du déchet et du rebut dans leurs œuvres pour leur conférer une nouvelle visibilité.
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Modalités de soumission et calendrier :
Les propositions de contribution (300 mots maximum) seront accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique et devront parvenir au plus tard le 1er juillet 2021 aux adresses suivantes :
Julie.Noirot@univ-lyon2.fr ; Frederic.Montegu@univ-lyon2.fr ; florence.bernard1@univ-lyon2.fr
Notification de l’acceptation des propositions : Septembre 2021
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Comité d’organisation :
Florence Bernard (INSHEA, Suresnes)
Frédéric Montégu (Université Lumière Lyon 2)
Julie Noirot (Université Lumière Lyon 2)
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Comité scientifique :
Hélène Artaud (Museum d’histoire naturelle Paris)
Florence Bernard (INSHEA, Suresnes)
Frédéric Montégu (Université Lumière Lyon 2)
Julie Noirot (Université Lumière Lyon 2)
Emilie Walezak (Université Lumière Lyon 2)
Julie Sermon (Université Lumière Lyon 2).
[1] Jean Gouhier, « Déchets », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1 mars 2021. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/dechets/
[2] Baptiste Monsaingeon, Homo detritus. Critique de la société des déchets, Paris, Seuil, 2017, p. 211.
[3] Grégoire Chamayou, « Responsabiliser », La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique, 2018.
[4] Michael Archer, L’art depuis 1960, Paris, Thames & Hudson, 2002, p. 7.
[5] Diane Scott, « Retour sur nos ruines », Vacarme, n° 70, 2015.
[6] Baptiste Monsaingeon, op. cit.